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Contrats spéciaux
Le cofidéjusseur privé du droit d’exploiter la disproportion de l’engagement de l’autre caution pour limiter le sien
Mots-clefs : Cautionnement, Pluralité de cautions, Recours personnel, Disproportion de l’engagement d’une caution, Décharge, Subrogation, Cofidéjusseur (non)
La sanction prévue par l’article L. 341-4 du Code de la consommation prive le contrat de cautionnement d’effet à l’égard tant du créancier que des cofidéjusseurs. Il s’en déduit que le cofidéjusseur, qui est recherché par le créancier et qui n’est pas fondé, à défaut de transmission d’un droit dont il aurait été privé, à revendiquer le bénéfice de l’article 2314 du Code civil, ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l’article 2310 du même code, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement.
Une banque avait consenti à une société plusieurs prêts, dont le gérant s’était porté caution solidaire en même temps qu’une autre caution. Cette dernière ayant été déchargée de son engagement de caution à raison de sa disproportion manifeste, son coobligé, le gérant, à la suite de la défaillance de sa société, avait été assigné en paiement par la banque au titre des prêts cautionnés.
Or il reprochait à celle-ci de l'avoir privé de recours contre son cofidéjusseur, et revendiquait le bénéfice des dispositions de l'article 2314 du Code civil, disposant que « [l]a caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait du créancier, s’opérer en faveur de la caution (…) ».
Le gérant entendait ainsi être déchargé de son engagement de caution en raison de la perte de la possibilité d'un recours contre ses cofidéjusseurs, liée à celle de toute possibilité de subrogation à ses droits à l’égard de l’autre caution, pertes causées par le fait exclusif du créancier, responsable d’avoir fait souscrire un engagement manifestement disproportionné dont il ne pouvait plus, en conséquence, se prévaloir.
La cour d’appel avait rejeté sa demande au motif que la sanction de la disproportion de l'engagement de son cofidéjusseur n'avait pas pour objet de réparer son préjudice et que la perte de son droit de recours ne procédait pas d'une faute de la banque autorisant sa décharge.
Au soutien de son pourvoi en cassation, le demandeur invoquait tout d’abord l’application de l’article 2310 du Code civil, lequel prévoit que « (l)orsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion », sous la réserve, prévue au second alinéa du texte, que la caution ait procédé au paiement dans l’un des cas énoncés à l’article précédent, parmi lesquels figure l’hypothèse de l’espèce, la défaillance du débiteur (C. civ. , art. 2309, 2°).
Il invoquait ensuite, en vertu de l’article 2314 du Code civil, son droit à bénéficier d’une décharge partielle, à la mesure des droits perdus, dès lors que l’impossibilité dans laquelle il s’était trouvé d’être subrogé dans les droits de son créancier résultait d’un fait exclusif imputable à ce dernier, la seule perte de son recours personnel contre son cofidéjusseur suffisant à justifier la décharge.
Réunie en Chambre mixte, la Cour de cassation devait pour la première fois répondre à la question de savoir si la caution d’un prêt, assignée en paiement par un créancier professionnel (une banque), peut voir ses engagements limités à l’égard de ce créancier aux motifs que ce dernier ne peut plus se prévaloir d’une autre caution du même prêt dont l’engagement a été définitivement jugé manifestement disproportionné en application de l’article L. 341-4 du Code de la consommation. En d’autres termes, la caution assignée peut-elle se prévaloir à l’égard du créancier, sur le fondement de l’article 2314 du Code civil, de la perte de toute possibilité de subrogation à ses droits à l’égard de l’autre caution ?
La Cour y répond par la négative : « (…) attendu que la sanction prévue par l'article L. 341-4 du code de la consommation prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs ; qu'il s'en déduit que le cofidéjusseur, qui est recherché par le créancier et qui n'est pas fondé, à défaut de transmission d'un droit dont il aurait été privé, à revendiquer le bénéfice de l'article 2314 du code civil, ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l'article 2310 du même code, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement ;(…) par ce motif de pur droit, substitué,(…), à ceux justement critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ».
Dans cette affaire, la Chambre mixte devait d’abord déterminer si la caution qui se trouve, en vertu des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, délivrée de son engagement à l’égard du créancier, à raison de la disproportion manifeste de cet engagement, reste exposée au recours personnel que l’article 2310 du Code civil réservé aux cofidéjusseurs. Dans l’affirmative, la caution assignée en paiement ne subissant aucun préjudice de la perte par le créancier de l’engagement de l’autre caution, l’article 2314, dont l’application suppose un préjudice subi par la caution (Civ. 1re, 24 oct. 2006), n’a donc plus vocation à jouer.
Sur ce point, la Cour juge qu’en cas de disproportion, le cautionnement est privé d’effet à l’égard tant du créancier que des cofidéjusseurs. Il convient ici de distinguer l’appréciation de la disproportion de ses conséquences. Si pour les coobligés, la disproportion s’apprécie au regard des revenus de chacune d’elles, lorsque celle-ci est constatée, le cautionnement se trouve privé d’effet erga omnes, empêchant donc le créancier de s’en prévaloir même à l’endroit d’un coobligé valablement engagé. Paradoxalement défavorable au créancier de cautionnements solidaires, la solution inverse aurait néanmoins l’inconvénient d’amoindrir la protection que le Code de la consommation offre à la caution en l’obligeant à contribuer à la dette dans la même proportion que si son engagement avait été jugé valable, sans pouvoir y faire face, en dépit de la division de la dette entre les cofidéjusseurs.
La Cour devait ensuite décider, en l’absence de recours personnel des cofidéjusseurs, si l’un de ceux-ci peut, lorsqu’il est poursuivi pour l’intégralité de la dette par le créancier, invoquer la perte de la subrogation aux droits de ce dernier à raison de la privation, par son fait, d’un recours contre la caution dont l’engagement a été jugé manifestement disproportionné, et revendiquer ainsi la décharge de ses obligations – à la mesure des droits perdus – prévue, dans cette hypothèse, par l’article 2314.
Sur ce point, la Cour de cassation retient que le cofidéjusseur ne peut, lorsqu’il est recherché par le créancier, revendiquer le bénéfice de ce texte, faute de transmission d’un droit dont il aurait été privé, puisqu’il n’a jamais disposé, ab initio, d’un tel droit : le cautionnement, disproportionné dès le jour de sa conclusion, n’a donc jamais pu produire effet ni lui profiter.
Ch. mixte 27 févr. 2015, 13-13.709
Références
■ Civ. 1re, 24 oct. 2006, n°05-18.698, Bull. civ. I, n°436.
■ Code civil
« La caution, même avant d'avoir payé, peut agir contre le débiteur, pour être par lui indemnisée :
1° Lorsqu'elle est poursuivie en justice pour le paiement ;
2° Lorsque le débiteur a fait faillite, ou est en déconfiture ;
3° Lorsque le débiteur s'est obligé de lui rapporter sa décharge dans un certain temps ;
4° Lorsque la dette est devenue exigible par l'échéance du terme sous lequel elle avait été contractée ;
5° Au bout de dix années, lorsque l'obligation principale n'a point de terme fixe d'échéance, à moins que l'obligation principale, telle qu'une tutelle, ne soit pas de nature à pouvoir être éteinte avant un temps déterminé. »
« Lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion ;
Mais ce recours n'a lieu que lorsque la caution a payé dans l'un des cas énoncés en l'article précédent. »
« La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
■ Article L. 341-4 du Code de la consommation
« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
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