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Droit du travail - relations collectives
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est une personne morale
Mots-clefs : Droit social, Personnalité morale, Théorie de la fiction, Théorie de la réalité, Conditions de l’attribution, Conséquences de l’attribution, Capacité d’ester en justice, Dommages-intérêts
Dans le silence de la loi, la jurisprudence a reconnu le bénéfice de la personnalité morale au CHSCT justifiant que ce comité puisse ester en justice et être indemnisé du préjudice né du non-respect de ses attributions.
Dans le cadre de l'exploitation de fréquences hertziennes relevant de la « 4G », un comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail, invoquant le non-respect par l’entreprise de ses attributions (C.trav., art. L. 4612-8), avait assigné celle-ci – la société SFR– afin que le juge lui ordonnât de procéder à une consultation suivie d’une concertation avec le comité sur le projet d'introduction d’une nouvelle technologie.
La cour d’appel ayant accueilli ses demandes, la société SFR forma un pourvoi en cassation.
Elle soutenait que la reconnaissance par le juge de la personnalité morale d'un groupement, si elle a pour effet de lui permettre d'agir en justice, n’a pas celui de lui conférer un patrimoine non prévu par la loi, en sorte qu’en l’espèce, si le CHSCT était en droit d’agir en justice pour obtenir le respect par l'employeur des prérogatives qui lui sont attribuées par le Code du travail, il ne pouvait, en revanche, prétendre au versement d'une somme d'argent ainsi qu’il l’avait demandé à titre de réparation.
Son pourvoi est rejeté au motif que le CHSCT, ayant pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés de l'entreprise ainsi qu'à l'amélioration de leurs conditions de travail, et qui est doté dans ce but de la personnalité morale, est en droit de poursuivre contre l'employeur la réparation d'un dommage que lui cause l'atteinte portée par ce dernier à ses prérogatives.
La personnalité juridique désigne l’aptitude à être titulaire actif ou passif des droits subjectifs. Si une approche strictement individualiste de la notion en cantonnerait le bénéfice aux seules personnes physiques, le droit positif reconnaît plus largement la personnalité juridique aux personnes morales, c’est-à-dire aux groupements de personnes (physiques ou morales) ou de biens, entités abstraites et incorporelles.
En droit privé, les personnes morales sont particulièrement diverses. Si elles prennent le plus souvent la forme de la société (civile ou commerciale), de l’association, du groupement d’intérêt économique ou encore du syndicat professionnel, en l’espèce, il était question d’une organisation, spécifique, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Institué par la loi n°82-1097 du 23 décembre 1982 (C. trav., art. L. 2381-1 s. et art. L. 4611-1 s.), le CHSCT a remplacé, avec des attributions accrues, le comité d'hygiène et de sécurité, qui précédemment fonctionnait comme une commission du comité d'entreprise, dont il pouvait emprunter ainsi la personnalité morale. Institution représentative autonome, investie de missions d'études, de conseil et de contrôle, le CHSCT constitue un organe spécifique de représentation du personnel dont la défense de la sécurité, de l’hygiène et l’amélioration des conditions de travail des salariés fondent les attributions. Ainsi les délégués du personnel ont-ils pour mission de présenter à l'employeur toutes les réclamations individuelles ou collectives portant sur ces questions, notamment celles relatives à l’introduction de nouvelles technologies (C. trav., art. L. 2313-1).
Si le législateur n'a pas expressément reconnu la personnalité morale au CHSCT, la jurisprudence est venue combler cette lacune, au nom de la théorie de la réalité, dès lors que ce comité constitue un groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes, par suite, d'être juridiquement reconnus et protégés (Soc. 17 avr. 1991).
Pour justifier l’attribution de la personnalité morale au CHSCT, la Cour, reprenant l’attendu de principe de la solution adoptée, à propos des comités d'établissement, dans son arrêt bien connu du 28 janvier 1954, réaffirma que la personnalité civile n'est pas une création de la loi mais qu'elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par suite d'être juridiquement reconnus et protégés.
La conception classique, selon laquelle la personnalité morale serait une fiction juridique établie par le législateur en faveur de certains groupements, se trouve ainsi à nouveau écartée. Dès lors que le législateur crée un organisme qui a pour mission la gestion de certains intérêts collectifs, il lui reconnaît implicitement la personnalité civile, à moins de l'en avoir privé par une disposition expresse. Ce principe, explicitement formulé dans l'arrêt de 1954, se retrouve sous-jacent dans celui de 1991 précité reconnaissant la personnalité morale au CHSCT.
La promotion et la défense d’intérêts collectifs par un groupement justifient, même dans le silence de la loi, que lui soit attribuée la personnalité morale. En effet « la qualité de sujet de droit est un bénéfice qui appartient d'emblée à tout intérêt collectif, pourvu qu'il soit suffisamment précis et qu'il prenne corps dans une organisation appropriée » (B. Starck). À cet égard le droit du travail peut apparaître comme la terre d'élection privilégiée de la théorie de la réalité de la personnalité morale. En accordant aux institutions représentatives du personnel la personnalité civile, dès lors qu'elles sont dotées d'une possibilité d'expression collective pour la défense des intérêts dont elles ont la charge, la jurisprudence leur reconnaît ainsi la possibilité d’ester en justice et de disposer d’un patrimoine autonome, distinct de celui de ses membres, les autorisant à percevoir des indemnités lorsqu’un préjudice est causé à leurs attributions.
Soc. 3 mars 2015, n°13-26.258
Références
■ Code du travail
« Les délégués du personnel ont pour mission :
1° De présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise ;
2° De saisir l'inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l'application des dispositions légales dont elle est chargée d'assurer le contrôle. »
« Les dispositions relatives aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail figurent dans la quatrième partie relative à la santé et sécurité au travail. »
« Un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est constitué dans tout établissement d'au moins cinquante salariés.
La mise en place d'un comité n'est obligatoire que si l'effectif d'au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois consécutifs ou non au cours des trois années précédentes. »
« Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail. »
■ Soc. 17 avr. 1991, n°89-17.993, 89-437.67, 89-43.770, Rév. sociétés 1992. 53, obs. Y. Guyon ; Dr. soc. 1991. 516.
■ Civ. 28 janv. 1954, D. 1954. 217, note G. Levasseur ; Dr.soc. 1954. 161, note P. Durand.
■ B. Starck, Introduction au droit, 2e éd. par H. Roland et L. Boyer, Litec, 1988, n° 1070.
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