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[ 6 octobre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Le concubinage ne fait pas échapper à la prescription !

Au regard des dispositions de l'article 2234 du Code civil, le concubinage ne peut, en soi, caractériser l'impossibilité dans laquelle serait l'un des concubins d'agir contre l'autre durant la vie commune, faute que soient remplies les conditions d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité de la force majeure.

Civ. 1re, 10 sept. 2025, 24-12.672 B

Un couple vivant en concubinage avait acquis le 2 avril 2009, chacun pour moitié indivise, un bien immobilier, dont le prix a été réglé comptant. Le concubin est décédé le 18 novembre 2013, en laissant pour lui succéder sa fille, née d’un premier lit. Souhaitant faire cesser l’indivision en suite du décès de son concubin, l’ex-concubine fit assigner la fille du défunt devant le tribunal de grande instance en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, et en paiement d’une indemnité au titre du financement de l’intégralité du coût d’acquisition du bien immobilier indivis. Sa belle-fille lui opposa la prescription de sa demande indemnitaire. Elle obtint gain de cause en appel, les juges du fond ayant retenu que l’article 2236 du Code civil ne prévoit aucune cause de suspension de la prescription entre concubins, que la situation de concubinage ne constitue pas une impossibilité d’agir au sens de l’article 2234 du même Code, et que la concubine soutenait vainement que sa créance ne pouvait être réglée qu’au moment du partage dès lors que sa demande ne concernait pas une créance à l’encontre de l’indivision, et qu’en tout état de cause, l’article 815-13 ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition. Ayant fixé le point de départ du délai de prescription quinquennale de droit commun applicable à la demande en paiement au jour de l’acte d’achat, après avoir retenu qu’il s’agissait non pas d’une dépense de conservation exposée dans l’intérêt de l’indivision, mais d’une créance qu’elle détenait contre son compagnon au titre du financement du coût d’achat du bien immobilier indivis, la cour d’appel en a déduit que la demande était prescrite. Devant la Cour de cassation, la concubine faisait valoir qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité d’agir, au sens de l’article 2234 du Code civil, du vivant de son concubin jusqu’à son décès. La double circonstance qu’ils entretenaient une relation affective, stable et durable, et partageaient une vie commune au sein même du bien indivis qu’ils avaient acquis, établissait qu’elle ne pouvait moralement intenter à son encontre aucune action afin de recouvrer sa créance dans le délai de la prescription de droit commun.

Le pourvoi posait ainsi la question de savoir si un concubin peut se prévaloir d’une impossibilité morale d’agir contre l’autre, durant leur vie commune, au sens de l’article 2234 du Code civil, afin de ne pas encourir la prescription de ses créances.

La première chambre civile y répond par la négative. Aux termes de l’article 2234 du Code civil, selon lequel la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, elle juge que le concubinage ne peut, en soi, caractériser l'impossibilité dans laquelle serait une personne d'agir contre l'autre durant la vie commune, faute de remplir les conditions d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité de la force majeure.

■ Sur la qualification des créances

Il n’est pas rare que se produisent au cours de la vie commune divers mouvements de valeurs entre les concubins, notamment s’ils réalisent une acquisition ensemble. Se pose consécutivement la question de la qualification de ces mouvements de valeurs entre eux, spécialement lorsqu’ils acquièrent des droits immobiliers en commun, et du régime auquel il convient de les soumettre. En l’absence de disposition spécifique, l’acquisition réalisée par deux concubins est soumise au droit commun de l’indivision. En considération des modalités qu’ils arrêtent du financement de cette opération, il en est de même des créances qui naissent à cette occasion ou consécutivement à celle-ci, qu’il s’agisse de créances détenues par les concubins contre l’indivision ou, directement, par l’un des concubins contre l’autre. S’agissant ainsi du remboursement des échéances d’un crédit immobilier qu’ils contractent ensemble pour l’acquisition d’un bien immobilier indivis, il a été jugé sur le fondement des articles 815-13 et 815-17, alinéa 1er, du Code civil qu’un indivisaire ayant conservé à ses frais un bien indivis peut revendiquer une créance sur l’indivision et être payé par prélèvement sur l’actif indivis, cette créance, immédiatement exigible et se prescrivant selon les règles de droit commun édictées par l’article 2224 du Code civil, soit, s’agissant du remboursement d’échéances du prêt bancaire ayant permis l’acquisition du bien immobilier indivis, par cinq ans à compter du paiement de chaque échéance (Civ. 1re, 14 avr. 2021, n° 19-21.313).

S’agissant en revanche des dépenses d’acquisition réalisées antérieurement à la constitution de l’indivision, elles ne relèvent pas de l’article 815-13 du Code civil, dès lors que l’indivision n’était pas encore née, le paiement du prix d’acquisition du bien immobilier ne pouvant être regardé comme ayant servi à la conservation de l’immeuble (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-21.302). Il s’agit donc d’une créance qu’un des indivisaires détient directement contre l’autre. La titularité d’une créance de cette nature contredit l’argument avancé par la demanderesse, pour justifier son inaction, de son impossibilité prétendue d’obtenir le règlement de sa créance avant le partage de la succession.

■ Sur le cours de la prescription

S’agissant plus spécialement de la prescription des créances nées entre concubins, le droit commun s’applique puisqu’à la différence du mariage ou du PACS, la loi ne prévoit pas que le concubinage, qui est une union de fait (C. civ., art. 515-8), soit une cause de suspension de la prescription, l’article 2236 du Code civil, réservé aux personnes mariées ou liées par un PACS n’étant pas applicable aux concubins. « Les créances entre simples concubins ne se distinguent pas des créances entre personnes étrangères. Le droit ignore cette situation de vie commune et fait abstraction de cette affection entre les parties, qui a pu modifier la gestion de leur patrimoine et de leurs rapports juridiques (droits de créance). Aussi, il ne peut qu’être fait renvoi au droit commun des contrats et quasi-contrats » (X. Guédé, F. Letellier, « L’absence d’uniformité du régime des créances conjugales, source d’insécurité juridique », JCP N., n° 18, 1er mai 2015, p. 1144). Les règles d’interruption et de suspension de la prescription sont donc aussi celles de droit commun, dont relève la règle générale selon laquelle la prescription doit être suspendue lorsque le créancier est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant soit de la loi, soit de la convention, soit de la force majeure (C. civ., art. 2234). En application de l’article 2234 du Code civil, il appartient donc à celui qui se prévaut d'une impossibilité d'agir de rapporter la preuve d’un des empêchements prévus par la loi, conformément aux articles 1353 et suivants du Code civil, en démontrant la réalité de l’obstacle invoqué. Autrement dit, l’impossibilité d’agir, qui n’est pas présumée par le texte, doit être prouvée conformément au droit commun. S’il s’agit d’un empêchement de pur fait, il lui appartient aussi d’établir qu’il présente toutes les caractéristiques de la force majeure, c’est-à-dire d’un événement insurmontable. La jurisprudence a ainsi pu reconnaître, selon les circonstances invoquées, que l’état physique ou mental du titulaire d’un droit de créance peut caractériser un empêchement résultant de la force majeure le privant de la possibilité d’agir, ou un état de sujétion psychologique (Civ. 3e, 16 sept. 2021, n° 20-17.623). Doit toutefois être rappelée la limite de jurisprudence constante apposée à cette règle, qui ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps utile pour agir avant l'expiration du délai de prescription (réc. v. Civ. 2e, 12 sept. 2024, n° 22-15.895).

La jurisprudence dominante écarte toutefois l’application de ce texte aux concubins, considérant que la situation de concubinage, en elle-même, n’emporte aucune impossibilité d’agir résultant de la force majeure, de sorte que le créancier ne s’est pas trouvé dans l’impossibilité d’agir à l’encontre de son concubin au cours de leur vie commune (CA Paris, 5 mars 2025, RG 22/05337 ; CA Nîmes, 6 févr. 2025, RG 24/02202 ; CA Lyon, 26 juin 2024, RG 23/07803 ; CA Douai, 30 mai 2024, RG 21/05165) Certains arrêts affirment à l’inverse que les concubins se sont trouvés dans l’impossibilité morale d’agir, durant leur vie commune, en raison de la relation affective qu’ils entretenaient et reconnaissent que la prescription a été suspendue jusqu’à la date du décès (CA Toulouse, 30 août 2022, RG 21/04656 ; CA Nîmes, 9 mars 2022, RG 21/01899).

Par la décision rapportée, la Cour de cassation, qui n’avait pas eu à se prononcer sur ce point de savoir si la situation de concubinage peut à elle seule remplir les conditions de la force majeure et caractériser l’impossibilité d’agir, au sens de l’article 2234 préc.,,confirme le refus opposé par la jurisprudence majoritaire : non seulement la suspension de la prescription ne peut être invoquée par les concubins sur le fondement de l’article 2236, qui les exclut expressément, mais elle ne peut davantage leur profiter sur le fondement de l’article 2234, qui suspend les prescriptions extinctives en cas d'impossibilité d'agir, mais seulement pour cause de force majeure : dès lors que la dimension affective du couple ne présente pas les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité requis, de sorte que la situation de concubinage ne peut, à elle seule, conduire à retenir que les concubins se sont trouvés dans l’impossibilité d’agir l’un contre l’autre durant leur vie commune. En outre, le bénéfice de l’article 2234 ne pouvant être utilement invoqué si, à la date à laquelle le créancier ne se trouve plus dans l’impossibilité d’agir, il disposait encore d’un délai suffisant pour recouvrer ses droits, la concubine devait définitivement, en l’espèce, s’en trouver privée, son concubin étant décédé moins de cinq ans après l’acquisition du bien immobilier indivis.

Références :

■ Civ. 1re 14 avr.2021, n° 19-21.313 P : D. 2021. 1059, note F. Rouvière ; ibid. 1509, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2021. 372, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2021. 669, obs. W. Dross.

■ Civ.1re 26 mai 2021, n° 19-21.302 P : D. 2021. 1615, note E. Rousseau ; ibid. 1784, chron. V. Champ, C. Dazzan, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, X. Serrier, J. Mouty-Tardieu, E. Buat-Ménard et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2064, obs. S. Godechot-Patris ; ibid. 2022. 764, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2021. 435, et les obs., obs. S. David.

■ Civ. 3e, 16 sept. 2021, n° 20-17.623 B : D. 2021. 1719 ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki.

■ Civ. 2e, 12 sept. 2024, n° 22-15.895 : AJDI 2024. 797.

■ CA Paris, 5 mars 2025, RG 22/05337

■ CA Nîmes, 6 févr. 2025, RG 24/02202

 CA Lyon, 26 juin 2024, RG 23/07803

■ CA Douai, 30 mai 2024, RG 21/05165

■ CA Toulouse, 30 août 2022, RG 21/04656

■ CA Nîmes, 9 mars 2022, RG 21/01899

 

Auteur :Merryl Hervieu


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