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Droit immobilier
Le conflit entre droit de propriété et droit de préférence
Mots-clefs : Bail commercial, Clause de préemption, Droit de préférence, Efficacité, Limites, Division de l’immeuble
Une clause de préemption stipulée dans un bail commercial ne s’applique pas lorsqu’elle mène à la division du bien entre le preneur et un tiers.
Une société avait pris à bail des locaux commerciaux situés dans un immeuble. Le contrat contenait une clause de préemption au profit du preneur en cas de vente des locaux loués.
Après que l’immeuble fut intégralement vendu à un tiers, la société preneuse assigna le bailleur cédant et le cessionnaire en annulation de la vente en raison de la fraude ainsi opérée, selon elle, à son droit de préemption. En appel, celle-ci fut déboutée de sa demande au motif que l’objet de la vente et celui de son droit de préemption étaient différents.
La société preneuse forma un pourvoi en cassation au soutien duquel elle fit, d’une part, valoir que la clause de préemption avait été rédigée en des termes clairs et précis qui ne réservaient pas son application à l’hypothèse où seuls seraient vendus les locaux loués, à l’exclusion des autres et, d’autre part, rappela la règle jurisprudentielle selon laquelle le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation d’un contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur à la double condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, sans qu’il soit nécessaire de rapporter au surplus, comme l’exigèrent à tort les juges du fond, de rapporter la preuve d’une fraude.
L’analyse des juges du fond est néanmoins confirmée par la Cour de cassation, qui affirme que la société preneuse entendait exercer son droit de préemption sur les seuls locaux, objet du bail ; or, l’application de la clause litigieuse ne devait pas pouvoir conduire à imposer aux propriétaires la division de leur bien en vue de le céder à des personnes distinctes.
Dans un bail commercial, il est possible de prévoir qu’en cas de vente du local loué, le preneur bénéficiera d’un droit de préemption en sorte que si le bailleur choisit de vendre ledit local, il devra informer le preneur, en priorité, des conditions de la vente. Ce dernier pourra alors décider d’acheter le bien à ces conditions, et ce même en cas de refus de renouvellement du bail dès lors qu’il reste dans les lieux (Civ. 3e, 16 juin 1999). En effet, seul le congé du preneur justifie la disparition de son droit de préemption.
En cas de violation de son droit de priorité, le preneur peut obtenir non seulement l’annulation de la vente assortie d’une indemnisation, mais également, sous conditions, sa substitution à l’acquéreur.
En effet, la sanction de la violation d’un droit de préférence varie selon la bonne ou mauvaise foi du tiers-acquéreur. Lorsque le tiers acquéreur est de bonne foi, le droit du bénéficiaire lui est inopposable en vertu du principe de l’effet relatif du contrat (C. civ., art. 1165). La vente conclue en violation du pacte demeure donc valable. Le bénéficiaire du pacte ne peut qu’obtenir des dommages-intérêts en engageant la responsabilité contractuelle du promettant.
Mais lorsque le tiers est de mauvaise foi, la jurisprudence considère depuis quelques années (Ch. mixte, 26 mai 2006 ; solution confirmée par Civ. 3e, 31 janv. 2007 et 14 févr. 2007) que le bénéficiaire d’un droit de préférence « est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ». Encore faut-il que l’exercice du droit de préférence n’entraîne pas la division de l’immeuble.
Le droit de propriété domine ici le droit de préférence. Ainsi, le droit de préférence stipulé dans un contrat de bail par le propriétaire bailleur en cas de vente des locaux loués doit s’interpréter de manière restrictive s’agissant d’une stipulation exceptionnelle limitant le droit de propriété du premier au profit du second.
En l’espèce, une interprétation plus large de la clause litigieuse aurait eu pour effet d’obliger le propriétaire à renoncer à vendre la totalité de l’immeuble et de lui imposer ainsi, avant toute transaction envisagée sur son bien, de procéder à sa division préalable et à une vente par lots. Or une telle restriction à son droit de propriété ne peut être déduite du seul droit de préférence accordé. A contrario, le droit de préférence continue de pouvoir s’exercer après une division volontaire de l’immeuble faisant suite à sa vente en bloc.
Civ. 3e, 9 avr. 2014, n°13-13.949
Références
■ Civ. 3e, 16 juin 1999, n°97-16.764.
■ Ch. mixte 26 mai 2006, n° 03-19.376, D. 2006. 1861, note P.-Y. Gautier, note D. Mainguy ; Rev. sociétés 2006. 808, note J.-F. Barbièri ; RTD civ. 2006. 550, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ. 3e, 31 janv. 2007, n° 05-21.071, D. 2007. 1698, note D. Mainguy.
■ Civ. 3e, 14 févr. 2007, n° 05-21.814, D. 2007. 2444, note J. Théron ; RTD civ. 2007. 366, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 768, obs. B. Fages.
« Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121. »
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