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[ 24 juin 2010 ] Imprimer

Procédure pénale

Le Conseil d’État autorise l’extradition d’un apatride

Mots-clefs : Apatride, Extradition, Lois de procédure, Non-rétroactivité, Loi pénale, Convention de New York relative au statut des apatrides, Convention relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne, Principe généraux du droit

Le Conseil d’État rejette la requête en annulation pour excès de pouvoir du décret autorisant l’extradition vers la Pologne d’un individu ne possédant aucune nationalité.

En l’espèce, M. S. faisait l’objet d’un décret signé par le Premier ministre français, accordant son extradition aux autorités polonaise, en raison d’une condamnation prononcée en 1984 par un tribunal de Voïvodie, pour des faits de vols avec violences et de destruction de biens, commis en récidive. M. S. résidait en France et prétendait avoir été déchu de la nationalité polonaise. Dès lors, il se fondait sur son statut d’apatride afin d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir du décret.

Le Conseil d’État statuant au contentieux (2e et 7e sous-sections réunies), rejette la requête de M. S. Tout d’abord, en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, il refuse de soumettre l’extradition d’un apatride à la consultation préalable de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Ensuite, il rappelle que les principes généraux du droit applicables à l’extradition ne font pas obligation à la France de considérer le bien-fondé des charges pesant sur la personne extradée, sauf en cas « d’erreur évidente » (v. CE Ass. 15 févr. 1980). Dès lors, l’État français n’a pas à prendre en compte le statut d’apatride de la personne lorsque les preuves apportées par l’État polonais quant à l’identité de la personne recherchée sont suffisantes.

En ce qui concerne le droit international, la Haute cour relève que la convention de New York relative aux statuts des apatrides du 28 septembre 1954 n’interdit pas l’expulsion d’un apatride, quand elle est nécessaire « pour des raisons d’ordre public » (art. 31).

Prenant appui sur le principe selon lequel la France n’extrade jamais ses nationaux, M. S. arguait d’une différence de traitement entre les apatrides et les citoyens français. La Haute cour refuse cette interprétation, puisque le refus d’extrader n’est pas un principe juridique, mais bien une position politique traditionnelle de l’État français, qui relève d’abord d’une appréciation souveraine de l’administration.

En l’espèce, M. S. avait été condamné le 4 mars 1985. Or, la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 prévoyait en son article 10 que l’extradition pouvait être refusée en cas de prescription de la peine dans le droit de l’État requis. C’était bien le cas pour la France, puisque « les peines prononcées pour un délit se prescrivent par cinq années révolues à compter de la date à laquelle la décision [est] devenue définitive » (art. 133-3 C. pén.). Cependant, la convention relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne, signée à Dublin le 27 septembre 1996, a remplacé ce principe par un article 8 plus sévère envers les délinquants, qui prévoit que « l’extradition ne peut être refusée au motif qu’il y a prescription de l’action ou de la peine selon la législation de l’État membre requis ». Cependant, le problème se posait de savoir si cette Convention, plus sévère, s’appliquait en l’espèce, puisque les lois pénales plus sévères ne s’appliquent pas aux instances en cours en principe (art 112-1 C. pén.).

 Mais, en application des principes généraux du droit pénal, le juge administratif écarte le moyen de la non-application de la convention de Dublin ; en effet, les conventions d’extradition relèvent du domaine des lois de procédures, dès lors soumises à l’article 112-2 2° du Code pénal, selon lequel « les lois fixant les formes de la procédure » sont d’application immédiate (Crim. 7 mai 1987 ; Crim. 24 sept 1987).

 

Enfin, le Conseil d’État écarte sans difficultés l’argument selon lequel le système judiciaire de la Pologne ne respecterait pas « les droits et libertés fondamentaux » de la personne, en l’absence de faits tangibles rapportés par le requérant. Pour mémoire, rappelons que la Pologne a adhéré au Conseil de l’Europe le 26 novembre 1991, et a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme en 1993.

CE Sect., 11 juin 2010, n° 334454

 

Références

■ Extradition

« Procédure d’entraide répressive internationale par laquelle un État, appelé État requis, accepte de livrer un délinquant qui se trouve sur son territoire à un autre État, l’État requérant, pour que ce dernier puisse juger cet individu ou, s’il a déjà été condamné, pour lui faire subir sa peine. »

■ Apatride

« Individu qui n’a aucune nationalité. On emploie aussi le terme Heimatlos.

Cette situation résulte généralement de la perte de la nationalité d’origine (par ex. : par suite d’une déchéance), sans acquisition d’une nationalité nouvelle. »

■ Récidive

« Cause d’aggravation de la peine résultant pour un délinquant de la commission d’une seconde infraction dans les conditions précisées par la loi, après avoir été condamné définitivement pour une première infraction. La récidive est dite générale ou spéciale selon qu’elle existe pour deux infractions différentes ou seulement pour deux infractions semblables ; elle est dite perpétuelle ou temporaire selon qu’elle existe quel que soit le délai qui sépare les deux infractions, ou seulement si la seconde infraction est commise dans un certain délai qui court à compter de l’expiration de la première peine. »

■ Principes généraux du droit

« Principale source non écrite du droit administratif, représentée par des règles de droit obligatoires pour l’Administration et dont l’existence est affirmée de manière prétorienne par le juge.

Leur respect s’impose à toutes les autorités administratives, même dans les matières où le gouvernement est investi par la Constitution d’un pouvoir réglementaire autonome non subordonné à la loi. Les principes généraux du droit jouent également un rôle important en droit privé, spécialement en droit civil et en procédure civile.

Les principes généraux du droit jouent également un rôle important en droit privé, spécialement en droit civil (la fraude corrompt tout, l’erreur est créatrice de droit, la bonne foi est toujours présumée…) et en procédure civile (principe accusatoire, principe dispositif, principe du contradictoire…). »

Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

■ Code pénal

Article 112-1

« Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.

Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.

Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. »

Article 112-2

« Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur :

1° Les lois de compétence et d'organisation judiciaire, tant qu'un jugement au fond n'a pas été rendu en première instance ;

2° Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ;

3° Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ;

4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines. »

Article 133-3

« Les peines prononcées pour un délit se prescrivent par cinq années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. »

■ CE, Ass., 15 févr. 1980, n° 17224, Rec. 292.

■ Crim. 7 mai 1987, n ° 87-80.821, Bull. crim. n° 187 ; Crim. 24 sept. 1987, n° 87-84.128, Bull. crim. n° 313.

■ Convention relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne, signée à Dublin le 27 septembre 1996.

Article 8 — Prescription

« 1. L'extradition ne peut être refusée au motif qu'il y a prescription de l'action ou de la peine selon la législation de l'État membre requis. 

2. L'État membre requis a la faculté de ne pas appliquer le paragraphe 1 lorsque la demande d'extradition est motivée par des faits relevant de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale. »

■ Pour aller plus loin sur la Pologne, membre du Conseil de l’Europe, v. le site du Conseil de l’Europe.

 

Auteur :B. H.


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