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Droit des obligations
Le consentement exprès au cautionnement, protection contre le principe d’engagement des biens communs
En cas d’annulation d’un des cautionnements conclus par des époux communs en biens, souscrits en des termes identiques et dans un acte unique, la seule signature de cet acte par le conjoint dont l’engagement est nul ne traduit pas son consentement exprès au cautionnement de l’autre conjoint et n’inclut donc pas les biens communs dans le droit de gage général du créancier.
Com. 29 sept. 2021, n° 20-14.213
Marié sous un régime communautaire, un couple avait souscrit, par un acte unique et rédigé dans les mêmes termes, deux cautionnements en garantie du remboursement d’un prêt bancaire consenti à une société. Celle-ci ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque avait assigné le couple en paiement, lequel lui avait opposé, notamment, la nullité du cautionnement de l’époux, faute pour ce dernier d’avoir rédigé la mention manuscrite prévue à l’article L. 342-1 du Code de la consommation, dans sa version applicable au litige.
Après avoir déclaré le cautionnement de l’épouse valable mais nul celui de son conjoint, la cour d’appel jugea que, faute pour ce dernier d’avoir expressément consenti à l'engagement de son épouse, seuls les biens propres de celle-ci étaient susceptibles d’être engagés.
Devant la Cour de cassation, la banque argua de la nécessaire extension de son droit de gage aux biens communs du couple, au moyen « que dans le cas où des époux communs en biens se sont engagés dans un même acte par deux cautionnements simultanés garantissant la même dette, la signature de chacun d'eux vaut consentement à son propre engagement mais aussi à l'engagement de l'autre, de sorte que les biens communs sont engagés par chaque cautionnement en application de l'article 1415 du Code civil ; qu'il s'en évince que, si la nullité d'un de ces actes est prononcée au motif que l'époux caution n'a pas rédigé la mention manuscrite exigée par la loi, sa signature vaut encore consentement au cautionnement de l'autre, lequel engage ainsi les biens communs » ; et la banque de déduire de ce qui précède qu'au cas présent, la circonstance que la mention manuscrite du conjoint ne fut pas de sa main et qu'ainsi, l’irrégularité de sa signature privait son engagement d'efficacité juridique, cette signature valait « encore consentement de sa part au cautionnement de son épouse, lequel engageait alors les biens communs (…) ».
À la question de savoir si un cautionnement irrégulier peut, par la seule signature de son garant, néanmoins caractériser son consentement exprès au cautionnement simultané de son époux commun en biens, nécessaire à l’inclusion des biens communs dans le droit de gage général du créancier, la chambre commerciale répond par la négative : « Lorsque les cautionnements d'époux communs en biens ont été recueillis au sein du même acte pour garantir la même dette et que l'un des cautionnements est annulé, la seule signature au pied de cet engagement ne vaut pas consentement exprès au cautionnement de l'autre conjoint, emportant engagement des biens communs en application de l'article 1415 du code civil ». Le moyen qui postulait le contraire n’était donc pas fondé.
■ Principe de l’engagement des biens communs
« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelle cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, et sauf récompense due à la communauté s’il y a lieu » (C. civ., art. 1413).
Sur le plan de l’obligation à la dette, la communauté est engagée quelle que soit la nature – contractuelle ou extracontractuelle – ainsi que l’origine –professionnelle ou personnelle – de la dette.
Mais si la dette née pendant le régime engage la communauté, elle oblige aussi l’époux qui l’a souscrite (C. civ, art. 1418, al. 1). C’est pourquoi son paiement peut être poursuivi non seulement sur les acquêts, mais également sur les biens propres du conjoint qui l’a fait entrer en communauté.
■ Protection contre l’emprunt et le cautionnement
« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres » (C. civ., art. 1415).
Champ d’application de la protection – L’article 1415 du Code civil est une disposition impérative qui s’applique à tous les régimes de communauté, qu’il s’agisse de la communauté légale (réduite aux acquêts) ou d’une communauté conventionnelle, telle que la communauté universelle (Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 97-21.592).
La protection vaut notamment pour les cautionnements et les opérations qui s’en approchent, telles que l’aval (Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-15.228) et la garantie à première demande (Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 04-11.037).
Principe : droit de poursuite limité du créancier - Les deux époux peuvent s’en prévaloir pour faire obstacle à une voie d’exécution sur un bien commun.
Lorsque le cautionnement est consenti par un époux sans le consentement exprès de l’autre, l’assiette du droit de gage général du créancier se limite aux biens propres et aux revenus de la caution. Cette limite est d’importance notamment dans le cas, qui était celui de l’espèce, d’un cautionnement solidaire : en effet, dans le cas d’une dette solidaire, celle-ci est en principe « (…) réputée entrée en communauté du chef des deux époux », de telle sorte que le droit de gage du créancier s’étend à l’ensemble du patrimoine du ménage et que le paiement de la totalité de la créance peut être réclamé à l’un ou à l’autre des époux sur les biens communs comme sur les biens propres (C. civ., art. 1418, al. 2).
Extension du droit de poursuite – Au cœur du dispositif applicable, le consentement exprès d’un époux au cautionnement contracté par son conjoint a pour effet d’élargir le droit de poursuite du créancier à l’ensemble des biens communs.
* Dans l’hypothèse où un seul époux se porte garant, sont néanmoins exclus du droit de gage général du créancier les biens propres de l’autre époux car le consentement exprès de ce dernier vaut seulement autorisation mais ne le rend pas partie au contrat de cautionnement.
* Dans l’hypothèse de l’espèce où les époux se portent garants de la même dette, il convient de distinguer :
- si les engagements résultent de plusieurs actes distincts établis le même jour. Dans ce cas, sont ainsi conclus deux cautionnements unilatéraux, si bien que chaque époux n’engage que son patrimoine propre et ses revenus (Civ. 1re, 15 févr. 2002, 3 arrêts, n° 00-13.527 ; n° 00-15.298 et n° 99-21.464) ;
- si les engagements sont, comme dans le présent arrêt, souscrits en termes identiques, dans un acte unique, l’article 1415, n’incluant pas l’hypothèse d’engagements conjoints, ne s’applique pas, de sorte que chaque époux engage non seulement ses biens propres et revenus mais également l’intégralité du patrimoine commun (C. civ., art. 1413).
L’article 1415 est purement et simplement écarté (Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644) ; il ne s’agit donc pas d’apprécier si le conjoint a donné ou non son consentement.
En l’espèce, la circonstance tenant à l’annulation d’un des deux cautionnements souscrits par les époux communs en biens rendait toutefois applicable, malgré l’unicité de l’acte de cautionnement, l’article 1415, l’anéantissement rétroactif du cautionnement souscrit par l’époux renouvelant le cadre contractuel de la garantie offerte par le couple : en effet, la configuration redevenait celle régie par l’article 1415, où un époux seul se porte caution (en l’espèce, l’épouse dont l’acte était valable) n’engageant alors que son patrimoine propre, sauf à établir le consentement exprès de son conjoint. Autrement dit, le consentement exprès du conjoint de l’épouse devait donc, en raison de l’annulation du cautionnement souscrit par son mari, être recherché.
Or s’il n’obéit à aucun formalisme particulier, encore faut-il que le consentement du conjoint soit exprès et concomitant au cautionnement souscrit par l’époux (Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-11.012). La seule connaissance de l’acte par l’intéressé ne suffit pas pour caractériser un tel consentement. Encore faut-il caractériser une manifestation de volonté non équivoque. Or la décision rapportée paraît sur ce point opérer un revirement de jurisprudence : alors que la Haute juridiction considérait jusqu’alors que le cautionnement de l’époux, même irrégulier, traduisait « à tout le moins » son consentement exprès à l'engagement de caution de son conjoint commun en biens (Civ. 1re, 29 avr. 1997, n° 95-14.500), en la même circonstance, la Cour juge ici l’inverse, le cautionnement irrégulier de l’époux ne valant pas, à lui seul, consentement exprès à celui valablement souscrit par son épouse, alors seule obligée à la dette sur son patrimoine propre. Le présent arrêt étant, à la différence du précédent, publié, la Cour semble ainsi manifester sa volonté de renforcer la protection du patrimoine commun des époux contre le droit de gage général des créanciers, comme l’augurait d’ailleurs la multiplicité des cas ne répondant pas, selon l’approche depuis longtemps restrictive adoptée par les Hauts magistrats, à l’exigence d’un consentement exprès et simultané, seul à même d’inclure les biens communs dans l’assiette du droit de gage général du créancier poursuivant (v. not. Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734 ; Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-15.669).
Références :
■ Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 97-21. 592 P: D. 2000. 546, note J. Thierry ; ibid. 2001. 693, obs. L. Aynès ; RTD civ. 2000. 889, obs. B. Vareille ; ibid. 890, obs. B. Vareille
■ Civ. 1re, 4 juin 2009, n° 08-15.228: D. 2009. 2508, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel
■ Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 04-11.037 P: D. 2006. 2539, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. 1815, obs. V. Avena-Robardet ; AJ fam. 2006. 330, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 593, obs. P. Crocq ; ibid. 816, obs. B. Vareille ; RTD com. 2006. 902, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 15 févr. 2002, 3 arrêts, n° 00-13.527 P; n° 00-15.298 P et n° 99-21.464 P : D. 2002. 1780, note C. Barberot ; ibid. 3337, obs. L. Aynès ; AJ fam. 2002. 264, obs. S. D.-B. ; RTD civ. 2002. 546, obs. P. Crocq ; ibid. 604, obs. R. Libchaber ; ibid. 2003. 338, obs. B. Vareille ; ibid. 339, obs. B. Vareille
■ Com. 5 févr. 2013, n° 11-18.644 P: D. 2013. 1253, obs. V. Avena-Robardet, note A. Molière ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2013. 187, obs. P. Hilt ; Rev. sociétés 2013. 507, note I. Dauriac
■ Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-11.012 P: D. 2011. 1897 ; ibid. 2012. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2011. 437, obs. P. Hilt
■ Civ. 1re, 29 avr. 1997, n° 95-14.500
■ Civ. 1re, 8 mars 2005, n° 01-12.734 P: D. 2005. 1048 ; AJ fam. 2005. 238, obs. P. Hilt
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