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Le contrôle des salariés par un client mystère : une énigme partiellement résolue
Dès lors que le salarié a été expressément informé au préalable de l’utilisation de la méthode dite du « client mystère » afin d’évaluer et contrôler son activité, l’employeur peut utiliser les résultats du dispositif au soutien d’une procédure disciplinaire.
Soc. 6 sept. 2023, n° 22-13.783
Les conditions de licéité des méthodes de surveillance se trouvent de nouveau au cœur de l’actualité jurisprudentielle. Après la chambre commerciale et la chambre pénale, c’est au tour de la chambre sociale de la Cour de cassation de prendre position sur la pratique dite du « client mystère ». En l’espèce, un salarié, engagé en qualité d'employé de restaurant libre-service, fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire puis d’un licenciement. Il lui est en particulier reproché de ne pas avoir respecté les procédures d’encaissement mises en place au sein de l’entreprise qui exige la remise d’un ticket de caisse au client. Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur fait état d’une fiche d'intervention d'une société, mandatée par lui pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère ». Autrement dit, un tiers à l’entreprise s’est fait passer pour un client puis a rédigé un rapport attestant qu’aucun ticket de caisse ne lui avait été remis. Le salarié conteste en justice son licenciement mais la cour d’appel écarte ses arguments. Au soutien de son pourvoi en cassation, le salarié invoque alors d’une part le non-respect des règles du Code du travail relatives aux méthodes d’évaluation et de surveillance et d’autre part la violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Son pourvoi est rejeté. La solution paraît valider la pratique du client mystère mais laisse en suspens de nombreuses interrogations.
La solution de la Cour de cassation
L’employeur dispose du pouvoir de contrôler, surveiller et évaluer ses salariés. (Soc. 14 mars 2000, n° 98-42.090 ; Soc. 10 juill. 2002, n° 00-42.368). À cet effet, il peut mettre en place différents dispositifs sous réserve toutefois d’en avoir au préalable informé les salariés et le comité social et économique. Cette exigence d’information préalable figure dans le Code du travail (L. 1222-3, L. 1222-4 et L. 2312-38 c. trav.) et la Cour régulatrice rappelle régulièrement que les procédés de surveillance clandestins sont donc illicites (Soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597). Par ailleurs, si la surveillance directe par un membre de la hiérarchie n’a pas à faire l’objet d’une information préalable (Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18.427), il n’en est pas de même du recours à une société prestataire (Soc. 15 mai 2001, n° 99-42.219). La pratique du « client mystère », en particulier lorsqu’il s’agit d’une personne n’appartenant pas à l’entreprise, apparaît donc comme une méthode d’évaluation exigeant une information préalable (voir déjà pour le recours à un détective privé dans un bar constatant le défaut d’enregistrement des consommations : Soc. 23 nov. 2005, n° 04-41.401). Or en l’espèce, l’employeur faisait valoir qu’il avait respecté cette obligation légale. Il s’appuyait sur un compte-rendu de réunion du comité d'entreprise du 18 octobre 2016, faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages et d'une note d'information expliquant le fonctionnement et l’objectif du dispositif, affiché en septembre 2015. Pour les juges du fond, l’information ayant bien été délivrée, la preuve issue du rapport d’enquête était recevable. La Cour de cassation se contente ici d’approuver le raisonnement des juges du fond. Ils ont constaté qu’il s’agissait d’une méthode d’évaluation professionnelle non clandestine. Dès lors les résultats pouvaient être utilisés au soutien d’une procédure disciplinaire. Faut-il pour autant en conclure que la pratique du client mystère est systématiquement valable pour établir une faute disciplinaire si les salariés ont été informés ? Il paraît délicat de répondre par la positive en raison des nombreux silences de la Cour de cassation.
Les silences de la Cour de cassation
L’article L. 1222-3 du Code du travail exige non seulement une information préalable mais également la pertinence du dispositif au regard de sa finalité. Or sur ce point, l’arrêt ne livre aucune précision. Ni la légitimité des objectifs poursuivis par l’employeur, ni l’adéquation de la méthode ne sont discutés. L’employeur voulait-il s’assurer du respect de son obligation de délivrer une note au client dès lors que le montant est supérieur à 25 euros ? (Arrêté n° 83-50/A du 3 octobre 1983 relatif à la publicité des prix de tous les services). Cherchait-il à vérifier la satisfaction de la clientèle alors même que le ticket de caisse est bien souvent jeté immédiatement dans une poubelle, ce qui a d’ailleurs conduit le législateur à désormais interdire sa remise systématique pour les prestations inférieures à 25 euros (L. 541-15-10 et D. 541-371 c. envir.). Entendait-il lutter contre des escroqueries ou des vols de la part des salariés mais dans ce cas, en quoi l’absence de remise du ticket de caisse attesterait-il d’une fraude ? Par ailleurs, cette évaluation par un client mystère était-elle limitée dans le temps ou se pratiquait-elle de manière continue depuis plusieurs mois ? Une évaluation à l’aveugle sur une très longue période peut être génératrice de stress, affectant la santé. Il est regrettable que les modalités d’une évaluation ne soient pas plus souvent discutées, même si parfois, la violence de certains procédés a pu être relevée (Soc. 27 mars 2013, n° 11-26.539).
Mais la principale difficulté porte sur le respect ou non du principe de loyauté dans l’administration de la preuve (Ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14. 316, n° 09-14.667). Le recours à un client mystère pourrait en effet être appréhendé comme un stratagème et déclaré en soi illicite. En l’espèce, le salarié a bien tenté de soulever l’argument mais son pourvoi est rejeté au motif qu’il ne l’aurait pas invoqué devant les juges du fond. La chambre sociale ne prend donc pas ici position. Occasion manquée car sa solution concernant les preuves obtenues par stratagème demeure incertaine. Par le passé, elle a certes considéré qu’un stratagème est un mode de preuve illicite mais en relevant dans le même temps son caractère clandestin (pour des lettres piégées : Soc. 4 juill. 2012, n° 11-30.266 ; pour de faux clients : Soc. 18 mars 2008, n° 06-45.093 et n° 06-40.852 ; pour des enregistrements Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738). Autrement dit, lorsque l’employeur prévient en amont les salariés du recours à un client mystère, il n’est pas certain que ce soit encore un procédé déloyal. Reste que l’information préalable d’une technique d’évaluation est une garantie assez faible : le salarié ne sait ni quand ni par qui il est surveillé. Les autres chambres de la Cour de cassation ont d’ailleurs abordé le problème sous un angle différent. La chambre criminelle a récemment retenu que le recours à la méthode du client mystère par des agents habilités n’est pas déloyal dès lors que ce procédé a été utilisé sans provocation à l’infraction, et sans contournement ni détournement de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne poursuivie. En particulier dans cette affaire, la méthode d’enquête ne révélait aucun risque de partialité. (Crim. 27 juin 2023, n° 22-83.338). La chambre commerciale, appelée également à se prononcer sur le recours au client mystère pour mettre à jour des actes de concurrence déloyale, a écarté ce mode de preuve au motif que l’enquêteur étant rémunéré par le demandeur, ce stratagème était de nature à faire douter de la neutralité du comportement de l’enquêteur (Com. 10 nov. 2021, n° 20-14.669). Ainsi, ce n’est pas tant l’information préalable que l’impartialité du client mystère qui pourrait être en débat. Or en droit du travail, c’est évidemment l’employeur qui rémunère le prestataire.
Reste que, même si le procédé du client mystère était déclaré déloyal, il n’est pas acquis que la preuve alors obtenue soit systématiquement écartée des débats. Désormais, le droit à la preuve permet parfois à l’employeur de se prévaloir d’un mode de preuve qu’il a obtenue sans respecter scrupuleusement ses obligations légales (Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523). En serait-il de même d’un stratagème déloyal ? Là encore, l’arrêt ne livre aucune réponse. Il faudra donc attendre la position de l’Assemblée plénière puisque la chambre sociale a récemment renvoyé deux pourvois concernant l’articulation du droit à la preuve et le principe de loyauté probatoire. (Soc. 1er févr. 2023, n° 20-20.648 et n° 21-11.330).
Références :
■ Soc. 14 mars 2000, n° 98-42.090 : D. 2000. 105 ; RTD civ. 2000. 801, obs. J. Hauser
■ Soc. 10 juill. 2002, n° 00-42.368
■ Soc. 17 mars 2021, n° 18-25.597 : D. 2021. 637 ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Dr. soc. 2021. 657, obs. J. Mouly ; RDT 2021. 454, obs. A.-L. Mazaud
■ Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18.427 : D. 2014. 2308 ; ibid. 2015. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; Dr. soc. 2015. 81, obs. D. Boulmier ; JT 2014, n° 170, p. 11, obs. D. Rieubon
■ Soc. 15 mai 2001, n° 99-42.219 : D. 2001. 3015, obs. T. Aubert-Monpeyssen
■ Soc. 23 nov. 2005, n° 04-41.401
■ Soc. 27 mars 2013, n° 11-26.539 : D. 2013. 926
■ Ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14. 316, n° 09-14.667
■ Soc. 4 juill. 2012, n° 11-30.266 : D. 2012. 1894 ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
■ Soc. 18 mars 2008, n° 06-45.093 et n° 06-40.852 : D. 2008. 992, obs. B. Ines ; Dr. soc. 2008. 608, obs. C. Radé
■ Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738 : D. 2013. 439, obs. J. Siro ; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; Dr. soc. 2013. 626, chron. R. Salomon ; RTD civ. 2013. 380, obs. H. Barbier
■ Crim. 27 juin 2023, n° 22-83.338 : Rev. sociétés 2023. 528, note H. Matsopoulou
■ Com. 10 nov. 2021, n° 20-14.669 : D. 2022. 497, note C. Golhen ; ibid. 2021. 2262, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; RTD civ. 2022. 135, obs. H. Barbier
■ Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523 : D. 2021. 117, note G. Loiseau ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger ; ibid. 170, étude R. Salomon ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne ; Légipresse 2021. 8 et les obs. ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier
■ Soc. 1er févr. 2023, n° 20-20.648 et n° 21-11.330 : D. 2023. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
Pour aller plus loin
■ Gwendoline Lardeux, La conciliation entre secrets juridiques et vérité judiciaire : méthodes et sources du droit en question, D. 2023, p. 898
■ Dernières jurisprudences sur le droit à la preuve, compte rendu de l’intervention de S. Mariette, SSL, n° 2048, du 20 mai 2023
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