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[ 4 janvier 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Le débiteur au cœur de la force majeure

Une hospitalisation d’urgence empêchant le créancier de profiter de sa prestation mais non d’exécuter son obligation de paiement du prix du contrat ne constitue pas un cas de force majeure.

Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-21.060

Selon l’article 1218 du Code civil introduit par la réforme de 2016, il y a force majeure en matière contractuelle « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Ce texte, applicable aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, fut édicté à l’effet de clarifier les incertitudes nées de l’application contrastée de la notion par la jurisprudence antérieure. Il ne les a cependant pas toutes dissipées, comme en témoigne un arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 novembre 2020, dans lequel celle-ci devait non sans difficulté répondre à la question de savoir si un créancier empêché de profiter de la prestation qui lui était due par un cas constitutif de force majeure pouvait invoquer celle-ci pour obtenir la résolution du contrat qu’il avait conclu. Elle y a répondu par la négative, jugeant ce texte inapplicable au créancier, en l'espèce, d'un contrat d’hébergement passé à la fin de l’année 2017. 

Il avait été conclu auprès d’un établissement thermal par un couple qui en avait réglé intégralement le prix dès leur arrivée. L’époux avait été hospitalisé en urgence dès la première semaine avant d’être rejoint, quatre jours plus tard, par sa femme, également contrainte de quitter le lieu d’hébergement pour assister son conjoint. Ainsi empêché de profiter des deux dernières semaines d’hébergement convenues, le couple avait assigné leur prestataire en résolution du contrat et en indemnisation, soutenant que les circonstances ayant eu pour effet d’écourter leur séjour revêtaient les caractères de la force majeure.

Un tribunal prononça la résiliation du contrat et condamna le prestataire à leur verser des indemnités en conséquence de la survenance d’un cas jugé constitutif de force majeure : « M. X a été victime d’un problème de santé imprévisible et irrésistible et (…) Mme X a dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres de l’établissement de la société, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat d’hébergement ». 

La société se pourvoit en cassation, prétendant que si la force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle d’échapper à sa responsabilité et d’obtenir la résolution du contrat, c’est à la condition qu’elle l’empêche d’exécuter sa propre obligation. L’événement tiré de l’hospitalisation de l’époux n’avait pas empêché le couple d’exécuter l’obligation dont il était débiteur, puisqu’il avait effectivement réglé le prix convenu, mais l’avait simplement privé de la possibilité de profiter de l’intégralité de la prestation dont il était créancier.

Au visa de l’article 1218 du Code civil, la Haute juridiction casse le jugement. Conformément à la lettre de ce texte, qui réserve la possibilité d’invoquer la force majeure au débiteur, la Cour affirme que le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant un cas de force majeure. Dès lors, le tribunal, en statuant comme il l’a fait alors qu’il résultait de ses propres constatations que « M. et Mme X avaient exécuté leur obligation en s’acquittant du prix du séjour, et qu’ils avaient seulement été empêchés de profiter de la prestation dont ils étaient créanciers, (…) a violé le texte susvisé ».

Ainsi ressort-il sans équivocité de cette décision, privant le défendeur au pourvoi, en raison de sa qualité de créancier, d’invoquer la force majeure en dépit de circonstances extérieures, imprévisibles et irrésistibles l’ayant empêché de profiter de la prestation qui lui était due, que la force majeure reste, à quelques rares exceptions (Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-13.316), un instrument de protection offert au seul débiteur. L’étroite corrélation de cette notion avec la théorie des risques et l’adage traditionnel res perit debitori est généralement avancée pour justifier cette exclusivité (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 820, n° 759). 

Elle doit toutefois être contestée, en droit comme en équité. D’une part, ce défaut de réciprocité s’accommode mal avec celle, consubstantielle au contrat synallagmatique par lequel « les contractants s’oblige(a)nt réciproquement les uns envers les autres » (C. civ., art. 1106, al. 1), le créancier d’une prestation est en même temps débiteur de celle attendue par son cocontractant. D’autre part, cette règle de faveur énoncée au profit exclusif du débiteur signe une iniquité depuis longtemps dénoncée et, par les temps économiquement délétères qui courent, a fortiori contestée : « Pour des raisons d’équité, il nous paraît important de reconnaître au créancier la faculté d’invoquer la force majeure pour obtenir l’anéantissement du contrat. Dans ce cas, par principe, le créancier ne saurait être contraint d’exécuter son obligation, et, s’il l’a déjà fait, il devrait obtenir restitution » (C. Grimaldi, « La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit », D. 2009. 1298, spéc. N° 17). Si les auteurs de la réforme de 2016 sont manifestement restés insensibles à cette injustice légitimement décriée, l’ampleur des méfaits économiques subis par de nombreux créanciers en raison de l’épidémie de la covid-19, jugée constitutive de force majeure, aurait pu (dû ?) conduire les juges à infléchir leur position (C. Grimaldi, « Quelle jurisprudence demain pour l’épidémie de covid-19 en droit des contrats ? », D. 2020. 827, spéc. n° 10. Cette décision montre qu’il n’en est rien, comme l’indique la formulation lapidaire et autoritaire ici employée par la Cour pour réitérer la règle partant bel et bien acquise selon laquelle la force majeure ne peut être invoquée par le créancier, même empêché par des circonstances en relevant de profiter de la prestation qui lui était due.

Cela étant, le débiteur lui-même a parfois fait les frais d’une même sévérité en raison de la nature, monétaire, de l’obligation à laquelle il souhaitait échapper en excipant d’un cas de force majeure (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306: « Le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure »). Du fait de sa nature pécuniaire, l’obligation serait en effet présumée pouvoir toujours être exécutée. Cependant, la Cour de cassation fait généralement preuve, à l’endroit du débiteur, de souplesse, l’autorisant, si un retard dans l’exécution de son obligation de payer lui est imputé, à invoquer un cas de force majeure tiré d’une impossibilité matérielle avérée de payer à temps (Civ. 3e, 17 févr. 2010, n° 08-20.943; Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-18.921).

Au contraire, le créancier se voit invariablement opposer une sévérité en partie injustifiée qui, en cela, s’apparente davantage à une rigidité d’appréciation qu’il conviendrait de délaisser au profit d’une application mesurée de la notion ou du moins, ajustée aux circonstances. La multiplication des demandes formulées en ce sens, en cette période de crise liée au coronavirus, par des créanciers de plus en plus nombreux, en offre l’occasion. Reste à la saisir.

Références :

■ Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-13.316 P:  D. 1998. 539, note D. Mazeaud ; RTD civ. 1998. 674, obs. J. Mestre ; ibid. 689, obs. P. Jourdain

Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 P : D. 2014. 2217, note J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 17 févr. 2010, n° 08-20.943 P : D. 2010. 653 ; ibid. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2010. 546, obs. Y. Rouquet

■ Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-18.921: AJDI 2019. 819

 

Auteur :Merryl Hervieu


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