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[ 15 juin 2021 ] Imprimer

Procédure civile

Le défaut d'accomplissement d'une charge de la procédure ne constitue pas en lui-même une faute civile

Dans un arrêt de principe rendu le 27 mai 2021, la Cour de cassation affirme que le défaut d’accomplissement d’une charge de procédure par celui à qui elle incombe ne constitue pas en lui-même une faute au sens de l'article 1240 du Code civil en sorte que l’absence de remise au greffe par un demandeur au pourvoi du mémoire ampliatif dans le délai requis, ne caractérise pas à lui seul un fait dommageable justifiant d’engager sa responsabilité. 

Civ. 2e, 27 mai 2021, n° 19-23.898

Les défendeurs à un pourvoi en cassation avaient assigné en responsabilité le demandeur qui, en ayant laissé expirer le délai de quatre mois qui lui était imparti pour remettre un mémoire ampliatif (C. pr. civ., art. 978), avait ainsi causé la déchéance du pourvoi. Plus précisément, les défendeurs entendaient obtenir le paiement d’une indemnité au titre des frais qu’ils avaient exposés pour constituer avocat devant la Cour de cassation, ainsi que l’obtention de dommages-intérêts pour procédure abusive et action dilatoire. Ils obtinrent gain de cause en première instance, le tribunal condamnant leur adversaire, par un jugement rendu en dernier ressort, à leur payer une certaine somme, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, relatif aux frais engagés par une partie à l’occasion d’une instance non compris dans les dépens. La motivation du tribunal reposait sur la commission d’une faute civile d’abstention du demandeur au pourvoi. 

Devant la Haute cour, ce dernier fit alors grief au tribunal d’avoir prononcé cette condamnation alors que le défaut de remise d’un mémoire dit « ampliatif » (contenant les moyens de cassation) dans le délai requis par l’article 978 du Code de procédure civile par un demandeur en cassation ayant formé un pourvoi à titre conservatoire auquel il entend finalement renoncer, ne constitue pas une faute civile. Dès lors, en retenant à l’inverse qu’il avait « nécessairement » commis une faute en n’accomplissant pas cette charge processuelle et en laissant intervenir la déchéance du pourvoi qu’il avait formé, le tribunal aurait violé, selon le demandeur, les articles 1240 du code civil et 978 du Code de procédure civile. La deuxième chambre civile lui donne raison, au visa de l’article 1240 du Code civil qui fonde la responsabilité civile pour faute et qu’elle juge inapplicable à la cause au motif que le défaut d’accomplissement d’une charge de la procédure par la partie à laquelle elle incombe ne constitue pas, en l’absence d’abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur, lequel n’encourt d’autres sanctions que celles prévues par les règles procédurales applicables à l’instance en cause. 

Expressément prévus par l’article 700 du Code de procédure civile (Decr. n° 76-714, 29 juill. 1976, art. 5 ; remplace Decr. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 163 ; modif. Décr. n° 2013-1280, 29 déc. 2013, art. 2 2), les frais irrépétibles sont les frais, autres que les dépens prévus par l’article 695 du même code, exposés par une partie à l’occasion d’une instance. Or ce texte prévoit une modalité originale de leur règlement, conférant au juge la faculté de condamner à ce titre la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à la partie gagnante une somme qu’il détermine pour couvrir le remboursement des frais générés par l’instance (honoraires d’avocat, frais de transport et de séjour pour les besoins du procès, frais d’expertise amiable, etc.). La partie gagnante a donc en principe un droit au remboursement de ses frais irrépétibles, sauf si des considérations d’équité conduisent à en dispenser totalement ou partiellement l’autre partie. Ce mécanisme processuel spécifique lui permet ainsi d’obtenir, à titre de compensation, une indemnisation forfaitaire des frais exposés pour l’instance, non compris dans les dépens, notamment dans l’hypothèse de la déchéance d’un pourvoi (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-20.653 ; Civ. 2e, 16 mai 2019, n° 18-16.287 ; Civ. 2e, 4 avr. 2019, n° 17-31.214 ; Civ. 3e, 15 oct. 2014, n°13-14.271). 

La décision rapportée offre alors l’occasion de rappeler que l’indemnité accordée à ce titre ne doit pas être confondue avec celle allouée à une partie victime d’une procédure abusivement engagée par son adversaire. Contrairement à l’indemnité versée à une partie pour abus du droit d’ester en justice de l’autre, l’indemnité prévue par l’article 700 du Code de procédure civile n’a pas pour fondement la faute délictuelle - qui serait commise par une partie à l’égard de l’autre -, mais réside dans le droit fondamental de tout justiciable d’accéder à la justice  (Sur le droit à l’"accès au juge" en matière civile, v. CEDH 21 févr. 1975, Golder c/ Royaume-Uni, série A, n  18, § 36 ; S. Guinchard, Droit processuel - Droit commun et droit comparé du procès, Précis Dalloz2e éd., n  238, p. 359, spéc. n° 241, p. 361)

Ainsi, la Cour de cassation avait-elle déjà jugé que la condamnation prononcée au titre de l’article 700 ne suppose pas la constatation d’un appel dilatoire ou abusif, ni même une simple faute à la charge de la partie condamnée (Civ. 2e, 23 juin 1982, n° 79-17.094). C’est la raison pour laquelle dans cette affaire, le demandeur aurait pu se contenter de soutenir, à l’appui de son pourvoi, que sa condamnation sur le fondement de l’article 700 au remboursement des frais d’avocat, qui constituent des frais irrépétibles, ne pouvait être valablement motivée par le tribunal par la prétendue faute qu’il aurait commise. Il préféra toutefois centrer son argumentaire sur la seule absence de faute, au sens de l’article 1240 du Code civil, résultant de son défaut de remise du mémoire ampliatif. Et la Cour de cassation de le suivre dans cet argumentaire qu’elle approuve en jugeant la seule circonstance que l’auteur du pourvoi en cassation n’ait pas déposé son mémoire ampliatif insuffisante à caractériser une faute civile justifiant le remboursement des frais d’avocats exposés par les défendeurs au pourvoi ou l’octroi de dommages-intérêts (pt. 8).

Au-delà (pt. 7), la Cour étend la portée de sa solution à l’ensemble des charges de procédure par la formulation d’un attendu de principe à notre connaissance inédit : « le défaut d’accomplissement d’une charge de la procédure par la partie à laquelle elle incombe ne constitue pas, en l’absence d’abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur ». 

Cette affirmation n’allait pas de soi. Si la notion de charge processuelle peut être définie comme la « nécessité imposée par la loi au titulaire d’un droit dans la mise en œuvre de celui-ci » (N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., Dalloz, 2020, n° 561), son défaut d’accomplissement ne se présente pourtant pas comme un fait illicite, mais comme « un fait dommageable » (G. Cornu [dir.], Vocabulaire juridique, v° Charge, 13e éd., PUF, 2020). 

À première vue, cette définition ne permet pas d’expliquer la solution rendue, qu’elle semble même contredire. Il convient alors de la compléter en identifiant la victime de ce fait dommageable, au regard des intérêts lésés : le défaut d’accomplissement d’une charge de procédure constituerait « une sorte d’auto-sanction » (G. Cornu [dir.], op. cit., loc. cit.) pour celui qui ne l’assume pas, ainsi responsable de son propre dommage mais n’en causant pas à autrui dont les intérêts sont en fait préservés. 

Rapportés à l’espèce, ces éléments de définition, quelque peu théoriques, permettent néanmoins d’expliquer le principe affirmé : le défendeur au pourvoi n’ayant pas, par définition, pris l’initiative du pourvoi et ne disposant pas de droit au dépôt par le demandeur d’un mémoire ampliatif, il ne peut alors se prévaloir de la faute de ce dernier quand bien même en pratique, doit être tempérée l’absence de lésion des intérêts du défendeur au pourvoi, consistant à ce que le litige, au lieu de s’éteindre, se voit effectivement soumis à la Cour de cassation. Selon les cas, l’idée que ses intérêts puissent être, au même titre que ceux du demandeur, lésés par ce défaut d’accomplissement nous semble pouvoir être défendue. 

Quoi qu’il soit, la portée de la solution semble également devoir être étendue à l’ensemble des voies de recours dont l’exercice suppose d’accomplir un acte de procédure dans un certain délai requis, principalement la procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire (C. pr. civ., art. 908 et 911).

Nul doute en tout cas que cet arrêt devrait, par son importance à la fois théorique et pratique, rester dans les mémoires !

 

Auteur :Merryl Hervieu

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