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[ 20 février 2014 ] Imprimer

Contrats spéciaux

Le difficile engagement de la responsabilité du créancier envers la caution dirigeante

Mots-clefs : Cautionnement, Caution avertie, Responsabilité contractuelle, Dol par réticence, Preuve du manquement du créancier, Responsabilité délictuelle, Soutien abusif du débiteur

L’engagement de la responsabilité contractuelle du créancier pour dol suppose que la caution dirigeante rapporte la preuve que celui-ci a sciemment omis de lui communiquer des informations essentielles à l’appréciation de la situation de la société cautionnée ; l’engagement de la responsabilité délictuelle du créancier pour soutien abusif consenti au débiteur est rendu impossible par la qualité de caution avertie.

Voici un arrêt qui rassurera certainement les établissements de crédit, généralement confrontés à des cautions sollicitant la nullité de leur engagement.

En l'espèce, une caution, dirigeant d’une société dont il avait garanti l’emprunt, recherchait la responsabilité de la banque créancière, une fois celle-ci condamnée à payer au liquidateur une certaine somme au titre de la réparation du préjudice né de l’octroi du crédit litigieux.

La cour d'appel avait refusé de retenir la responsabilité contractuelle de la banque : en sa qualité de dirigeant, la caution ne pouvait prétendre avoir légitimement ignoré la situation de la société cautionnée (débiteur principal), en sorte que la banque n’avait pas manqué à son obligation d’information et la responsabilité contractuelle de celle-ci pour dol par réticence devait être rejetée ; en revanche, les juges du fond avaient, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, accepté d’indemniser le préjudice personnel de la caution causé par le crédit abusivement consenti au débiteur principal.

Au soutien de son pourvoi en cassation, la caution fit au contraire valoir le manquement de la banque à son obligation de contracter de bonne foi dès lors que, sachant la situation de son débiteur irrémédiablement compromise ou du moins lourdement obérée, celle-ci avait omis de porter cette information à sa connaissance, omission constitutive d’un dol par réticence, peu important sa qualité de dirigeant.

Le pourvoi est rejeté : puisqu’il n’avait pu être établi que la banque avait sur la société des informations que la caution ignorait, celle-ci, parfaitement informée de la situation de la société cautionnée, ne pouvait reprocher à la banque un manquement à son obligation d’information et donc une réticence dolosive.

En effet, l'existence d'une obligation d’information constitue l’élément matériel du dol par réticence, nécessaire à sa caractérisation. Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle pu juger, dans une décision controversée, qu'aucune obligation d'information ne pesant sur l’acheteur, celui-ci n'est pas tenu de faire connaître au vendeur la valeur exacte des photographies vendues et ne commet pas de réticence dolosive en s'en abstenant (arrêt BaldusCiv. 1re, 3 mai 2000).

De manière plus générale, la réticence dolosive ne peut être retenue toutes les fois que l'obligation d'information est exclue par la circonstance que celui qui se prétend victime d'un dol n'établit pas que son cocontractant détenait des informations dont lui-même ne disposait pas.

La règle ici rappelée trouve un champ naturel d’application en matière de cautionnement consenti par des dirigeants de sociétés. Pour établir le dol, la caution a la charge de prouver (depuis Civ. 1re, 20 juin 2000) que des informations essentielles et difficilement accessibles, malgré sa qualité de dirigeant, ne lui ont pas été communiquées. De surcroît, la caution devra également établir l’intentionnalité de cette dissimulation, ce qui suppose : 

– d’une part, de démontrer que le créancier ne pouvait ignorer la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal ; 

– et d’autre part, de rapporter la preuve qu'intentionnellement, il s'est gardé de lui communiquer cette information.

En l’espèce, l’ensemble de ces éléments n’a pu être fourni et la caution dirigeante, sur laquelle pesait la charge de la preuve, a dû ainsi en assumer le risque : la responsabilité contractuelle de la banque fut écartée.

En outre, la responsabilité délictuelle de la banque, retenue en appel en application de la règle selon laquelle un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén. 6 oct. 2006), fut également rejetée par la Cour.

Si, depuis longtemps, la responsabilité du créancier, ayant abusivement soutenu le débiteur et ainsi contribué à sa ruine, est abondamment et avec succès invoquée par les cautions, quoique tiers au contrat principal (v. Trav. Ass. H. Capitant), la Cour de cassation, afin d'enrayer l'invocation systématique de l'argument fondé sur le soutien abusif, a décidé que, sauf circonstances exceptionnelles, et notamment la preuve que le créancier avait connaissance d'informations sur les revenus, le patrimoine et les facultés de remboursement prévisibles non connues d'eux-mêmes, les dirigeants de société débitrice et autres cautions « averties », telles que les associés, ne sont pas fondés à mettre en œuvre la responsabilité du banquier pour soutien abusif (v. not. Com. 15 févr. 1994 ; Com. 18 mars 2003, pour des époux cautions, seuls associés. Com. 2 oct. 2012).

Com. 28 janv. 2014, n°12-27.703

Références

■ Article 1382 du Code civil

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

 Civ. 1re, 3 mai 2000Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2002. 928, obs. O. Tournafond.

 Civ. 1re, 20 juin 2000, n° 98-13.421.

 Ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255, D. 2006. 2825, note G.Viney JCP 2006. II. 10181, obs. M. Billiau ; RDC 2007. 269, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2007. 123, obs. P. Jourdain.

■ Com. 15 févr. 1994Bull. civ. IV, n° 60, n°92-11.591.

■ Com. 18 mars 2003, n°98-16.427, RJDA 11/2003, n° 1109.

■ Com. 2 oct. 2012, n° 11-21.847.

 Trav. Ass. H. Capitant, La responsabilité du banquier : aspects nouveaux, t. XXXV, 1984, spéc. Rapp. général, par F. Derrida, p. 19 et Rapp. français, par. J. Stoufflet, p. 143 s.

 

Auteur :M. H.


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