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[ 2 décembre 2024 ] Imprimer

Droit bancaire - droit du crédit

Le dirigeant avalisant un billet à ordre par une double signature associée au cachet de la société ne s’engage pas personnellement

Ayant constaté qu'à côté de la signature apposée sur le cachet de la société souscriptrice d'un billet à ordre, son gérant avait également apposé sa signature sur le cachet de la même société dans la partie concernant l'aval, une cour d'appel en a exactement déduit que ce gérant ne s'était pas engagé à titre personnel en qualité d'avaliste.

Com. 23 oct.2024, n° 22-22.215 P

En quelle qualité s’engage le dirigeant social ayant doublement signé, avec le cachet de la société, un billet à ordre avalisé ? Telle est la question, récurrente dans la jurisprudence commerciale récente, que la Cour de cassation était amenée à trancher dans l’arrêt rapporté.

En l’espèce, une banque bénéficiaire d’un billet à ordre émis par une société placée en liquidation judiciaire avait déclaré sa créance à la procédure collective puis assigné le dirigeant de cette société en paiement du billet à ordre, considérant qu’il s’était engagé à titre personnel en qualité d’avaliste. En première instance puis en appel, sa demande fut rejetée, aux motifs qu’il ne résultait pas de manière claire et univoque que le gérant de la société avait, en avalisant le billet à ordre, entendu s’engager personnellement. Pour les juges du fond, la confusion venait du fait que le dirigeant social avait apposé, en tant que représentant légal, une double signature sur le cachet de la société, l’une en qualité de souscripteur du billet à ordre, l’autre en qualité de donneur d’aval.

Or en principe, une même personne ne peut pas, en la même qualité, intervenir à la fois comme souscripteur d’un billet à ordre et comme donneur d’aval de ce même effet de commerce, sauf à faire disparaître l’apport de la garantie de l’aval. De même qu’il ne peut utilement émaner du tiré accepteur d’une lettre de change, l’aval ne peut être donné par le souscripteur, débiteur principal du billet à ordre. En raison de cette incompatibilité, et faute d’indication accompagnant la signature du dirigeant, la banque, demanderesse au pourvoi, alléguait que le dirigeant avait nécessairement avalisé le billet à ordre en son nom personnel. Elle s’appuyait en ce sens sur la règle prétorienne selon laquelle faute d’indiquer la qualité en laquelle il intervient, le dirigeant avalisant un billet à ordre souscrit par la société s’engage personnellement, et non comme représentant légal (Com. 15 févr. 2023, n° 21-22.990 ; 14 oct. 2014, n° 13-17.638) Selon l’établissement bancaire, en l’’absence de précision accompagnant sa signature, le représentant légal de la société, intervenu ès qualité à la fois comme souscripteur et comme donneur d’aval, aurait ainsi souscrit un engagement personnel.

Or cette thèse ne pouvait convaincre la chambre commerciale, qui récuse tout engagement personnel du dirigeant comme avaliste dès lors que ce dernier a indiqué donner sa garantie en qualité de représentant légal de la société (Com. 20 juin 2018, n° 17-15.356). Ainsi la mention « Bon pour aval ès qualité de dirigeant social de la société X » a été jugée comme écartant clairement un engagement personnel du signataire (Com. 9 févr. 2016, n° 14-10.846). Et même à défaut d’une telle mention, il a été admis que l’ambiguïté du titre contenant la double signature du dirigeant social sur un billet à ordre avalisé devait être interprétée comme excluant tout engagement personnel de sa part (Com. 17 févr. 2021, n° 19-15.246). Or en l’espèce, il n’était pas discuté que le dirigeant avait doublement signé le billet à ordre en qualité de président de la société, une fois comme souscripteur, une fois comme avaliste. Il en résultait que l’aval avait été consenti par l’intéressé en tant que représentant légal, ce qui devait logiquement conduire la chambre commerciale, sauf à rompre avec sa jurisprudence antérieure, à exclure tout engagement personnel de sa part. Par l’ajout d’une telle précision, renvoyant au seul engagement de la société, le signataire ne s’est donc pas comporté comme un donneur d’aval. Partant, sa signature ne vaut que pour l’engagement principal de la société et ce, quel que soit l’endroit où cette signature est apposée sur l’effet de commerce.

Regrettable sur le terrain du droit cambiaire, la possibilité pour un dirigeant d’engager sous sa double signature la même société, à la fois comme souscripteur et comme avaliste, se voit donc reconnue dans le cas où son intervention ès qualité de dirigeant est indiquée, soit même en cas d’ambiguïté du titre. Sur le terrain du droit des contrats, cette solution doit en revanche être approuvée si l’on tient compte de la nécessité, dans une logique empruntée au droit commun, de protéger l’intégrité du consentement du donneur d’aval et de vérifier la certitude de son engagement. Ce n’est donc qu’en l’absence d’indication de la qualité en laquelle le dirigeant donne son aval sur le billet souscrit par sa société qu’il pourra être tenu personnellement à garantir le paiement du billet. Il convient en conséquence d’exclure, dans les autres hypothèses, tout engagement personnel de sa part, tant au regard de la gravité de l’engagement de l’aval qu’au nom de la sécurité juridique des billets à ordre. Certes, la garantie censée être apportée par l’aval se trouve, dans ces hypothèses, dépourvue d’intérêt pour le bénéficiaire et ainsi, privée d’effet. Ce qui invite à penser qu’une telle solution est retenue par la Cour à l’effet d’inciter les parties à un billet à ordre à définir avec clarté et sans équivocité leurs engagements. 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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