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Droit de la famille
Le discernement : seul critère préalable à l'audition du mineur
Mots-clefs : Civil, Procédure civile, Audition du mineur, Champ d’application, Critères de l'audition, Discernement, Appréciation
Lorsqu’une demande d’audition est formée par le mineur, son refus ne peut être fondé que sur son absence de discernement, et non seulement sur son âge.
Un juge aux affaires familiales avait fixé la résidence d'un enfant chez sa mère et aménagé le droit de visite et d'hébergement du père, l'exercice de l'autorité parentale étant conjoint. Pour rejeter la demande d'audition présentée par l'enfant, la cour d’appel retint, d'une part, que celui-ci n’était âgé que de neuf ans et n’était donc pas capable de discernement, d'autre part, que la demande paraissait contraire à son intérêt.
Au visa des articles 388-1 du Code civil et 338-4 du Code de procédure civile, cette décision est cassée par la Cour, déduisant de la combinaison de ces textes que, lorsque la demande est formée par le mineur, le refus d'audition ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas. Or, privant sa décision de base légale, la cour d’appel s’est bornée à se référer à l'âge du mineur, sans expliquer en quoi celui-ci n'était pas capable de discernement, et par un motif impropre à justifier le refus d'audition.
L'article 388-1 du Code civil dispose que : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande par la personne désignée par le juge à cet effet ». Relatif à toute audition du mineur en justice, ce texte, dont le domaine d’application dépasse l’hypothèse la plus courante du divorce des parents du mineur, fonde le principe général de son droit à être entendu dans toute procédure le concernant, directement ou non.
Concernant les critères de l’audition, deux systèmes sont concevables :
– soit un système quantitatif et abstrait, faisant dépendre l’intérêt et la légitimité de l’audition d'un âge défini de manière objective et statistique ;
– soit un système qualitatif et subjectif, supposant de rechercher si la personne a effectivement atteint le degré de maturité requis pour être auditionnée, lequel implique une appréciation in concreto, au cas par cas, de sa capacité de discernement, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Alors que le premier, soutenu par une partie de la doctrine (v. not., F. Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille, coll. « Rapports officiels », La Documentation française, 1999, p. 102 ; Dr. fam. 2006, études 38, spéc. n° 7) offre l'avantage de la certitude, il présente cependant l'inconvénient de l'arbitraire.
Le second, plus souple, fait toutefois naître le risque d’une application disparate par les juges et conduit, de manière là aussi quelque peu arbitraire et illégitime, à priver les jeunes enfants du droit d’être entendus. Il avait d’ailleurs été proposé par certains parlementaires de supprimer par amendement toute référence au discernement de l'enfant, ce qui aurait eu pour effet de permettre à ce dernier, même très jeune, de demander à être entendu par le juge (Déb. AN 9 janv. 2007, 3e séance, session 2006-2007).
C’est pourtant bien le système qualitatif qui, depuis la loi n°93-22 du 8 janvier 1993, est érigé en principe en matière d'audition du mineur. Lors de la loi de réforme des incapacités (L. n°2007-308 du 5 mars 2007), ce choix a été maintenu, l'article 388-1 du Code civil étant resté, sur ce point, inchangé. Le critère du discernement, qui figure également aux articles 12 de la Convention de New York et 3 de la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, assure ainsi la conformité du droit interne au droit international.
L’audition de l’enfant ne dépend donc pas, objectivement, de son âge. Elle repose sur un seul critère, subjectif : son discernement. Non définie par la loi, la notion de discernement s’entend de la faculté du mineur d'apprécier avec justesse les situations. Selon le Défenseur des enfants (Rapp. ann. 2008, p. 191), « cette notion recouvre la capacité pour l'enfant de comprendre ce qui se passe, d'appréhender la situation qu'il vit, de pouvoir exprimer ses sentiments à ce propos ».
Pour l’apprécier, le juge tient compte de différents éléments. L'âge est, en pratique, souvent pris en compte, ce qui permet d’expliquer que les juges du fond se soient, en l’espèce, fondés sur le jeune âge de l’enfant – 9 ans – pour refuser de l’entendre. En effet, alors que l'audition des adolescents est généralement ordonnée, les juridictions se montrent plus réticentes à entendre de jeunes enfants. Mais les juges doivent plus largement, comme le rappelle ici la Cour, mesurer et tenir compte de la maturité et du degré de compréhension de l'enfant, quel que soit son âge, mais aussi des circonstances de la cause et de la nature du litige. Ainsi, l'enfant peut-il disposer d'un discernement suffisant sur le choix, celui de l’espèce, de sa résidence ou l'exercice d'un droit de visite, mais non sur une question d'ordre patrimonial (Civ. 1re, 25 juin 1996).
En toute hypothèse, le juge est libre dans son appréciation (C. pr. civ., art. 338-4). La décision d'entendre l'enfant lui appartient, quand bien même le mineur aurait, comme en l’espèce, sollicité cette audition. Au-delà du refus justifié par l'absence de discernement ou par le fait que la procédure ne concerne pas le mineur, l'article 338-4, alinéa 2, du Code de procédure civile permet également au juge de refuser l’audition s'il ne l'estime pas nécessaire à la résolution du litige ou qu’elle lui apparaît contraire à l'intérêt de l'enfant, dont les parents tentent parfois d'instrumentaliser la parole. Le juge doit cependant motiver son refus (C. pr. civ., art. 338-4, al. 3), le motif de ce refus devant figurer dans la décision au fond.
Civ. 1re, 18 mars 2015, n°14-11.392
Références
■ Dossier spécial « Parole de l’enfant », AJ fam. 2014. 11 s.
■ Civ. 1re, 25 juin 1996, n°94-14.858, RTD civ. 1996. 873, Defrénois 1997, art. 36516, p. 310, obs. J. Massip, n°39.
■ Code civil
« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.
Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne.
L'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.
Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. »
■ Article 338-4 du Code de procédure civile
« Lorsque la demande est formée par le mineur, le refus d'audition ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas.
Lorsque la demande est formée par les parties, l'audition peut également être refusée si le juge ne l'estime pas nécessaire à la solution du litige ou si elle lui paraît contraire à l'intérêt de l'enfant mineur.
Le mineur et les parties sont avisés du refus par tout moyen. Dans tous les cas, les motifs du refus sont mentionnés dans la décision au fond. »
■ Article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, faite à New York le 26 janvier 1990
« 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »
■ Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants du 25 janvier 1996
Article 3 – Droit d’être informé et d’exprimer son opinion dans les procédures
« Un enfant qui est considéré par le droit interne comme ayant un discernement suffisant, dans les procédures l'intéressant devant une autorité judiciaire, se voit conférer les droits suivants, dont il peut lui-même demander à bénéficier :
a. recevoir toute information pertinente;
b. être consulté et exprimer son opinion;
c. être informé des conséquences éventuelles de la mise en pratique de son opinion et des conséquences éventuelles de toute décision. »
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