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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Le droit à la présomption d’innocence de l’accusé qui n’en est plus un…
Mots-clefs : Présomption d’innocence, Détention provisoire
Dans le cadre d'une décision de justice relative à une demande en réparation du fait de la détention provisoire subie, la présomption d’innocence doit être respectée. Tel n’est pas le cas si les termes employés pour justifier le refus ne sont pas formulés avec suffisamment de précaution.
En vertu du § 2 de l’article 6 de la Conv. EDH, « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Le droit à la présomption d’innocence bénéficie d’une portée très étendue. Selon la juridiction strasbourgeoise, il y est porté atteinte « si sans établissement légal de la culpabilité d’un prévenu (…), une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable » (CEDH 25 mars 1983, Minelli c/ Suisse).
Ainsi, le droit à la présomption d’innocence ne joue pas seulement avant et pendant le procès pénal. Il doit également être respecté lors de décisions de justice prises après l’arrêt des poursuites ou après un acquittement. Il y a violation de l’article 6 § 2 lorsque, dans le cadre d’une demande en réparation du fait de la détention provisoire, une décision remet en question l’innocence de l’intéressé qui a pourtant été définitivement acquitté (CEDH 25 août 1993, Sekanina c/ Autriche ; CEDH 11 févr. 2003, O. c/ Norvège ; CEDH 13 janv. 2005, Capeau c/ Belgique). De même, les juridictions internes ne peuvent pas fonder leur refus de remboursement des frais de défense d’un requérant acquitté sur l’existence de soupçons quant à son innocence (CEDH 13 sept. 2011, Ashendon et Jones c/ Royaume-Uni).
En l’espèce, soupçonné de trafic de stupéfiants, le requérant fut placé en détention provisoire. La juridiction de jugement de première instance, le jugea coupable et le condamna à une peine de réclusion de six ans et cinq mois, moins la durée pendant laquelle il avait déjà été détenu préventivement. En appel, il fut acquitté et remis en liberté. Intentant une action en dommages-intérêts pour la détention provisoire subie, le requérant essuya un refus de la juridiction grecque, une telle réparation, conformément au droit interne, n’étant pas systématique. En effet, le droit grec prévoit que « L’État n’est pas obligé d’indemniser une personne qui (...) a été placée en détention provisoire si celle-ci s’est volontairement rendue responsable de sa propre détention (...) ».
Le requérant saisit alors la Cour européenne au motif, notamment, que le raisonnement suivi par de la cour d’appel criminelle Thessalonique pour rejeter sa demande de réparation de sa détention provisoire était incompatible avec le respect du principe de la présomption d’innocence, tel que garanti par l’article 6 § 2 de la Convention.
S’il est possible pour les législations des États de prévoir des limitations au droit à réparation de la détention provisoire d’un individu finalement acquitté, la Cour rappelle d’abord que « les termes employés par l’autorité qui statue revêtent une importance cruciale lorsqu’il s’agit d’apprécier la compatibilité avec l’article 6 § 2 de la décision et du raisonnement suivi ». Déjà saisie d’une affaire aux faits assez similaires concernant la Grèce, elle estime, ensuite, que le fait d’exiger du requérant, sans nuance ni réserve, qu’il prouve son innocence pendant une période où il bénéficiait de la présomption d’innocence, et de tirer des conséquences négatives de sa prétendue omission de le faire, notamment en rejetant sa demande d’indemnisation, est inconciliable avec les exigences de l’article 6 § 2 de la Convention.
Examinant in concreto la décision grecque, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 2 et précise que : « (...) la demande doit être rejetée comme non fondée car il ressort du dossier que le requérant accusé s’est rendu délibérément coresponsable de sa détention et de sa condamnation. Plus particulièrement, l’accusé n’a pas donné de réponses précises et convaincantes concernant la possession, avec son coaccusé (...), d’une certaine quantité de stupéfiants, fait pour lequel ce dernier a été condamné en assumant la responsabilité de la possession. De plus, l’accusé, avant son arrestation, se trouvait au domicile du coaccusé. Par ses réponses fuyantes et imprécises, il a tenté de susciter des doutes quant à son implication dans l’infraction concernant la détention en commun de stupéfiants qui lui était reprochée. »
Selon la CEDH, certaines phrases ne sont pas formulés avec suffisamment de précaution et font naître des doutes quant à l’innocence du requérant. Ainsi en est-il particulièrement de l’expression suivante : « par ses réponses fuyantes et imprécises, il avait tenté de susciter des doutes quant à son implication dans l’infraction concernant la détention en commun de stupéfiants qui lui était reprochée ». La Cour estime, qu’outre le renversement de la charge de la preuve, « de telles expressions méconnaissent le principe qui constitue l’essence même de la défense d’un accusé : tenter de démontrer qu’il est étranger à l’infraction qui lui est reprochée ».
CEDH 31 oct. 2013, Mosinian c/ Grèce, n°8045/10
Références
■ CEDH 25 mars 1983, Minelli c/ Suisse, no 8660/79.
■ CEDH 25 août 1993, Sekanina c/ Autriche, n°13126/87.
■ CEDH 11 févr. 2003, O. c/ Norvège, no 29327/95.
■ CEDH 13 janv. 2005, Capeau c/ Belgique, n°42914/98
■ CEDH 13 sept. 2011, Ashendon et Jones c/ Royaume-Uni, nos 35730/07 et 4285/08.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
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