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[ 20 octobre 2017 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le droit à l’emploi n’est pas une liberté fondamentale

Mots-clefs : Intérim, Contrat de mise à disposition, Requalification en contrat à durée indéterminé, Licenciement, Droit à l’emploi, Liberté fondamentale

Le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée.

En cas de violation de certaines règles encadrant le recours au travail temporaire, le code du travail permet au salarié de se prévaloir d’un CDI à l’encontre tant de l’entreprise de travail temporaire avec laquelle il a conclu un contrat de mission que de l’entreprise dite utilisatrice auprès de laquelle il a été mis à disposition. Bien souvent toutefois, le salarié qui obtient la requalification de sa relation de travail doit se contenter de dommages-intérêts. Compte tenu des délais de procédure pour obtenir une décision au fond, et de la durée corrélativement courte des missions de travail temporaire, le conseil de prud’hommes se prononce généralement après l’expiration de la mission. Dans ce cas, à défaut de texte prévoyant expressément la nullité de la rupture, la rupture intervenue s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le juge ne peut pas ordonner la poursuite du contrat déjà rompu (Soc. 21 sept. 2016, n° 15-15.165). Si le salarié agit en référé, avant la rupture de son contrat, la solution est analogue puisque, comme la cour de cassation a déjà eu l’occasion de le préciser de manière générale, « il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d’ordonner l’arrêt d’une procédure de licenciement et la poursuite du contrat de travail lorsque la nullité du licenciement n’est pas encourue » (Soc. 31 mars 2004, n° 01-46.960 et 01-46.961). La solution n’est différente qu’en cas d’atteinte par l’employeur à une liberté fondamentale. Même sans texte, le licenciement peut alors être annulé. C’est l’exemple de la rupture anticipée du contrat en représailles à une action en justice : le juge peut conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il en va de même si jamais le salarié obtient une décision du juge statuant au fond et ordonnant la poursuite de la relation de travail avant l’expiration de son CDD ou de sa mission intérimaire. Mais l’hypothèse, on l’a dit, est peu fréquente en pratique. 

En l’espèce, le travailleur intérimaire souhaitant se prévaloir d’un CDI suite à plusieurs irrégularités agit avant l’expiration de sa dernière mission. En référé, il réussit d’abord à obtenir la suspension du terme de sa mission, mais la cour d’appel infirme ensuite l’ordonnance de référé du premier juge. La première décision rendue au fond dans l’affaire n’intervient quant à elle qu’après rupture du contrat de travail. Pour contourner l’apparente impossibilité d’obtenir une réintégration, le salarié a l’idée d’invoquer son « droit à l’emploi » tel que consacré à l’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946. Il entend ainsi « faire respecter sa liberté fondamentale au maintien du salarié dans l’emploi suite à la violation des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire ». C’est sur ce fondement que la cour d’appel, statuant au fond, ordonne la poursuite de la relation de travail de l’intéressé. Dès lors qu’il en va d’une liberté fondamentale, les magistrats estiment ne pas avoir en prendre en compte la décision d’appel rendue en référé ni l’arrivée du terme convenue dans les contrats de mission et de mise à disposition. Mais ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation. Dans un attendu de principe, celle-ci retient que « le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée ». L’arrêt d’appel se trouve alors cassé. 

Si donc le droit à l’emploi ne peut être utilement invoqué dans pareille situation que celle de l’affaire en cause, c’est qu’il ne constitue pas une liberté fondamentale. L’arrêt du 21 septembre 2017 doit alors être rapproché d’un arrêt précédemment rendu dans l’affaire dite du « Bermuda » qui, sans ignorer l’existence d’une liberté, en dénie le caractère fondamental. Dans cet arrêt de 2003 (Soc. 28 mai 2003, n° 02-40.273), la Cour estime en effet que la liberté de se vêtir à sa guise ne constitue pas une liberté fondamentale, et partant que le licenciement lui apportant une restriction injustifiée ou disproportionnée n’encourt pas la nullité, seuls des dommages-intérêts pouvant être octroyés à la victime. Quelques quatorze ans plus tard, la Cour de cassation entend poursuivre son œuvre de catégorisation et de hiérarchisation des droits et libertés. Il y a ceux qui, fondamentaux, entraînent la nullité des actes juridiques qui les contrarient, et ceux dont la violation ne donne droit qu’à dommages-intérêts. Toute la question est de savoir ce qui fonde une telle distinction. 

La note explicative publiée sur le site internet de la Cour de cassation apporte une explication en deux temps. Il est d’abord affirmé que le droit à l’emploi ne constitue qu’un simple « droit-créance qui doit être concilié avec d’autres droits ou principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre qui fonde, pour l’employeur, le droit de recruter librement ou de licencier un salarié ». Sur ce point, la distinction terminologique entre « droit-créance » et « liberté fondamentale » peut paraître fuyante. Mais il reste que le droit à l’emploi ne peut trouver d’autre fondement supra-législatif que le préambule de la Constitution de 1946. Il en va différemment par exemple du droit de grève, énoncé dans le préambule de 1946 mais consacré aussi par des textes internationaux. Ensuite, la note explicative estime que c’est au législateur qu’il revient d’opérer cette conciliation entre des droits de nature constitutionnelle, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. On se souvient ainsi de la décision « Loi de modernisation sociale », du 12 janvier 2002 (n° 2001-455 DC), dans laquelle les sages de la rue Montpensier opèrent explicitement un contrôle de proportionnalité des atteintes apportées à la liberté d’entreprendre au nom du droit à l’emploi à propos du régime du licenciement économique. 

 

La Cour de cassation ne souhaite donc pas qu’un juge judiciaire puisse remettre en cause les équilibres déterminés par le législateur. En matière de licenciement injustifié, seul le versement de dommages-intérêts peut être imposé par le juge à l’employeur. La récente ordonnance « travail » du 22 septembre dernier confirme cette grille d’analyse. Le plafonnement des indemnités pour licenciement injustifié qu’elle institue n’est pas applicable en cas de nullité constatée par le juge, en particulier en cas de « violation d’une liberté fondamentale » (art. 2 de l’ordonnance, modifiant l’art. L. 1235-3-1 C. trav.). On comprend donc qu’un simple licenciement sans cause réelle et sérieuse, malgré l’atteinte apporté au droit à l’emploi du salarié, ne viole aucune liberté fondamentale. 

Soc. 21 septembre 2017, n° 16-20.270 et 16-20.277

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6, § 1.

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Préambule de la Constitution 1946

Alinéa 5

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

■ Soc. 21 sept. 2016, n° 15-15.165.

■ Soc. 31 mars 2004, n° 01-46.960 P et 01-46.961 P : D. 2004. 1213; Dr. soc. 2004. 666, obs. C. Radé.

■ Soc. 28 mai 2003, n° 02-40.273 P : D. 2003. 2718, note F. Guiomard ; ibid. 2004. 176, obs. A. Pousson ; Dr. soc. 2003. 808, note P. Waquet ; ibid. 2004. 132, étude P. Lokiec ; RTD civ. 2003. 680, obs. J. Hauser.

■ Cons. const. 12 janv. 2002, Loi de modernisation sociale, n° 2001-455 DC : AJDA 2002. 1163, étude F. Reneaud ; D. 2003. 1129, obs. L. Gay ; Dr. soc. 2002. 244, note X. Prétot ; ibid. 258, note A. Lyon-Caen ; RSC 2002. 673, obs. V. Bück.

 

Auteur :B. G.


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