Actualité > À la une

À la une

[ 27 janvier 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Le droit au respect de la vie familiale des grands-parents

Mots-clefs : Droits fondamentaux, Droit au respect de la vie familiale, Droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants, Limites, Balance des intérêts

Fondée sur les poursuites pénales engagées contre le père de l’enfant, la suspension du droit de visite de ses grands-parents constitue une violation du droit au respect de la vie familiale.

Dans son arrêt de chambre, rendu le 15 janvier 2015, Manuello et Nevi c/ Italie, la Cour européenne des droits de l’homme a retenu, à l’unanimité, une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’affaire concernait l’impossibilité pour les requérants de voir leur petite-fille en raison, dans un premier temps, de la non-exécution des décisions du tribunal autorisant des rencontres et, dans un second temps, de la décision du tribunal de suspendre celles-ci.

La Cour reconnaît que cette interdiction de rencontres entre les grands-parents et leur petite-fille, au motif que l’enfant associait ses grands-parents à son père et aux souffrances subies en raison de prétendus attouchements sexuels, s’inscrit dans les démarches que les autorités sont en droit d’entreprendre dans les affaires de sévices. 

Toutefois, en l’espèce, la procédure pénale à l’encontre du père était pendante quand les juridictions italiennes ont autorisé les rencontres et c’est après l’acquittement du père que les mêmes juridictions ont décidé d’interdire toute possibilité d’entrevue.

Bien que la Cour reconnaisse être consciente de la grande prudence qui s’impose dans des situations de ce type et que des mesures visant à protéger l’enfant peuvent impliquer une limitation des contacts avec les membres de la famille, elle estime que, dans cette affaire, les autorités n’ont pas déployé les efforts nécessaires pour sauvegarder le lien familial entre les grands-parents et leur petite fille, qui ne se sont pas vus depuis douze ans environ.

La Cour remarque à cet égard que trois ans se sont écoulés avant que le tribunal ne se prononce sur la demande des requérants de rencontrer leur petite-fille et que la décision du tribunal leur accordant un droit de visite n’a jamais été exécutée.

Si la Cour précise qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux autorités nationales quant aux mesures qui auraient dû être prises, elle affirme cependant ne pas pouvoir passer outre le fait que les requérants n’ont pu voir leur petite-fille durant une très longue période, et qu’en dépit de tous leurs efforts pour rétablir le lien familial, aucune mesure allant dans ce sens n’a été prise par les autorités.

Après avoir rappelé que les liens entre les grands-parents et les petits-enfants relèvent des liens familiaux au sens de l’article 8 Conv. EDH et que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que des mesures aboutissant à briser les liens entre un enfant et sa famille peuvent être appliquées, la Cour conclut que le droit au respect de la vie familiale des requérants a été, en l’espèce, méconnu.

Pour la Cour, le texte de l’article 8 de la Conv. EDH exige que, dans ce type d’affaires, le processus décisionnel des autorités nationales conduisant à prendre des mesures d’ingérence soit équitable et respecte la vie familiale des ascendants.

Remarquons, qu’en France, la même balance des intérêts familiaux en présence est, sous l’angle des droits fondamentaux de l’enfant comme de ses ascendants, effectuée par les juges.

Ainsi, en droit français, le droit de surveillance des parents ne les autorise pas à faire obstacle aux relations entre l’enfant et ses grands-parents et arrière-grands-parents : entretenir des relations personnelles avec ses ascendants est un droit de l’enfant (C. civ., art. 371-4, al. 1er).

En cas de difficulté dans l’entretien ou le maintien de ses relations, l’enfant, représenté par un mandataire ad hoc, et/ou ses grands-parents peuvent demander un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Ils doivent saisir le juge aux affaires familiales du lieu où demeure le mineur et mettre en cause les deux parents ainsi que le procureur de la République.

Avant de statuer, et pour bien comprendre les enjeux familiaux, le juge peut ordonner une enquête sociale ou médico-psychologique. Il peut aussi entendre l’enfant ou proposer une médiation.

Le juge fait droit à la demande, sauf si l’intérêt de l’enfant s’y oppose. Et c’est à celui qui prétend que les relations avec les grands-parents seraient néfastes pour l’enfant de le prouver.

En outre, l’existence d’un conflit, même important, entre les parents et les grands-parents, ne constitue pas nécessairement un motif susceptible de faire obstacle à des relations entre l’enfant et ses grands-parents (v. par ex., Civ. 1re, 14 janv. 2009).

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’équilibre psychologique et affectif de l’enfant serait susceptible d’être gravement perturbé que le juge peut rejeter la demande formée par les grands-parents. Un droit de visite et d’hébergement a ainsi pu être refusé à une grand-mère au motif qu’il était improbable que les enfants puissent être épargnés par le conflit existant entre celle-ci et la mère des enfants, que la douleur de la mère devrait être portée par des enfants encore trop jeunes pour se forger une opinion propre, et que les perturbations de la personnalité de la grand-mère pourraient être préjudiciables à ces derniers (Civ. 1re, 20 mai 2009). Aussi a-t-il de même été jugé qu’une réelle mésentente entre la mère et la grand-mère constituait un motif grave faisant obstacle à une relation saine et épanouissante pour l’enfant (Lyon, 24 juin 2009).

CEDH 15 janv. 2015, Manuello et Nevi c/ Italie, n°107/10

Références

■ Pour une vue d’ensemble, v. P. Murat (dir.), Droit de la famille 2014-2015, 6e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2013, n°233-32 s.

■ Article 371-4 du Code civil

« L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l'intérêt de l'enfant peut faire obstacle à l'exercice de ce droit.

Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables . »

■ Article 8 de la Conv. EDH - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ Civ. 1re, 14 janv. 2009, n°08-11.035.

■ Civ. 1re, 20 mai 2009, n°08-15.333.

■ Lyon, 24 juin 2009, n°08/6202.

 

Auteur :M. H.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr