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Droit des obligations
Le droit de se fier aux apparences
Dans une décision rendue le 19 mars dernier, la Cour de cassation applique la théorie de l’apparence à l’acte passé par l’associé d’une SCI qui n’avait pas les pouvoirs de représentation requis pour le conclure.
Par acte notarié, l’associé d’une société civile immobilière (SCI) avait, au nom et pour le compte de la société qu’il était censé représenter, reconnu une dette de 276 000 € à l’égard de deux créanciers et affecté un bien immobilier appartenant à la société en garantie hypothécaire.
Invoquant l’absence de pouvoir de son associé, la SCI et sa gérante avaient assigné les notaires ayant été chargés d’instrumenter l’acte litigieux ainsi que l’associé l’ayant souscrit aux fins de voir déclarer inopposables à la société la dette contractée, ordonner la mainlevée de l’hypothèque et engager la responsabilité civile professionnelle des notaires.
La cour d’appel rejeta leurs demandes : rappelant qu’en vertu de la théorie de l’apparence, un prétendu mandant peut être effectivement engagé dès lors que la croyance du tiers aux pouvoirs du mandataire apparent est légitime, elle jugea que la SCI était à ce titre engagée envers les bénéficiaires de la reconnaissance de dette souscrite par son associé, ces tiers au mandat apparent ayant pu raisonnablement croire, lors de la passation de l’acte, que l’associé était habilité à représenter la société.
La SCI et sa gérante forment un pourvoi en cassation pour contester, d’une part, le procès-verbal d’assemblée générale sur lequel les juges du fond s’étaient appuyés pour juger légitime la croyance des créanciers dans les pouvoirs en apparence détenus par l’associé ; à cette fin, ils soulignaient l’irrégularité manifeste de ce document, en ce qu’il était uniquement signé par un associé de la société sans qu’il eût été précisé que sa gérante lui avait délégué ses pouvoirs pour la tenue de cette assemblée à laquelle, en outre, étaient censés avoir participé tous les membres de la société dont aucun, pourtant, n’avait signé le PV ; d’autre part, ils contestaient l’analyse des juges d’appel consistant à voir dans le caractère notarié de l’acte un élément de nature à conforter la légitimité de la croyance des tiers et donc l’existence d’un mandat apparent alors qu’au contraire, selon les demanderesses au pourvoi, un tiers ne peut se prévaloir d’un mandat apparent si ce tiers était assisté d’un notaire lors de la signature de l’acte, ce dernier étant tenu, par sa mission d’authentification, de vérifier le pouvoir de représentation de celui qui prétend être mandaté par sa société.
Mais la troisième chambre civile rejette le pourvoi : elle juge que « la cour d’appel a retenu que (les créanciers), qui avaient financé une grande partie des acquisitions de la SCI et de la société qui y exploitait un fonds de commerce, entretenaient depuis de nombreuses années une relation d’affaires continue et confiante avec le seul (associé) et que cette relation, associée à la production d’un procès-verbal d’assemblée générale de la SCI donnant tous pouvoirs à ce dernier pour consentir une hypothèque en garantie du prêt consenti à la SCI, dans des circonstances authentifiées par un notaire et explicitées par la référence à l’affectation de ce prêt, seule de nature à faire échec à la saisie et à la vente forcée du bien immobilier propriété de la SCI, autorisait (les créanciers) à ne pas vérifier les limites exactes du mandat de (leur cocontractant) ». Ainsi, « (la cour d’appel) a caractérisé, par ces seuls motifs, les circonstances dont elle a pu déduire la croyance légitime, confortée par l’intervention d’un notaire, (des créanciers) aux pouvoirs de (leur cocontractant) pour engager la SCI les autorisant à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ».
La troisième chambre civile applique la théorie du mandat apparent, consacrée par la jurisprudence (Cass.,ass. plén. , 13 déc. 1962, n° 57-11.569, V. désormais, art. 1156 C. civ.), à la reconnaissance d’une dette et à l’octroi d’une garantie hypothécaire par un associé de SCI ayant emprunté, à cette fin, les pouvoirs de représentation légale du gérant de cette société.
La Cour utilise le critère classique de la croyance légitime du tiers dans les pouvoirs du prétendu mandataire, « ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ».
Plurielles, les circonstances dans lesquelles le tiers a traité avec le mandataire apparent relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Leur appréciation in concreto repose sur des critères multiples, à la fois objectifs et subjectifs : comme l’illustre la décision rapportée, les juges s’attachent à la nature de l’acte, à l’environnement dans lequel il a été conclu (gravité, urgence), au statut des intervenants, ainsi qu’à la teneur de leur relation ; en l’espèce le lien de confiance unissant les tiers au mandataire apparent et l’ancienneté comme la régularité de leurs échanges justifiaient la légitimité de la croyance des créanciers dans la réalité des pouvoirs prétendus de l’associé, ce que confortaient, de manière plus objective, l’objet principalement la garantie consentie, et la forme notariée de l’acte litigieux, ainsi que la production du procès-verbal d’assemblée générale, dont l’insincérité alléguée ne pouvait être décelée à sa simple lecture. L’ensemble de ces éléments concordait pour établir que les circonstances dans lesquelles les créanciers avaient traité avec l’associé de la SCI étaient telles qu’ils avaient pu légitimement croire que ce dernier était effectivement le mandataire de la société et qu’ils n’aient donc pas jugé nécessaire de vérifier les contours exacts de ses pouvoirs. Enfin, bien que la Haute cour ne s’attarde pas sur ce point, il résulte des faits de la cause que l’associé incriminé de la SCI en était le gérant de fait et que le gérant de droit était sa fille. Rien ne permet d’affirmer qu’il avait le contrôle de la société en termes de pourcentage, mais que le gérant de droit soit sa fille laisse présager que le conflit qui a donné lieu au contentieux intervenu entre eux relève davantage de la mésentente familiale que du droit des sociétés, ce qui conduit accessoirement à recommander un usage mesuré de ces sociétés dites familiales.
Civ. 3e, 19 mars 2020, n° 19-11.771
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