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Procédure pénale
Le droit pour l’avocat d’avoir connaissance du dossier d’instruction avant tout débat par visioconférence devant le juge des libertés et de la détention
Le fait de ne pas mettre à disposition de l’avocat un dossier à jour de la procédure d’instruction lors d’une audience portant sur la possible prolongation d’une détention provisoire porte atteinte aux droits de la défense.
En l’espèce, deux mineurs étaient mis en examen le 6 juin 2018 pour assassinat. Ils étaient tous les deux placés en détention provisoire. Le 16 mai 2019, l’un des mineurs acceptait que la potentielle prolongation de sa détention provisoire fasse l’objet d’un débat contradictoire par visioconférence. Son avocat indiquait au juge des libertés et de la détention qu’il assisterait son client à la maison d’arrêt. Néanmoins, le jour de l’audience, l’avocat faisait remarquer au magistrat que n’avait pas été mise à sa disposition une copie actualisée du dossier d’instruction à la maison d’arrêt et que, de ce fait, il n’avait pu prendre connaissance ni des derniers actes d’instruction réalisés ni des déclarations de l’autre mis en examen. De plus, aucune copie ne lui avait été fournie depuis le 25 janvier 2019. Le juge des libertés et de la détention décidait pour autant de prolonger la détention provisoire en retenant que l’avocat n’avait pas demandé le dossier de procédure (C. pr. pén., art. 114).
Un appel devant la chambre de l’instruction était interjeté. Les magistrats relevaient que l’avocat, en l’absence de dépôt du dossier à la maison d’arrêt, n’avait pu avoir accès ni à l’ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, ni aux réquisitions du ministère public ni aux derniers actes d’instruction réalisés, raison pour laquelle l’avocat ne pouvait pas apprécier les différentes versions données par les mis en examen. La chambre de l’instruction concluait ainsi qu’une atteinte aux droits de la défense avait été portée.
Un pourvoi en cassation est formé. Pour la chambre criminelle, l’avocat aurait dû avoir une copie actualisée du dossier de procédure lors de l’audience puisqu’il avait prévenu le juge des libertés et de la détention qu’il assisterait son client au sein de la maison d’arrêt en temps utile. Le pourvoi était ainsi rejeté.
La visioconférence est prévue aux articles 706-71, R. 53-33 et suivants du Code de procédure pénale. Cette mesure peut être utilisée lors de l’enquête, de l’instruction, du jugement, et de la phase d’application de la peine. Pour la prolongation de la détention provisoire, la visioconférence permet d’entendre la personne concernée sans qu’elle soit extraite de détention, et ainsi d’éviter de faire intervenir des équipes d’extraction et de gagner du temps.
Si une audience par visioconférence est prévue, l’avocat peut décider qu’il se tiendra aux côtés de son client, au sein de la détention, ou qu’il sera présent au tribunal. Il doit alors informer le magistrat en temps utile. Il en va de même si un interprète doit être présent. Si l’avocat décide de se trouver auprès du magistrat, il doit pouvoir s’entretenir de manière confidentielle avec son client par le biais du système de télécommunication audiovisuelle. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, « cette forme de participation à la procédure n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable, mais il faut s’assurer que le justiciable est en mesure de suivre la procédure et d’être entendu sans obstacle technique et de communiquer de manière effective et confidentielle avec son avocat » (CEDH, gr. ch., 2 nov. 2010, Sakhnovski c/ Russie, n° 21272/03).
L’article 706-71, alinéa 6, prévoit que, lorsque l’avocat décide d’assister son client au sein de son lieu de détention, « une copie de l'intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie de ce dossier lui a déjà été remise ». C’est sur ce fondement légal que la chambre criminelle s’est prononcée dans cet arrêt. Dans le cas d’espèce, il était question de la possible prolongation de la détention provisoire d’une personne mineure. Le fait de ne pas avoir connaissance de l’intégralité du dossier, notamment en l’absence des réquisitions du procureur de la République, empêche l’avocat de défendre correctement son client. Néanmoins, il convient de remarquer que la copie intégrale du dossier ne peut être transmise que si l’avocat prévient en amont le magistrat de sa décision d’assister son client en détention. Dans le cas contraire, « le mis en examen ne saurait se faire un grief de ce qu’une copie intégrale du dossier n’a pas été mise à la disposition de son avocat dans les locaux de détention, lorsque ce dernier, informé de la tenue d’un débat contradictoire avec utilisation d’un moyen de communication audiovisuelle, n’a pas averti en temps utile le juge des libertés et de la détention de son choix de se trouver auprès de la personne détenue à la maison d’arrêt » (Crim. 6 déc. 2017, n° 17-85.716).
Cet arrêt vient ainsi rappeler la place fondamentale des droits de la défense en présence d’une privation de liberté. Le fait que l’audience ait lieu par le biais d’un moyen de télécommunication audiovisuelle ne devrait, à aucun moment, contredire ce principe fondamental. Cela peut paraître paradoxal compte tenu du fait que la grande majorité des avocats considère que le recours à la visioconférence porte, en lui-même, atteinte aux droits de la défense.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation doit être mis en parallèle avec la décision du Conseil constitutionnel du 20 septembre 2019 qui a déclaré l’article 706-71du Code de procédure pénale, dans sa version issue du 5 juin 2016 et réformé par l’ordonnance du 1er décembre 2016, inconstitutionnel. En effet, cet article prévoyait qu’un débat sur la prolongation d’une détention provisoire par le biais d’une visioconférence pouvait être effectué sans l’accord de la personne détenue. L’article 706-71 ne lui permettait pas de s’opposer au recours à la visioconférence. Pour le Conseil constitutionnel, cette disposition porte une atteinte excessive aux droits de la défense. En effet, dans le cas d’une détention provisoire en matière criminelle, la décision de prolongation ne peut intervenir qu’un an après le placement en détention. Une personne détenue peut alors passer plusieurs années en détention sans rencontrer physiquement un magistrat.
La visioconférence est un système controversé mais de plus en plus utilisé par les juridictions. Elle permet de gagner du temps, de répondre à un objectif sécuritaire et de faire des économies en évitant les coûts de transport. Néanmoins, plusieurs rappels récents démontrent que les juridictions suprêmes appliquent strictement le principe de proportionnalité pour que l’efficacité de la justice ne porte atteinte aux droits de la défense.
Crim. 16 oct. 2019, n° 19-84.773
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Détention provisoire (Contentieux), Détention provisoire (Conditions)
■ Encyclopédie pénale – Rubrique : Détention provisoire - Christian GUÉRY – avr. 2019
■ CEDH, gr. ch., 2 nov. 2010, Sakhnovski c/ Russie, n° 21272/03 : Dalloz actualité, 12 nov. 2010, obs. M. Léna
■ Crim. 6 déc. 2017, n° 17-85.716 P : Dr. pénal 2018, n° 36, obs. Maron et Haas
■ Cons. const. 20 sept. 2019, n° 2019-802 QPC : Dalloz actualité, 25 sept. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1762
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