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Droit des biens
Le droit réel de jouissance spéciale échappe au terme extinctif légal
Mots-clefs : Propriété, Droits réels, Droit de jouissance spéciale, Droits d’usage et d’habitation, Terme extinctif trentenaire (non), Perpétuité (non)
Le droit réel de jouissance du vendeur stipulé dans l’acte pour la durée de son existence ne se limite pas à trente ans.
Une société avait, dans les années trente, fait l’acquisition d’un immeuble appartenant à une fondation d’utilité publique. L’acte de vente précisait que la fondation se réservait un droit de jouissance ou d'occupation pour toute la durée de son existence. Dans une première décision du 31 octobre 2012 (n° 11-16.304), ce droit avait été qualifié par la troisième chambre civile de droit de jouissance spéciale, distinct du droit d'usage et d'habitation, échappant pour cette raison au terme extinctif trentenaire de l'article 625 du Code civil. En raison de l’essor de son activité, la société propriétaire de l’immeuble grevé avait ensuite choisi d’occuper l’intégralité de l’immeuble et en conséquence proposé à la fondation divers moyens de se reloger, que celle-ci avait refusés. La société avait alors demandé son expulsion, ce à quoi la cour d’appel s’opposa au motif que la fondation était titulaire d’un droit réel lui conférant la jouissance spéciale des locaux durant tout le temps de son existence. La société forma un pourvoi en cassation au soutien duquel elle arguait que ce droit réel ne pouvait être perpétuel, sa durée étant limitée à trente ans en application des articles 619 et 625 du Code civil, le second, relatif aux droits d’usage et d’habitation, empruntant au premier, relatif à l’usufruit, son terme extinctif. La thèse du pourvoi s’appuyait en vérité sur ce que la Haute juridiction a récemment jugé, tempérant sa jurisprudence précédente par l’affirmation de la règle selon laquelle « faute d'être limité dans le temps par la volonté des parties », un droit réel de jouissance spéciale, « qui ne peut être perpétuel », est soumis au délai extinctif des articles 619 et 625 du Code civil (Civ. 3e, 28 janv. 2015, n° 14-10.013). Ainsi, la société demanderesse posait à la Cour deux questions : le délai trentenaire des articles 619 et 625 encadre-t-il l'ensemble des droits réels de jouissance spéciale, quelles que soient les stipulations des parties ? Le droit réel que s’est conféré une fondation reconnue d'utilité publique, dont la durée est indéfinie, n'est-il pas à ce titre, perpétuel et donc proscrit ? La Haute cour y répond en réfutant les arguments que la société demanderesse avait tenté d’exploiter, jugeant au contraire que les parties avaient expressément stipulé dans l’acte « un droit réel distinct du droit d’usage et d’habitation régi par le code civil (…) concédé pour la durée de la fondation, et non à perpétuité, (et) que ce droit, qui n’était pas régi par les dispositions des articles 619 et 625 du Code civil, n’était pas expiré et qu’aucune disposition légale ne prévoyait qu’il soit limité à une durée de trente ans ». Autrement dit, dès lors que le droit de la fondation lui avait été consenti pour le temps de son existence, il avait donc une durée, étrangement considérée comme indéfinie mais non perpétuelle, et que si les droits d’usage et d’habitation s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit, lequel prend fin à l’issue d’un délai trentenaire, encore convient-il que le droit stipulé soit un véritable droit d’usage et d’habitation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, les parties ayant prévu dans l’acte un droit réel distinct de ce dernier, le soustrayant ainsi aux dispositions précitées.
Il ressort sans doute de la décision rapportée une clarification du domaine des articles 619 et 625 du Code civil, lequel serait cantonné aux cas où aucune précision quant à la durée du droit réel n'aurait été stipulée. Ainsi ces dispositions seraient-elles seulement supplétives de volonté. Quant à la perpétuité du droit réel, elle paraît bien ici refusée, bien que la Cour l’ait parfois admise (à propos du droit de « cru et à croître », Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-13.202). Quoiqu’il en soit, en l’espèce, la volonté de la société propriétaire de recouvrer la jouissance de son bien pouvait difficilement être satisfaite puisqu’elle était, concrètement, subordonnée à la renonciation de la fondation à la jouissance de son droit ou à la disparition de cette dernière.
Civ. 3e, 8 sept. 2016, n° 14-26.953
Références
■ Civ. 3e, 31 octobre 2012, n° 11-16.304 P, D. 2013. 53, obs. A. Tadros, note L. d'Avout et B. Mallet-Bricout ; ibid. 2123, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2013. 540, obs. F. Cohet-Cordey ; RDI 2013. 80, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2013. 141, obs. W. Dross.
■ Civ. 3e, 28 janvier 2015, n° 14-10.013 P, D. 2015. 599, note B. Mallet-Bricout ; ibid. 988, chron. A.-L. Méano, A.-L. Collomp, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; Just. & cass. 2015. 270, rapp. M.-T. Feydeau ; ibid. 277, avis B. Sturlèse ; AJDI 2015. 304, obs. N. Le Rudulier ; RDI 2015. 175, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2015. 413, obs. W. Dross ; ibid. 619, obs. H. Barbier.
■ Civ. 3e, 23 mai 2012, n° 11-13.202 P, D. 2012. 1934, note L. d'Avout ; ibid. 2128, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RTD civ. 2012. 553, obs. T. Revet.
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