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[ 8 janvier 2019 ] Imprimer

Procédure pénale

Le Front national aux prises avec la loi pénale dans le temps

Les lois d’organisation judiciaire étant d’application immédiate, les dispositions de l’article 87, alinéa 4, du Code de procédure pénale, entrées en vigueur le 5 juin 2016, ne permettaient pas aux juges d’instruction d’examiner la contestation d’une constitution de partie civile formée le 19 août 2016, après l’envoi de l’avis de la fin d’information. Ainsi, l’ordonnance de renvoi, qui ne revêtait pas de caractère complexe, n’était pas susceptible d’appel.

Renvoyée devant le tribunal correctionnel par une ordonnance des juges d’instruction du 5 octobre 2016 pour des faits de complicité d’escroqueries, tentative d’escroqueries et recel d’abus de bien sociaux liés au frais de campagne de certains de ses candidats engagés lors des élections législatives de 2012, l’association Front national a relevé appel de cette décision au motif que le juge d’instruction n’avait statué ni sur sa contestation de la recevabilité de la constitution de partie civile de l’État français ni sur la compétence territoriale de la juridiction d’instruction parisienne également contestée. 

L’appel des ordonnances rendues par le juge d’instruction est en effet possible dans certains cas limitatifs, notamment pour les ordonnances qui statuent sur la compétence (C. pr. pén., art. 186) ou sur la recevabilité de la constitution de partie civile (C. pr. pén., art. 87). Cela n’était pas expressément le cas de l’ordonnance qui ne s’était pas prononcée sur ces questions. Il pouvait alors s’agir de l’hypothèse d’une ordonnance complexe, s’agissant d’une ordonnance de clôture intervenue alors que le juge n’a pas répondu à une demande régulièrement formulée par le mis en examen (C. Guéry, Rép. Pén. Dalloz, vo Instruction, no 907). Dans ce cas, l’absence de réponse explicite s’apparente à un rejet de la demande qui justifie alors l’appel contre l’ordonnance de renvoi si ce rejet était lui-même susceptible d’appel (Crim. 2 mai 1967, n° 66-93.616). C’était bien le cas en l’espèce concernant la contestation de la constitution de partie civile (Crim. 4 nov. 1999, n° 99-84.679) ainsi que l’incompétence territoriale soulevées par l’association. 

La cour d’appel a déclaré l’appel de l’ordonnance sur ces deux moyens, irrecevable. La question était alors de savoir si l’ordonnance était complexe et susceptible d’appel. Pour cela, il fallait déterminer si le juge d’instruction avait l’obligation de se prononcer, même par rejet tacite, sur la contestation de la recevabilité de la constitution de partie civile de l’agent judiciaire de l’État et sur l’incompétence territoriale soulevée par l’association Front national.

Sans surprise, la Cour de cassation écarte le second moyen ayant trait à l’incompétence territoriale. En effet, l’association Front national avait soulevé l’incompétence territoriale de la juridiction d’instruction par lettre recommandée le 19 juillet 2016, à savoir un mois après le réquisitoire définitif du ministère public. Or, il résulte des dispositions de l’article 175, alinéa 5 du Code de procédure pénale que les parties, après notification du réquisitoire définitif, disposent d’un délai d’un mois pour adresser au juge d’instruction des observations complémentaires en réponse aux réquisitions du ministère public (Crim. 27 avr. 2011, n° 10-87.256). L’incompétence territoriale, moyen d’ordre public, n’est pas assimilée à des observations complémentaires si bien que le délai pour la contester était dépassé. Dans la mesure où l’association était forclose à soulever l’incompétence territoriale, l’absence de réponse du ministère public par ordonnance sur ce point ne devait dès lors pas s’analyser comme un rejet implicite ; le ministère public n’ayant pas à se prononcer sur cette demande, l’appel de l’ordonnance sur ce fondement n’était pas possible.

Le premier moyen était quant à lui plus complexe dans la mesure où les dispositions qui ouvrent droit à l’appel d’une ordonnance du juge d’instruction devaient être croisées avec les modalités procédurales de contestation de la constitution de partie civile dans le cadre de l’instruction, fixées par l’article 87 du Code de procédure pénale. Une difficulté se posait en l’espèce à la suite de la modification de l’article 87 du Code de procédure pénale par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Cette dernière a en effet ajouté un alinéa 4 à l’article 87 précisant désormais que « si la contestation d’une constitution de partie civile est formée après l’envoi de l’avis de fin d’information [...] elle ne peut être examinée ni par le juge d’instruction, ni, en cas d’appel, par la chambre de l’instruction, sans préjudice de son examen, en cas de renvoi, par la juridiction de jugement ». Tandis que cette contestation pouvait être effectuée à tout moment, donnant lieu à examen du juge d’instruction, la loi nouvelle ferme cette option dès lors que l’avis de fin d’information a été envoyé, donnant ainsi l’illusion d’une loi de forme ayant pour effet d’exclure une voie à la contestation. Conformément aux dispositions de l’article 112-2, alinéa 1er, du Code pénal applicable aux lois de forme, la Cour d’appel a fait application immédiate de la loi nouvelle, assimilée à une loi de compétence et d’organisation judiciaire. Aussi, dès lors que la contestation de la constitution de partie civile avait été envoyée par l’association Front national le 19 août 2016, soit sept mois après l’avis de fin d’information délivré le 13 janvier 2016, elle n’ouvrait plus droit, par l’application immédiate de la loi nouvelle, à examen par le juge d’instruction. L’association Front national entendait avancer que cette loi nouvelle ne devait pas trouver à s’appliquer dès lors qu’elle était entrée en vigueur après l’envoi de l’avis d’information. Un tel argument ne pouvait prospérer en présence d’une loi de forme ayant trait à la compétence et à l’organisation judiciaire ainsi que le confirme la Cour de cassation qui énonce alors que « les lois d’organisation judiciaire étant d’application immédiate, les dispositions de l’article 87, alinéa 4, du code de procédure pénale, entrées en vigueur le 5 juin 2016, ne permettaient pas aux juges d’instruction d’examiner la contestation d’une constitution de partie civile formée le 19 août 2016, après l’envoi de l’avis de la fin d’information ». Dès lors qu’il n’était pas tenu de se prononcer sur ce point, le juge d’instruction n’a pas rejeté implicitement la contestation de constitution de partie civile. L’appel de l’ordonnance qui ne revêtait pas sur ce point de caractère complexe était donc impossible justifiant sur ces deux points, le rejet du pourvoi. 

Crim. 5 déc. 2018, n° 17-84.967

Références

■ Crim. 2 mai 1967, n° 66-93.616 P : RSC 1968, p. 93, obs. J. Robert.

■ Crim. 4 nov. 1999, n° 99-84.679 P

■ Crim. 27 avr. 2011, n° 10-87.256 P : D. 2011. 1490

 

Auteur :Chloé Liévaux

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