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[ 7 juillet 2016 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le harcèlement moral recadré

Mots-clefs : Harcèlement moral, Obligation de sécurité de résultat

Par deux arrêts des 1er et 8 juin 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation réajuste sa jurisprudence relative au harcèlement moral, redéfinissant les conditions d’exonération de l’employeur et le contrôle qu’elle entend opérer sur les décisions des juges du fond relatives à la preuve du harcèlement.

Rappelons que l’article L. 1152-1 du Code du travail énonce qu’ « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Reprenant la même définition, le Code pénal puni le harcèlement moral de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. 

Dans l’arrêt du 1er juin 2016, la Cour relève dans un attendu de principe que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ». 

Par cet attendu, la Cour revient sur sa jurisprudence initiée par l’arrêt du arrêt du 3 février 2010 (n° 08-44.019) selon lequel l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat dès lors que des agissements de harcèlement sont caractérisés et « quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ». La haute juridiction tire ainsi les conséquences de l’évolution plus générale de l’obligation de sécurité de résultat. Dans un arrêt du 25 novembre 2015 (n° 14-24.444), la Cour a en effet atténué cette dernière en estimant que l’employeur pouvait, pour écarter tout manquement à son obligation, justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. Il est donc mis fin au lien nécessaire qui unissait la caractérisation du harcèlement et le manquement à l’obligation de sécurité. Les employeurs bienveillants en matière de sécurité pourront ainsi éviter de voir leur responsabilité engagée à l’égard de la victime, ou encore de subir les conséquences d’une rupture injustifiée du contrat de travail de cette même victime. Mais encore faut-il que toutes les mesures aient été prises tant au stade de la prévention qu’à celui du traitement d’un cas de harcèlement. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er juin, ce n’était pas le cas, et l’arrêt d’appel, ayant débouté le salarié, se trouve cassé. Ni l’existence d’une procédure d’alerte prévue par le règlement intérieur d’entreprise, ni son déclenchement à la connaissance des faits ne suffisent à écarter le manquement à l’obligation de sécurité. On comprend que d’autres mesures auraient dû être prises. La Cour de cassation relève ainsi « l’absence d’actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ». 

Dans le second arrêt, rendu le 8 juin 2016, la Cour entend restituer aux juges du fond leur pouvoir d’appréciation des faits dans la preuve du harcèlement moral. Elle rappelle d’abord les deux temps du processus probatoire qui découle de l’article L. 1154-1 du Code du travail. Ainsi : « pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail ;(…) dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». Et la Cour de poursuivre en relevant que « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ». Ce faisant, la haute juridiction revient sur sa volonté affirmée en 2008 d’opérer un contrôle sur la qualification de harcèlement tant au stade de l’établissement de la présomption de harcèlement qu’à celui de la justification patronale. A l’époque, le communiqué internet de la Cour de cassation relatif à quatre arrêts rendus le 24 septembre 2008 souligne que « devant la montée en puissance de ce contentieux sensible, il lui est apparu nécessaire de renforcer la nature de son contrôle, d’harmoniser les pratiques des différentes cours d’appel et de préciser les règles qui conduisent la recherche de la preuve » (Soc. 24 sept. 2008, n° 06-46.517, 06-45.747, 06-45.794, 06-45.579, 06-43.504). Aujourd’hui, la Cour souhaite donc redonner aux juges du fond leur souveraineté sur des appréciations de fait. Elle semble considérer que son rôle régulateur a donné les résultats attendus et qu’elle peut donc « relâcher son emprise » sur les juges en question. Reste que la formule « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent » témoigne de la volonté de la Cour de conserver un minimum de vue sur les décisions des juges du fond. 

Soc. 1er juin 2016, n° 14-19.702

Soc. 8 juin 2016, n° 14-13.418

Références

■ Soc. 3 févr. 2010, n° 08-44.019, D. 2010. 445, obs. J. Cortot ; Dr. soc. 2010. 472, obs. C. Radé.

■ Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444, D. 2015. 2507 ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2016. 457, étude P.-H. Antonmattei.

■ Soc. 24 sept. 2008, n° 06-46.51706-45.747, 06-45.79406-45.57906-43.504D. 2008. 2423, obs. L. Perrin ; ibid. 2009. 191, obs. Centre de recherche en droit social de l'Institut d'études du travail de Lyon (CERCRID, Université Jean Monnet de Saint-Etienne - Université Lumière Lyon 2/UMR CNRS 5137) ; Dr. soc. 2009. 57, note J. Savatier.

 

Auteur :B. G.

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