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Droit pénal général
Le jeu de bonneteau : attrape-nigaud ou escroquerie ?
Mots-clefs : Escroquerie, Manœuvres, Tiers, Bonneteau
L’intervention préalable et concertée de tiers, dans le cadre d’une mise en scène destinée à tromper sur leur espérance de gain les victimes potentielles, ainsi déterminées à verser leur mise, caractérise les manœuvres frauduleuses constitutives de l’escroquerie.
Le bonneteau est un jeu qui consiste, pour l'organisateur, à montrer, pour commencer, une carte à jouer ou un palet à des joueurs qui ont misé une somme en argent liquide. La carte (ou le palet) est par la suite placée, retournée, sur une table puis mélangée le plus vite possible avec deux autres cartes à jouer ou palets, face cachée également. Les joueurs doivent retrouver la carte initiale en ayant suivi les mouvements rapides de l'organisateur.
Dans l’espèce rapportée, des poursuites pour escroquerie avaient été intentées contre l’organisateur de ce jeu et ses complices, faux joueurs se présentant comme des touristes (appelés « barons ») afin d’inciter les passants à participer au jeu. Lors d’une mission de surveillance sur la voie publique, les fonctionnaires de police ont observé un jeu de bonneteau et constaté qu’une personne, ainsi déterminée à trois reprises à parier une somme de cinquante euros, avait perdu l’intégralité de sa mise.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris avait été beaucoup commenté par les médias à l’époque. Celle-ci, infirmant la condamnation rendue en premier instance, avait requalifié les faits en tenue de jeux de hasard non autorisés.
Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Paris, la chambre criminelle censure l’arrêt pour contradiction de motifs reprochant aux juges d’appel d’avoir écarté la qualification d’escroquerie alors qu’elle en avait relevé les éléments constitutifs. La chambre criminelle rappelle que « l’intervention préalable et concertée de tiers, dans le cadre d’une mise en scène destinée à tromper sur leur espérance de gain les victimes potentielles, ainsi déterminées à verser leur mise, caractérise les manœuvres frauduleuses constitutives de l’escroquerie ».
L’escroquerie, aux termes de l’article 313-1 du Code pénal est définie comme le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
Cette infraction complexe suppose au titre de l’élément matériel des manœuvres frauduleuses déterminantes de la remise des fonds. Si de simples mensonges sont insuffisants à constituer les manœuvres frauduleuses, il n'en est pas de même lorsqu'à ces mensonges viennent se joindre des faits ayant pour objet de leur donner force et crédit. Ainsi, en est-il de la mise en scène ou de l'intervention d'un tiers souvent retenue au titre des manœuvres frauduleuses.
De tels éléments étaient bien présents dans les faits soumis aux juges. Le mensonge initial consiste en l’espérance chimérique de pouvoir gagner à ce jeu et les juges relevaient bien, en l’espèce, que l’organisateur du jeu avait indiqué « savoir que les joueurs de passage perdraient à chaque fois ». Ce mensonge est par ailleurs corroboré par l’intervention de tiers, « de faux joueurs ». Dans cette affaire, les complices, « dont le rôle était d’attirer les joueurs », incitaient les passants « à participer ». C’était donc à tort que les juges d’appel avaient conclu que « lors de la manipulation des palets, les prévenus ont triché et que la seule présence de “barons” n’est pas constitutive de manœuvres frauduleuses de nature à déterminer les passants à parier ».
La solution de la chambre criminelle ne surprendra pas. D’anciens arrêts avaient déjà admis l’application au jeu du bonneteau de la qualification d’escroquerie. Dans un arrêt de 1968, la Cour reconnaissait que « c'est à bon droit que les juges du fait ont déclaré coupables de tentative d'escroquerie les prévenus qui tenaient sur la voie publique le[s] jeux frauduleux des trois cartes dit "bonneteau" ; en constatant que l'un était un "manipulateur" et deux autres les compères qui, feignant de ne pas connaître le "manipulateur", avaient pour rôle d'engager la partie, de gagner les premières donnes et d'inciter ainsi les spectateurs à participer à un jeu dont les premiers résultats leur donnaient à croire qu'il pouvait procurer facilement un gain intéressant, alors que ce jeu était, en réalité, faussé de manière à permettre au "manipulateur" de gagner à coup sûr, lorsqu'il le désirait » (Crim. 24 juill. 1968 ; v. également Crim. 26 août 1871).
Crim. 25 mars 2015, n°14-83.766 F-P+B
Références
« L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L'escroquerie est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »
■ Crim. 24 juill. 1968, n° 67-93.179, Bull. crim. no 236
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