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[ 25 mars 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Le juge n’échappe pas aux problèmes de stationnement…

Dans le silence de la convention des parties sur une obligation de garde incombant à l’exploitant d’un espace de stationnement, le contrat par lequel un emplacement à terre est mis à la disposition du propriétaire d'un bateau ne constitue pas un dépôt mais un bail, de sorte que le vol des moteurs de ce bateau n'engage la responsabilité du bailleur que s'il est prouvé une faute de sa part.

Le propriétaire d’un bateau s’était fait voler deux moteurs tandis que le bateau stationnait à sec sur un terrain appartenant à une société portuaire. Jugeant la société responsable, le propriétaire avait assigné cette dernière en réparation de son préjudice matériel et en remplacement des deux moteurs volés. 

Pour accueillir sa demande, la cour d’appel retint que le contrat verbal « de mise à disposition d'un emplacement à terre », conclu entre les parties, constituait un contrat de dépôt. Or en sa qualité de dépositaire salarié, la société était de plein droit responsable du vol des moteurs du déposant. 

A l’appui du pourvoi qu’elle forma devant la Cour de cassation, la société concessionnaire du port soutenait que dans le silence de la convention purement verbale qui la liait à son cocontractant quant à une obligation de garde pesant sur elle, cette convention, qui devait être analysée comme un contrat par lequel un emplacement à terre est mis à la disposition du propriétaire d'un bateau, constituait non un dépôt mais un bail, de sorte que le vol des moteurs du navire n'engageait sa responsabilité, en qualité de bailleur, que s'il avait été prouvé une faute de sa part, en l’espèce non établie. 

Au visa de l'article 1915 du Code civil, définissant le contrat de dépôt, « en général », comme « un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature », la Cour de cassation censure l’arrêt des juges d’appel qui sans préciser si la société s'était engagée à assurer la garde et la conservation du bateau et à restituer celui-ci à son propriétaire, dans l'état où il lui avait été remis, n’ont pas donné de base légale à leur décision. 

Autrement dit, faute d’avoir établi les deux éléments caractéristiques du contrat de dépôt, à savoir la garde de la chose, qui implique notamment de veiller à sa conservation, et l’obligation de restitution de celle-ci, la qualification retenue encourait, par son absence de justification, la censure. 

Il est vrai que les difficultés que toute entreprise de qualification contractuelle fait généralement apparaître sont accentuées s’agissant de celle des contrats de stationnement, qui malmènent la frontière a priori simple à tracer entre le bail et le dépôt : le bailleur met une chose à la disposition du locataire afin qu’il s’en serve et à la condition d’une jouissance paisible tandis que le déposant la remet au dépositaire afin qu’il la conserve et à la condition de sa restitution. Or le contrat de parking ou de stationnement brouille cette ligne de partage car sa nature exacte ne peut être objectivement définie. Elle dépend de l’intention des parties et, en cas de litige, de la découverte de celle-ci par le juge, conduit à rechercher, à défaut de stipulation claire en ce sens (v. par ex. Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 03-18.467), si les parties s’étaient entendu pour louer un lieu où serait entreposée la chose (v. Civ. 1re, 10 mars 1981, n° 80-10.996, la redevance payée par l’utilisateur d’un parking d’aéroport rémunérant uniquement le droit d’occuper privativement et à titre temporaire le droit d’occuper privativement le domaine public ; dans le même sens, v. Civ. 1re, 24 juin 1986, n° 84-16.653) ou bien de déposer la chose en ce lieu non pas seulement pour qu’elle y soit garée mais plus largement, gardée (Civ. 1re, 2 nov. 1966). 

Selon les cas, l’engagement pris par l’exploitant diffère : empruntant la qualité de bailleur, il ne s’oblige qu’à assurer la jouissance paisible de l’emplacement où stationne la chose ; empruntant celle de dépositaire, il s’oblige à un véritable gardiennage. Ainsi les juges du fond peuvent-ils, dans l’exercice de leur pouvoir souverain de la recherche de l’intention des parties, estimer que le contrat de location d’un poste de mouillage qui ne met à la charge du concessionnaire du port qu’une simple obligation de surveillance et non une obligation de garde et de conservation des bateaux ne constitue pas un dépôt salarié mais un bail (Civ. 1re, 21 juill. 1980, n° 78-16.044 – v. aussi, dans le même sens, Civ. 1re, 31 janv. 1984, n° 82-12.956). Mais, en présence d’un contrat différemment conçu, la qualification de dépôt salarié peut, dans des circonstances pourtant voisines, être retenue (Com. 13 déc. 1982, n° 80-16.547), le dépôt pouvant par exemple être déduit de la remise des clés. 

En l’espèce, la difficulté était accrue par l’absence d’écrit du contrat conclu. En tout état de cause, la nature de ce contrat dépend de son interprétation et partant, ne peut faire l’objet d’une qualification pré-établie et unitaire : bien que la mise à disposition d’un emplacement de stationnement constitue en principe un contrat de louage, il en va autrement lorsque le véhicule ainsi confié l’est à des fins de garde, et à la condition de sa restitution au terme du contrat.

Or l’enjeu de cette qualification est de taille : le simple loueur n’est responsable que si sa faute est prouvée tandis que la responsabilité du gardien est engagée de plein droit, en sorte qu’il ne peut en être exonéré qu’à la condition de démontrer son absence de faute (C. civ., art. 1927 et 1933) ou un cas de force majeure (C. civ., art. 1929). C’est la raison pour laquelle en l’espèce, en l’absence de contrat de dépôt établi ni de faute commise par la société démontrée, celle-ci ne pouvait être jugée responsable du vol des moteurs litigieux (v. déjà, Civ. 1re, 3 févr. 1982, n° 80-16.589).

Com. 22 janv. 2020, n° 18-18.291

Références

■ Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 03-18.467 P : RTD civ. 2006. 107, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2006. 469, obs. B. Bouloc

 Civ. 1re, 10 mars 1981, n° 80-10.996 P : D. 1981. 39

■ Civ. 1re, 24 juin 1986, n° 84-16.653 P 

■ Civ. 1re, 2 nov. 1966 Bull. civ. I, n° 489 ; D. 1967. 319, note Pelissier

■ Civ. 1re, 21 juill. 1980, n° 78-16.044 P : RTD civ.1983. 555, obs. Rémy 

■ Civ. 1re, 31 janv. 1984, n° 82-12.956 P

■ Com. 13 déc. 1982, n° 80-16.547 P

■ Civ. 1re, 3 févr. 1982, n° 80-16.589 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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