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[ 17 novembre 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Le juste prix

Mots-clefs : Médicament, Pharmacie, Prix uniforme, Internet, Vente par correspondance, Libre circulation des marchandises, MEERQ, Justification, Santé publique, Preuve, Nécessité

La Cour de justice retient l’incompatibilité de la législation allemande imposant un prix de revente uniforme pour les médicaments soumis à prescription médicale, jugeant qu’il s’agit d’une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative (MEERQ) au sens de l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). L’objectif de protection de la santé publique est écarté par les juges de l’Union en raison du défaut de la condition de la nécessité, l’Allemagne n’ayant pas su démontrer précisément la pertinence de sa législation.

La santé publique fait partie des objectifs d’intérêt général pour lesquels il est reconnu que les États membres disposent d’une forte marge d’appréciation. Au regard des traités, UE et FUE, les États membres disposent de la capacité de déterminer le niveau de protection qu’ils souhaitent apporter à leur population. Cette approche est présente aussi bien dans la réalisation de la libre circulation des marchandises que dans le droit d’établissement et la libre prestation de services. Ainsi, de nombreuses législations restrictives ont pu être maintenues, notamment quant à la répartition de pharmacies sur un territoire (CJUE, 1er juin 2010, José Manuel Blanco Pérez, n° C-570/07) ou encore l’interdiction de vente de médicaments par des parapharmacies (CJUE, 5 déc. 2013, Alessandra Venturini, n° C-159/12 à C-161/12). Cependant, il revient aux États membres d’apporter la preuve de la nécessité et de la proportionnalité de leur législation. L’Allemagne, dans cette affaire, n’a pas su apporter les preuves nécessaires.

Cet arrêt prend naissance dans l’organisation d’une vente de médicaments par correspondance pour lutter contre la maladie de Parkinson. A l’origine de cette initiative, DPV, une organisation d’entraide pour les malades résidents en Allemagne, a négocié auprès d’une pharmacie néerlandaise, un système de bonus afin d’avoir des prix plus attractifs. Ce système ne plaît pas à une autre association allemande de lutte contre la concurrence déloyale (ZBUW). Cette dernière a décidé d’agir en justice considérant que le système de bonus violait la réglementation allemande, prévoyant un prix uniforme pour la délivrance par les pharmacies pour les médicaments soumis à prescription.

La Cour de justice devait se prononcer, au regard de la question préjudicielle posée, pour déterminer si la législation allemande constituait une MEERQ au sens de l’article 34 du TFUE. Lorsque la Cour de justice est confrontée à une législation sur les prix, elle oriente sa réflexion par rapport aux conséquences qui en découlent en matière de concurrence. En effet, les juges de l’Union insistent sur la logique de la réalisation du marché intérieur qui est de favoriser une concurrence frontale entre les opérateurs économiques, ce que les législations sur les prix uniformes et minimums excluent.

En l’espèce, la Cour juge que cette législation conduit à remettre en cause la vente de médicament par internet, puisqu’il n’est pas possible de se fournir auprès d’une pharmacie d’un autre État membre qui proposerait à un moindre tarif les mêmes médicaments. Cette interdiction de fait est qualifiée logiquement de MEERQ au sens de la jurisprudence Dassonville du 11 juillet 1974 (n° 8/74) et de la jurisprudence Commission contre Italie de 2009 en empêchant l’accès au marché (CJCE 10 févr. 2009, Commission c/ Italie, n° C-110/05). Les juges insistent sur l’importance du vecteur d’internet pour les pharmacies se trouvant dans un autre État membre par rapport à celle se situant en Allemagne. Pour les juges, les premières ne peuvent accéder essentiellement au marché allemand que par la vente par correspondance et en l’occurrence par internet. Le fait de les priver de ce moyen constitue l’entrave.

La Cour examine alors si la mesure peut être justifiée, sachant que l’Allemagne met en avant un objectif de santé publique au travers de la nécessité d’assurer un approvisionnement stable de médicaments. Pour la Cour, cette justification entre dans le champ de l’article 36 du TFUE. Cependant, la mesure nationale doit répondre aux conditions de nécessité et de proportionnalité, c’est-à-dire être apte à réaliser l’objectif fixé et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. Dans ce cadre, la Cour rappelle fermement qu’il revient à l’État d’apporter la preuve de la nécessité par une analyse et des éléments précis. Il ne peut s’agir d’une argumentation générale et abstraite. Cette approche n’est pas spécifique à libre circulation des marchandises, mais elle impose à l’Allemagne de démontrer ce qu’elle avance c’est-à-dire que l’approvisionnement stable de médicaments pourrait être remis en cause à partir du moment où l’absence de prix uniforme entraînerait la disparition de pharmacies traditionnelles. Or l’Allemagne a avancé des affirmations de nature générale n’étayant pas le lien entre l’imposition d’un prix uniforme et le maintien d’une répartition géographique des pharmacies. A la suite de son analyse, la Cour retient même l’hypothèse inverse considérant que le renforcement de la concurrence par les prix pourrait inciter à la création de pharmacies dans les zones où un faible nombre de pharmacies est implanté, favorisant en l’état des prix élevés.

En outre, la Cour écarte l’existence d’un lien entre cette réglementation sur les prix et le risque d’une atteinte au maintien d’un approvisionnement de qualité de médicaments. La Cour juge que l’Allemagne ne démontre pas en dehors d’affirmations générales pourquoi les soins d’urgence, la fabrication de médicaments sur ordonnance, le maintien de stock seraient menacés. L’absence de preuve oblige la Cour de justice à ne pas retenir les moyens. Une nouvelle fois, la Cour juge que ce rétablissement de la concurrence obligerait les pharmacies traditionnelles à se diversifier et à renforcer leur service, pour se différencier et proposer davantage de services dans l’accès aux médicaments.

La Cour de justice se positionne une nouvelle fois comme garante des libertés de circulation, refusant d’admettre par principe une entrave, y compris dans le domaine de la santé publique. Si l’accès aux médicaments est sensible, elle n’ouvre pas la voie à une dérogation de principe. Au contraire, la Cour de justice défend une approche plus libérale, axée sur les bienfaits du marché, dont elle considère qu’il est aussi un vecteur de protection de la santé publique, dès lors que la concurrence par les prix permet un accès à des médicaments ou à des soins à des prix raisonnables.

CJUE 19 octobre 2016, Deutsche Parkinson Vereinigung, n° C-148/15

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 34

(ex-art. 28 TCE)

« Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. »

Article 36

(ex-art. 30 TCE)

« Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. »

■ CJUE 1er juin 2010, José Manuel Blanco Pérez, n°C-570/07 ; RTD eur. 2008. 885, chron. A.-L. Sibony et A. Defossez

■ CJUE 5 déc. 2013, Alessandra Venturini, n° C-159/12 à C-161/12 ; D. 2013. 2848 ; ibid. 2014. 2021, obs. A. Laude ; RTD eur. 2014. 249, obs. A. Defossez ; ibid. 252, obs. A. Defossez ; ibid. 2015. 180, obs. F. Benoît-Rohmer

■ CJCE 11 juill. 1974, Dassonville, n° 8-74 

■ CJCE 10 févr. 2009, Commission c/ Italie, n° C-110/05 ; RFDA 2011. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; RTD eur. 2010. 129, chron. A.-L. Sibony et A. Defossez ; ibid. 129, chron. A.-L. Sibony et A. Defossez ; ibid. 2011. 717, étude A. Fromont et C. Verdure

 

Auteur :V. B.

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