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[ 17 juin 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le licenciement consécutif à un refus d’aménagement du poste d’un travailleur handicapé

Le respect de l’égalité de traitement implique que l’employeur prenne des mesures concrètes pour permettre à un salarié handicapé de conserver un emploi, le législateur qualifiant le refus de l’employeur de discrimination. Le contentieux devant la Cour de cassation sur ce sujet est rare et l’arrêt du 3 juin 2020 présente l’intérêt de mieux identifier les enjeux de ce refus discriminatoire.

L'article L. 5213-6 du Code du travail, issu de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, opère transposition de l'article 5 de la directive no 2000/78/CE en prévoyant un devoir d’aménagement raisonnable des postes de travail au profit des personnes handicapées. Il s’agit non seulement de permettre à ces travailleurs d’accéder à l’emploi mais aussi et surtout de le conserver si le handicap survient en cours de contrat. 

En l’espèce, un salarié, recruté comme agent de propreté fut victime d’un accident du travail en 2010 et reconnu comme travailleur handicapé. Sans avoir l’exacte chronologie des événements, il semble qu’il n’ait jamais repris le travail. Le 7 avril 2015, il fut déclaré́ inapte au travail par le médecin du travail puis licencié pour inaptitude et impossibilité́ de reclassement. La Cour d’appel saisie du litige estima que l’employeur n’avait pas satisfait son obligation de reclassement et partant, déclara le licenciement nul. Dans son pourvoi, l’employeur faisait valoir que quand bien même il aurait violé son obligation, la sanction encourue ne pouvait être la nullité du licenciement. La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant que certes la violation de l’obligation de reclassement n’emporte pas nullité du licenciement mais qu’en revanche, le refus d’adopter les mesures appropriées pour permettre le maintien dans l’emploi d’un salarié handicapé peut entrainer une telle sanction.

■ La violation de l’obligation de reclassement du salarié inapte

Que l’inaptitude ait une origine professionnelle ou non, l’employeur est tenu de tenter de reclasser le salarié dans un délai d’un mois (C. trav., art. L. 1226-10 et L. 1226-2) excepté si le médecin du travail use d’une des deux formules qui l’en dispense (C. trav., art. L. 1226-12 et L. 1226-2-1). Depuis longtemps, la Cour de cassation ne contrôle plus la pertinence des propositions de reclassement (par ex. Soc. 9 nov. 2017, n° 16-21.146). 

Aussi, en l’espèce, la Cour régulatrice se retranche derrière les constats des juges du fond qui avaient estimé que « l'employeur n'avait pas exécuté́ sérieusement et loyalement son obligation de reclassement ». Tout juste soulignera-t-on que l’adjonction des deux adverbes peut surprendre tant la loyauté, en tant que norme de comportement, implique le sérieux des démarches. La loi précise par ailleurs les conséquences de la violation de l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude professionnelle (C. trav., art. L. 1226-15) : le tribunal peut proposer la réintégration mais si l’employeur ou le salarié refuse, alors le juge octroie une indemnité dont le montant équivaut au licenciement entaché de nullité (6 mois de salaire minimum). 

Au regard de cette sanction hybride, faut-il dire que le licenciement est nul ou sans cause réelle et sérieuse ? La Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que le licenciement n’est pas nul (Soc. 13 mars 2019, n° 17-28.265). Elle ajoute dans l’arrêt commenté qu’il est « sans cause réelle et sérieuse ». Le choix peut paraitre discutable puisque le barème prud’homal de l’article L. 1235-13 du code du travail ne s’applique pas. Il correspond toutefois à la sanction admise lorsque l’absence de reclassement fait suite à une inaptitude d’origine non professionnelle (Soc. 24 oct. 2018, n° 17-17.836). Le défaut de loyauté dans la recherche de reclassement du salarié inapte n’est donc pas appréhendé comme une discrimination en raison de l’état de santé. La Cour régulatrice sauve pourtant la décision de la Cour d’appel en replaçant le débat sur le terrain de la discrimination en raison du handicap. 

■ La violation du devoir d’aménagement raisonnable du poste du travailleur handicapé

Assurer l’égalité concrète implique parfois de traiter certaines personnes différemment des autres. Telle est la logique qui soutient le devoir de l’employeur d’aménager, dans la mesure du raisonnable, les postes de travail des salariés affectés d’un handicap. Le caractère raisonnable implique d’une part que la mesure à prendre soit « appropriée », c’est-à-dire techniquement possible et pertinente au regard du handicap, d’autre part que la charge qu’il en résulte pour l’employeur ne soit pas disproportionnée. La raison économique ne peut toutefois être invoquée qu’après déduction des éventuelles aides d’État. Ce n’est donc qu’au cas par cas, au regard de la situation concrète de l’individu mais aussi de l’entreprise, que le respect de cette contrainte légale peut être vérifiée. L’employeur doit a minima engager un dialogue avec les différents acteurs pour identifier les possibles. Aussi, l’article L. 5213-6 du Code du travail précise in fine que le refus de l’employeur de prendre des mesures constitue une discrimination. En l’espèce, le salarié avait demandé à deux reprises à l’employeur de consulter le Service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés, service départemental permettant d’obtenir des aides financières de l'AGEFIPH. Par ailleurs, il est relevé que l’entreprise disposait d’un effectif important et d’une grande diversité de métiers. Pourtant, l’employeur ne justifiait d’aucune étude de postes ni de recherche d'aménagement du poste du salarié. Cette double carence permet à la Cour de cassation d’identifier un « refus de prendre des mesures appropriées ». Elle en conclut que le licenciement discriminatoire est nul. 

Au-delà de l’illustration d’un cas d’espèce, l’arrêt permet de mieux cerner la discrimination en raison du handicap. L’article L. 5213-6 du Code du travail procède par renvoi : « Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3. » Or ce renvoi est très curieux puisque ce texte identifie ce que n’est pas une discrimination : une différence de traitement fondée sur l’inaptitude en raison du handicap lorsqu’elle est objective, nécessaire et appropriée. La Cour de cassation n’explique pas le cheminement de son raisonnement, elle n’évoque ni le régime probatoire spécifique de la discrimination, ni le caractère direct ou indirecte de la discrimination. Elle affirme simplement que la Cour d’appel a pu identifier un refus de prendre les mesures appropriées « ce dont il résultait que le licenciement constitutif d'une discrimination à raison d'un handicap était nul ». Il faut donc comprendre que lorsque la carence de l’employeur dans la recherche d’aménagement de poste d’un travailleur handicapé conduit à son licenciement, alors celui-ci est nécessairement discriminatoire. 

L’arrêt commenté aboutit ainsi à appréhender différemment la déloyauté de l’employeur dans la recherche de mesures permettant de maintenir le contrat de travail du salarié inapte. 

Pour le salarié inapte « ordinaire », le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, pour le salarié inapte et handicapé, le licenciement est nul…

Soc. 3 juin 2020, n° 18-21.993

Références

■ Soc. 9 nov. 2017, n° 16-21.146

■ Soc. 13 mars 2019, n° 17-28.265

■ Soc. 24 oct. 2018, n° 17-17.836

■ Pour approfondir : Handicap, Laurène JOLY, Rep. Trav. Dalloz.

 

Auteur :Chantal Mathieu


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