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Droit européen et de l'Union européenne
Le licenciement pour adultère d’un salarié d’une association religieuse est-il contraire à la Convention européenne des droits de l’homme ?
Mots-clefs : Cour européenne des droits de l’homme, Convention européenne des droits de l’homme, Conv. EDH, Art. 8 Conv. EDH, Art. 9 Conv. EDH, Art. 11 Conv. EDH, Condamnation de l’Allemagne
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée, le 23 septembre 2010, à l'occasion de deux affaires distinctes, opposant deux salariés masculins d'associations religieuses allemandes à leur État national, sur la délicate question de la contrariété de leur licenciement pour adultère à la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans ces deux affaires, deux salariés masculins d'associations religieuses allemandes — l'Église catholique pour le premier, mormone pour le second — ont été adultères. Dans les deux cas, les maris volages ont été licenciés. Toutefois, et c’est important, l'un était organiste et chef de chœur, tandis que l'autre était directeur pour l'Europe au département des relations publiques de l'Église mormone. Les deux salariés ont contesté la validité de leur licenciement respectif devant les tribunaux allemands, puis, devant leur insuccès, devant la CEDH, laquelle se prononce pour la première fois sur le licenciement d'employés ecclésiastiques en raison d'un comportement relevant de la sphère privée.
La question posée à la CEDH porte sur le point de savoir si l'équilibre ménagé par les juridictions du travail allemandes entre :
– d'une part, le droit au respect de la vie privée, garantie par l'article 8 de la Convention ;
– et, d'autre part, les droits dont jouissent l'Église catholique et l'Église mormone en vertu de la Convention (elles sont notamment protégées de toute ingérence injustifiée de l'État de résidence par les articles 9 [liberté de religion] et 11 [liberté de réunion et d'association]),
a offert aux salariés une protection suffisante. Dans les deux cas, la Cour fédérale du travail allemande a jugé que les exigences respectives de l'Église mormone et de l'Église catholique en matière de fidélité conjugale n'étaient pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l'ordre juridique. Elle a donc, ipso facto, validé la licéité des licenciements.
Le juge européen, sur une question a priori identique aboutit à deux conclusions diamétralement opposées, fonction du plaignant. Dans l'affaire de l'Église mormone, la Cour relève que les juridictions allemandes ont procédé à une mise en balance circonstanciée et approfondie des intérêts en jeu. Elles ont jugé que le licenciement s'analysait en une mesure nécessaire visant à la préservation de la crédibilité de l'Église mormone, compte tenu notamment de la nature du poste qu'occupait le salarié : celui-ci n'a pas été soumis à des obligations inacceptables. En effet, pour avoir grandi au sein de l'Église mormone, il était, ou devait être, conscient, lors de la signature du contrat de travail, de l'importance que revêtait la fidélité maritale pour son employeur et de l'incompatibilité de sa relation extraconjugale avec les obligations de loyauté accrues qu'il avait contractées envers l'Église en tant que directeur pour l'Europe au département des relations publiques.
En ce qui concerne l'organiste, en revanche, la Cour observe que la cour d'appel du travail s'est bornée à expliquer que, si ses fonctions ne figuraient pas parmi celles de la catégorie d'employés qui, en cas de comportement répréhensible grave, doivent être renvoyés — c'est-à-dire ceux qui exercent des fonctions de conseil ou de direction ou qui travaillent à la catéchèse —, elles étaient néanmoins si proches de la mission de proclamation de l'Église catholique que la paroisse ne pouvait pas continuer à l'employer sans perdre toute crédibilité. Notamment pour ces raisons, il est jugé que les juridictions du travail n'ont pas mis en balance les droits du salarié et ceux de l'Église employeur d'une manière conforme à la Convention et l'État allemand est donc sanctionné pour violation de l'article 8 de la Convention.
Le 23 septembre 2010, la CEDH réaffirme donc le principe conventionnel selon lequel un employeur dont l'éthique est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut imposer à ses employés des obligations de loyauté spécifiques. Mais cette décision de licenciement fondée sur un manquement à une telle obligation ne peut pas être soumise uniquement à un contrôle judiciaire restreint « sans que soit prise en compte la nature du poste de l'intéressé et sans qu'il soit procédé à une mise en balance effective des intérêts en jeu à l'aune du principe de proportionnalité » (req. n° 1620/03, § 69).
CEDH 23 sept. 2010, Obst c. Allemagne, n° 425/03
CEDH 23 sept. 2010, Schüth c. Allemagne, n° 1620/03
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 9 - Liberté de pensée, de conscience et de religion
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 11 - Liberté de réunion et d'association
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »
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