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[ 6 octobre 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Le maintien de la concurrence par les salaires dans l’Union européenne

Mots-clefs : Travailleur, Libre prestation de services, Dumping social, Marché public, Protection des travailleurs, Travailleurs détachés, Protection salariale, Proportionnalité

La volonté des États membre de réguler la concurrence par le salaire des travailleurs se heurte aux exigences du marché intérieur et, plus précisément, à la libre prestation de services. Il n’est pas possible d’imposer, dans le cadre d’un appel d’offres, un salaire minimal applicable aux sous-traitants établis dans un autre État membre de l’Union lorsque le travail est exécuté exclusivement dans ce dernier État membre.

Depuis plusieurs mois, en raison de la crise économique, le débat dans l’Union européenne s’est largement focalisé sur le régime juridique applicable aux travailleurs détachés et, notamment, sur la concurrence par les salaires et les niveaux de protection sociale. La volonté a été de restreindre les abus liés aux détachements, tels que la mise à disposition de travailleurs par des entreprises d’intérim. Ceci a abouti à l’adoption d’une nouvelle directive sur les travailleurs détachés [Dir. 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (« règlement IMI » )].

Cette directive n’appréhende qu’une partie de la concurrence par les salaires, oubliant les hypothèses où il n’y a pas de détachement des travailleurs, parce que c’est la mission qui est externalisée dans un État membre, où les salaires sont moins élevés, et non les travailleurs qui sont amenés à se déplacer. Face à cette situation, certains États ont adopté leur propre solution de protection salariale pour lutte contre ce qui est appelé communément, mais de manière erronée, le dumping social.

C’est ainsi qu’un Land allemand a adopté une législation en matière de marchés publics afin de limiter la concurrence exacerbée en matière de coût du travail. Plus précisément, la législation exige que le salaire payé aux travailleurs ne soit pas inférieur à un salaire minimum horaire, y compris si la prestation est sous-traitée à une entreprise se trouvant dans un autre État membre et qui exécute la totalité du contrat depuis cet État membre. 

La Cour de justice a été saisie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en interprétation, conformément à l’article 267 TFUE, afin de déterminer si la libre prestation de services (TFUE, art. 56) s’opposait au contenu de cette législation.

La Cour de justice juge très logiquement que la législation allemande est contraire à la libre prestation de services, sachant que toute législation qui empêche, gêne, rend moins favorable ou rend moins attrayant la prestation de services n’est pas compatible avec le droit de l’Union (CJCE 25 juill. 1991, Gouda). En l’occurrence, la Cour juge que cette législation impose une charge économique supplémentaire sur le soumissionnaire susceptible de rendre moins attrayant l’exécution de la prestation dans un autre État membre.

La Cour de justice recherche toutefois si la mesure peut être justifiée. Il est nécessaire, à cette fin, que la législation protège un objectif d’intérêt général, que la mesure soit nécessaire et proportionnée.

L’objectif est, tout d’abord, clairement présent puisqu’il s’agit de protéger les travailleurs. Il est régulièrement invoqué et constitue, conformément à la jurisprudence, un objectif d’intérêt général (CJCE 27 mars 1990, Rush Portuguesa).

Les juges de l’Union précisent, ensuite, que la législation n’est pas apte à réaliser l’objectif de protection en s’appliquant uniquement aux marchés publics, délaissant les marchés privés, alors même que rien ne démontre que cette protection n’est pas nécessaire pour ces derniers marchés.

La Cour indique, enfin, que la législation est disproportionnée étant donné qu’elle ne prend pas en considération le coût de la vie dans l’État où a lieu la sous-traitance, mais seulement celui de l’Allemagne.

Aussi, pour la Cour, une telle législation retire un avantage concurrentiel à certains États membres qui va au-delà de l’objectif assigné de la protection des travailleurs.

CJUE 18 sept. 2014, Bundesdruckerei GmbH c/ Stadt Dortmund, C-549/13

Références

■ Directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur («règlement IMI»).

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 56 (ex-art. 49 TCE)

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de l'Union. »

Article 267 (ex-art. 234 TCE)

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

 CJCE 25 juill. 1991, Gouda, C-288/89.

 CJCE 27 mars 1990, Rush Portuguesa, C-113/89.

 

Auteur :V. B.


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