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[ 19 décembre 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Le monopole sauvegardé des pharmacies en matière de distribution de médicaments

Mots-clefs : Liberté d’établissement, Santé publique, Principe de proportionnalité, Pharmacie, Médicament, Renvoi préjudiciel, Recevabilité

Si la législation italienne imposant l’interdiction de vente de médicaments en parapharmacies constitue une restriction à la liberté d’établissement, celle-ci apparaît justifiée dès lors qu’elle a pour objectif de garantir un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité et qu’il n’existe pas de système alternatif aussi efficace. La Cour admet ainsi le principe d’un monopole en matière de vente de médicaments que ces derniers soient à la charge ou non du patient.

La Cour de justice a été à nouveau saisie d’une question préjudicielle sur l’organisation des systèmes de santé, et plus précisément sur les conditions de vente de médicaments. Les règles relatives aux pharmacies faisaient l’objet d’une énième contestation en Italie. Néanmoins, cette affaire faisait particulièrement écho en France, où la vente de médicaments est également réservée aux seules pharmacies, monopole contesté aujourd’hui par les hypermarchés. La législation française sort renforcée de la solution de cet arrêt.

Les faits prenaient leur source dans le droit italien. En l’espèce, le droit italien, en matière de vente de médicaments, comporte deux restrictions :

– la première est l’instauration d’une planification quant au lieu d’installation des pharmacies. L’ouverture d’une pharmacie exige la délivrance d’une autorisation préalable de l’administration, tout comme c’est le cas en France ou en Espagne, afin de couvrir l’ensemble du territoire. De telles dispositions ont été reconnues comme étant compatible avec la liberté d’établissement (CJUE 1er juin 2010, Blanco Perez) ;

– la seconde résulte de l’interdiction par l’Italie de la vente de médicaments dans les parapharmacies que les médicaments soient ou non à la charge du patient. Peu importe également que la parapharmacie soit tenue par un pharmacien. En contrepartie de cette contrainte, les parapharmacies bénéficient d’un avantage. Elles peuvent être ouvertes librement.

La Cour était alors interrogée sur la conformité de cette seconde restriction par rapport à la liberté d’établissement (TFUE, art. 49) dans l’hypothèse où les médicaments étaient uniquement à la charge du patient. La Cour de justice retient que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle législation.

Préalablement, la Cour précise que la question préjudicielle était recevable même si la situation pouvait apparaître purement interne sachant que le requérant était italien, que la parapharmacie était installée en Italie et que c’était la loi italienne qui était en cause. La Cour juge que si le litige est circonscrit à un seul État membre, la réglementation en cause est susceptible de s’appliquer à des ressortissants d’autres États membres. La Cour a ainsi retenu sa compétence appliquant une jurisprudence constante.

Sur le fond, la Cour raisonne en deux temps, constatant d’abord la restriction, ensuite avant d’envisager la justification. Sans surprise, la Cour juge que la législation constitue une restriction à la liberté d’établissement puisque les médicaments ne peuvent pas être vendus par n’importe quel professionnel. L’intérêt ainsi pour un ressortissant de l’Union, qui plus est pharmacien, d’exploiter une parapharmacie en Italie a perdu perd en conséquence son attrait.

Sur le plan de la justification, la Cour de justice reconnaît l’existence d’un objectif d’intérêt général, l’Italie précisant qu’elle entendait ainsi assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité. Cet objectif relève de la protection de la santé, expressément visé à l’article 52, paragraphe 1er TFUE. Cependant, la réglementation doit remplir deux conditions, pour être jugée compatible : la nécessité et la proportionnalité.

Concernant la nécessité, la Cour de justice opère une véritable analyse. Elle regarde si cette interdiction est nécessaire pour garantir un approvisionnement sûr et de qualité. La Cour fait alors le lien avec la planification de l’emplacement des pharmacies. Elle perçoit l’existence d’un risque, en l’absence d’une telle disposition, étant donné que la concurrence des parapharmacies pourrait conduire à la disparition de pharmacies. Or, pour la Cour, les pharmacies ont des obligations de services plus élevées que les parapharmacies. En outre, la Cour pointe la possibilité d’un déséquilibre dans l’offre, les parapharmacies pouvant s’installer dans les aires géographiques les plus attractives. La mesure est donc nécessaire.

Concernant la proportionnalité, la Cour précise immédiatement qu’en matière de santé publique l’État dispose d’une plus grande marge d’appréciation : « l’État membre pouvant décider du niveau auquel il entend assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint » (point 59). Aussi ce niveau peut-il varier d’un État membre à un autre. Face à la condition de la proportionnalité, la Cour juge que cette législation permet de faire obstacle à un risque de pénurie de médicaments, puisque la loi limite la concurrence entre pharmacies et parapharmacies (ainsi que la fermeture des premières pour certaines zones du territoire). La législation encadre dès lors ce risque de manière proportionnée, sachant que la Cour n’identifie pas parallèlement de système alternatif aussi efficace.

La Cour conforte ainsi sa jurisprudence antérieure lorsque la santé publique des populations est en cause. Le maintien du monopole de la vente de médicaments en pharmacies satisfait à cette exigence de santé publique, ce qui doit conforter le législateur français face au coup de butoir de certains distributeurs sur ce sujet.

CJUE 5 déc. 2013, Alesandra Venturini c/ ASL Varese, C-159/12 à C-161/12

Références

 CJUE 1er juin 2010, Blanco Perez, C-570/07 et C-571/07.

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 49 (ex-article 43 TCE)

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. 

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »

Article 52 (ex-article 46 TCE)

« 1. Les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. 

2. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent des directives pour la coordination des dispositions précitées. »

 

Auteur :V. B.


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