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[ 8 janvier 2015 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Le non de la CJUE à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

Mots-clefs : Convention européenne des droits de l’homme, Union européenne, Adhésion, Avis, Protocole, Primauté, Renvoi préjudiciel, Codéfendeur, Implication préalable, Partie contractante, Organisation internationale, Droits fondamentaux, PESC

L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme apparaît plus incertaine que jamais après l’avis négatif de la Cour de justice de l’Union. Celle-ci a identifié de nombreuses incompatibilités entre le contenu du projet d’adhésion et le droit primaire faisant obstacle à une adhésion de l’Union tant qu’un nouveau projet ne sera pas élaboré prenant en considération cet avis. Elle a ainsi jugé que le projet était susceptible de porter atteinte non seulement à la structure institutionnelle de l’Union mais aussi à ses caractéristiques.

La Cour de justice a choisi l’effet de surprise, prenant le contrepied de la position des États membres et des institutions, en émettant un avis négatif sur le projet d’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH).

Cet avis, particulièrement inattendu, a été rendu par la formation la plus solennelle de la Cour, l’Assemblée plénière, rarement réunie. L’autorité de l’avis n’en est que plus grande, indépendamment de la position retenue qui est largement argumentée et n’a rien d’un trait d’humeur.

La Cour de justice de l’Union européenne peut être saisie par une institution de l’Union ou un État membre, conformément à l’article 218, paragraphe 11 TFUE, afin de préciser si le contenu d’un accord international, auquel l’Union souhaite adhérer, est compatible avec le droit primaire de l’Union. Cet avis s’impose aux institutions, l’incompatibilité faisant obstacle à la conclusion de l’accord. Cette procédure de l’avis est envisageable tant que l’Union n’a pas adhéré. La Commission européenne est ici à l’origine de la procédure, mais celle-ci s’était engagée préalablement à saisir à la Cour de justice du projet, l’impact de cette adhésion étant conséquente pour cette dernière. L’adhésion lui ferait perdre en effet sa compétence exclusive quant au contrôle de la validité des actes de l’Union.

Cet avis intervient alors qu’une base juridique a été insérée dans le traité de Lisbonne à l’article 6, paragraphe 2 TUE de manière à répondre à un premier avis négatif sur un projet d’adhésion de la Cour du 28 mars 1996 (avis 2/94). L’analyse de la Cour repose alors sur une confrontation du projet avec l’ensemble du droit primaire mais plus particulièrement avec l’article 6, paragraphe 2 TUE et le protocole n°8 de l’Union européenne  qui précisent les conditions de l’adhésion.

Sur le fond, l’avis de la Cour identifie sept incompatibilités réelles ou potentielles mais qui sont autant d’obstacles pour la Cour à une adhésion. Le risque même d’une atteinte au droit de l’Union et à son ordre juridique sont perçus comme une impossibilité par la Cour. Cette dernière n’envisage aucunement le recours à des réserves contrairement à l’avocat général, ce qui démontre la volonté d’avoir une situation claire juridiquement afin de préserver la construction de l’Union à laquelle la Cour a largement participée.

▪ La première incompatibilité repose sur l’atteinte à l’autonomie du droit de l’Union quant aux conditions de son contrôle.

En effet, l’adhésion introduit l’existence même d’un contrôle externe par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Or, selon la Cour de justice et sa jurisprudence, un accord externe ne peut avoir d’incidences sur les compétences de l’Union, c’est-à-dire imposer aux institutions une interprétation du droit de l’Union. Seule la Cour dispose de cette compétence, même si elle admet que l’adhésion à la Conv. EDH entraîne nécessairement ce contrôle.

La Cour précise son objection en insistant sur le fait que la portée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union pourrait être remise en cause étant donné que la CEDH admet l’application de standards nationaux plus protecteurs de la Convention par les États. En droit de l’Union, cette approche n’est pas possible au regard de la jurisprudence de la Cour par rapport à la Charte (interprétation de l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux, CJUE 26 févr. 2013, Melloni). Or le projet d’accord ne prévoit aucune disposition préservant la jurisprudence Melloni de la Cour.

▪ La deuxième incompatibilité est liée à l’essence même de l’Union, le principe de la confiance mutuelle entre les États membres.

Or, selon la Cour, ce principe serait battu en brèche par cette adhésion dès lors que l’Union serait assimilée à n’importe quelle autre partie contractante. En effet, la Conv. EDH oblige les États membres à vérifier le respect des droits fondamentaux par un autre État membre, ce qui est en contradiction avec le principe de confiance mutuelle.

▪ La troisième incompatibilité s’appuie sur les exigences du renvoi préjudiciel.

La Cour juge que le protocole n°16 de la Convention qui offre la possibilité d’adresser à la CEDH des demandes d’avis consultatif peut aboutir à ce que la CEDH soit saisie par un États membre d’une question relevant en réalité du droit de l’Union. Ainsi par ce protocole, un État serait en mesure de pouvoir contourner la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE. Or pour la Cour de justice, l’article 267 TFUE constitue la clé de voute du système juridictionnel de l’Union et doit en conséquence être préservé.

▪ La quatrième incompatibilité est en lien avec l’article 344 TFUE, relatif aux compétences fixées par les traités, empêchant un État membre de saisir une autre juridiction que la Cour de justice en cas de conflits concernant l’application ou la mise en œuvre du droit de l’Union. Si un État saisit une autre juridiction, il porte atteinte à l’obligation de coopération loyale.

Le fait que l’adhésion à la Conv. EDH puisse entraîner une saisine de la seule CEDH alors qu’est en cause le droit de l’Union, la Cour ne se résout pas à cette solution. Il s’agit encore d’un élément d’incompatibilité. 

▪ La cinquième incompatibilité est relative au mécanisme du codéfendeur qui, là encore, ne trouve pas grâce aux yeux des juges de l’Union.

Le mécanisme du codéfendeur permet à l’Union ou à un État membre de se joindre à la procédure lorsque l’Union ou un État membre est en cause. Cet élément est notamment important pour l’Union car cela lui permet de défendre des dispositions de l’Union, indépendamment du fait qu’elle n’est pas été visée par la procédure. 

Cependant, le mécanisme de codéfendeur exige un contrôle de recevabilité de la part de la CEDH empêchant que cette procédure soit mise en œuvre automatiquement. L’Union n’est, en conséquence, pas certaine de pouvoir défendre systématiquement le droit de l’Union devant la CEDH. 

Or cette situation pourrait aboutir à ce que la CEDH se prononce sur la répartition des compétences au sein de l’Union pour déterminer si l’Union peut être codéfendeur, c’est-à-dire si elle a la compétence au regard de l’objet du contentieux.

▪ La sixième incompatibilité repose sur la capacité de la Cour de justice à pouvoir se prononcer préalablement sur un acte de l’Union qui fait l’objet d’une procédure devant la CEDH, conformément à la procédure d’implication préalable.

Cette procédure s’applique dans l’hypothèse où l’acte n’a jamais été renvoyé devant la Cour de justice. Or, au regard de la compétence subsidiaire de la CEDH, il est nécessaire que les voies de recours soient épuisées ou tout au moins que les juridictions aient eu la possibilité de se prononcer sur l’acte en cause.

Le problème est que l’accord trouvé limite les hypothèses de saisine préalable de la Cour puisqu’il n’est pas prévu expressément que la Cour soit saisie lorsque l’interprétation de disposition de droit dérivé de l’Union est en cause. Cette exclusion est problématique pour la Cour de justice étant donné que cela conduit à une atteinte à sa compétence exclusive.

▪ La septième incompatibilité est relative à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Ici la difficulté est liée à l’asymétrie des contrôles pouvant être exercée par la CJUE et la CEDH. La CJUE n’a qu’une faible compétence dans ce domaine puisque seul un recours en annulation contre des actes de portée individuelle est recevable devant la CJUE. Or la CEDH pourrait connaître un contrôle juridictionnel plus large dans le cadre de la PESC, c’est-à-dire au-delà du champ de compétence de la Cour.

Ces incompatibilités étaient sans doute identifiables et identifiées préalablement, elles posent en conséquence la question de savoir si la CJUE en avait fait part ou si elle n’a pas été écoutée. Il semble cependant compliqué de négocier un nouvel accord qui demandera une ratification des États membres de l’Union mais également de ceux parties à la Conv. EDH, sachant qu’au fur et à mesure des négociations des voies se sont élevées sur les difficultés à venir en cas d’adhésion effective. Parallèlement, la Charte des droits fondamentaux de l’Union constitue une base solide de protection des droits fondamentaux, posant la question de l’opportunité de cette adhésion.

CJUE 18 déc. 2014, avis 2/13

Références

■ CJUE 28 mars 1996avis 2/94.

 CJUE 26 févri. 2013, Melloni, C-399/11, Dalloz Actu Étudiant 25 mars 2013.

 Article 6 du Traité sur l’Union européenne 

« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »

■ Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 218 (ex-article 300 TCE)

« 1. Sans préjudice des dispositions particulières de l'article 207, les accords entre l'Union et des pays tiers ou organisations internationales sont négociés et conclus selon la procédure ci-après.

2. Le Conseil autorise l'ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords.

3. La Commission, ou le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité lorsque l'accord envisagé porte exclusivement ou principalement sur la politique étrangère et de sécurité commune, présente des recommandations au Conseil, qui adopte une décision autorisant l'ouverture des négociations et désignant, en fonction de la matière de l'accord envisagé, le négociateur ou le chef de l'équipe de négociation de l'Union.

4. Le Conseil peut adresser des directives au négociateur et désigner un comité spécial, les négociations devant être conduites en consultation avec ce comité.

5. Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision autorisant la signature de l'accord et, le cas échéant, son application provisoire avant l'entrée en vigueur.

6. Le Conseil, sur proposition du négociateur, adopte une décision portant conclusion de l'accord.

Sauf lorsque l'accord porte exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil adopte la décision de conclusion de l'accord:

a) après approbation du Parlement européen dans les cas suivants:

i) accords d'association;

ii) accord portant adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales;

iii) accords créant un cadre institutionnel spécifique en organisant des procédures de coopération;

iv) accords ayant des implications budgétaires notables pour l'Union;

v) accords couvrant des domaines auxquels s'applique la procédure législative ordinaire ou la procédure législative spéciale lorsque l'approbation du Parlement européen est requise.

Le Parlement européen et le Conseil peuvent, en cas d'urgence, convenir d'un délai pour l'approbation;

b) après consultation du Parlement européen, dans les autres cas. Le Parlement européen émet son avis dans un délai que le Conseil peut fixer en fonction de l'urgence. En l'absence d'avis dans ce délai, le Conseil peut statuer.

7. Par dérogation aux paragraphes 5, 6 et 9, le Conseil peut, lors de la conclusion d'un accord, habiliter le négociateur à approuver, au nom de l'Union, les modifications de l'accord, lorsque celui-ci prévoit que ces modifications doivent être adoptées selon une procédure simplifiée ou par une instance créée par ledit accord. Le Conseil peut assortir cette habilitation de conditions spécifiques.

8. Tout au long de la procédure, le Conseil statue à la majorité qualifiée.

Toutefois, il statue à l'unanimité lorsque l'accord porte sur un domaine pour lequel l'unanimité est requise pour l'adoption d'un acte de l'Union ainsi que pour les accords d'association et les accords visés à l'article 212 avec les États candidats à l'adhésion. Le Conseil statue également à l'unanimité pour l'accord portant adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales; la décision portant conclusion de cet accord entre en vigueur après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

9. Le Conseil, sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, adopte une décision sur la suspension de l'application d'un accord et établissant les positions à prendre au nom de l'Union dans une instance créée par un accord, lorsque cette instance est appelée à adopter des actes ayant des effets juridiques, à l'exception des actes complétant ou modifiant le cadre institutionnel de l'accord.

10. Le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure.

11. Un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités. »

Article 267 (ex-article 234 TCE)

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

Article 344 (ex-article 292 TCE)

« Les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci. »

■ Charte des droits fondamentaux

Article 53- Niveau de protection

« Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprété comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres. »

 

 

 

Auteur :V. B.


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