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Droit européen et de l'Union européenne
Le « passeport cannabis » n'est pas contraire au droit de l'Union européenne
Mots-clefs : Liberté de prestation (services, biens), Cannabis, Drogue, Criminalité, Proportionnalité, Ordre public, Santé publique, Discrimination, Nationalité
Le droit de l'Union européenne permet à une autorité locale de réserver aux « nationaux » l'accès à des lieux autorisés à revendre du cannabis, dans le cadre de la lutte contre le tourisme de la drogue et ses conséquences néfastes pour l'ordre public et la santé publique.
La ville de Maastricht, aux Pays-Bas, a décidé d'interdire aux étrangers non-résidents aux Pays-Bas l'accès aux célèbres coffee-shops, revendeurs de cannabis autorisés sur le sol néerlandais, et ce afin de lutter contre le tourisme de la drogue, qui pose de nombreux désagréments selon les autorités municipales (criminalité, trafics, problèmes sanitaires liés à la revente de drogues dures).
Le gérant du coffee-shop l' Easy Going, mécontent de la baisse de son chiffre d'affaires, avait contesté devant les tribunaux néerlandais le règlement communal litigieux. La cour d'appel ( Raad van State) fut saisie après que le tribunal de première instance ait invalidé la réglementation. Elle a alors transmis à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) deux questions préjudicielles afin de s'assurer de la conformité au droit de l'Union d'une telle réglementation.
En substance, ces questions revenaient à confronter la réglementation en cause au principe de non-discrimination en raison de la nationalité, garanti par l'article 12 du traité CE, et à celui de la liberté de circulation des marchandises et des services, protégé par les articles 29 et 49 du même traité.
Concernant la commercialisation de cannabis, la Cour constate que si elle est tolérée dans certains États membres, sa revente n'est pas surveillée par les autorités étatiques, contrairement par exemple aux drogues utilisées dans les traitements médicaux. Dès lors, la Cour conclut à l'inapplicabilité des dispositions comprises dans les traités européens et relatives à la libre circulation des marchandises et des services, étant acquis que les stupéfiants « ne relèvent pas d'un circuit strictement surveillé » par les États (p. 41). En d'autres mots, les États n'ayant pas le contrôle sur la vente et la distribution de cannabis ne peuvent pas être accusés de restreindre sa circulation ou sa fourniture.
Toutefois, le fait que les non-résidents ne puissent plus pénétrer à l'intérieur des coffee- shops entraîne l'impossibilité de servir des boissons non alcoolisées et de la nourriture aux étrangers non-résidents dans ces mêmes coffee- shops. Cette conséquence de la réglementation municipale représente pour la Cour une restriction à la libre fourniture de services de restauration, et justifie dès lors sa compétence en la matière, au titre de l'article 49 du traité CE. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutenait le gouvernement néerlandais, le fait que l'activité de restauration ne représente qu'entre 3 et 7 % du chiffre d'affaires des coffee-shops n'interdit pas à la Cour de connaître de l'affaire.
La Cour estime que cette restriction, fondée sur le lieu de résidence, est « ostensiblement discriminatoire », puisque les non-résidents sont le plus souvent des étrangers (p. 58 et 59). Elle va alors chercher à savoir si cette restriction discriminatoire est justifiée par des objectifs légitimes permis par le droit de l'Union.
Concernant les objectifs poursuivis par la mesure, la Cour relève que l'Union européenne et la totalité des États membres sont signataires de nombreux textes internationaux, dont la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes. Par ailleurs, la lutte contre la drogue et la toxicomanie est intégrée à l'article 152 du traité CE (p. 68). La Cour reconnaît donc que la lutte contre le tourisme de la drogue est rattachable aux objectifs légitimes de protection de l'ordre public et de la santé publique (p. 65).
La Cour examine alors si la mesure est proportionnelle aux objectifs reconnus de protection de l'ordre public et de la santé publique. Elle reconnaît d'abord qu'il serait difficile d'autoriser les étrangers à entrer dans les coffee-shops, tout en leur interdisant l'achat et la consommation du cannabis. Elle prend ensuite acte de ce que des mesures plus tolérantes prises par d'autres municipalités n'ont pas donné satisfaction. Par ailleurs, elle relève que les non-résidents ont la possibilité d'aller dans les autres bars et restaurants de la ville, qui ne leur sont pas interdits. Elle conclut donc qu'une réglementation telle que celle en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l'objectif visant la lutte contre le tourisme de la drogue et les nuisances qu'il draine, et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
La CJUE est donc d'avis que la mesure « constitue une restriction à la libre prestation des services consacrée par le traité CE », mais elle considère que « cette restriction est justifiée par l'objectif visant la lutte contre le tourisme de la drogue et les nuisances qu'il draine ».
CJUE 16 déc. 2010, Josemans, aff. C-137/09
Références
« La question préjudicielle est celle qui oblige le tribunal à surseoir à statuer jusqu'à ce qu'elle ait été soumise à la juridiction compétente qui rendra à son sujet un acte de juridiction. On distingue les questions préjudicielles générales qui relèvent de la compétence d'un autre ordre de juridiction (question administrative, question pénale) et les questions préjudicielles spéciales dont la solution dépend d'une autre juridiction appartenant au même ordre. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Traité instituant la Communauté européenne
« Dans le domaine d'application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu'il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, peut prendre toute réglementation en vue de l'interdiction de ces discriminations. »
« 1. Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.
2. Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour atteindre cet objectif, et sauf si le présent traité a prévu des pouvoirs d'action à cet effet, le Conseil peut arrêter des dispositions visant à faciliter l'exercice des droits visés au paragraphe 1. Il statue conformément à la procédure visée à l'article 251.
3. Le paragraphe 2 ne s'applique pas aux dispositions concernant les passeports, les cartes d'identité, les titres de séjour ou tout autre document assimilé, ni aux dispositions concernant la sécurité sociale ou la protection sociale. »
« Les restrictions quantitatives à l'exportation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. »
« Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un État tiers et établis à l'intérieur de la Communauté. »
« 1. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la Communauté.
L'action de la Communauté, qui complète les politiques nationales, porte sur l'amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé humaine. Cette action comprend également la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ainsi que l'information et l'éducation en matière de santé.
La Communauté complète l'action menée par les États membres en vue de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé, y compris par l'information et la prévention. »
■ Convention des Nations unies sur les substances psychotropes, conclue à Vienne le 21 février 1971.
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