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Droit du travail - relations individuelles

Le placement abusif des heures de délégation en dehors du temps de travail

Il appartient au salarié de justifier des nécessités du mandat exigeant le positionnement des heures de délégation en dehors du temps de travail. Un placement systématique des heures de délégation en dehors de l’horaire de travail habituel n’ouvre pas nécessairement droit à un paiement en heure supplémentaire et peut même s’avérer abusif.

Soc. 22 nov. 2023, n° 22-19.658

La Cour de cassation a dégagé différentes solutions permettant à un salarié titulaire d’un mandat de choisir assez librement le moment qu’il juge le plus approprié pour utiliser son crédit d’heures de délégation. L'employeur qui restreindrait la possibilité de s'absenter à certaines heures s’exposerait à des poursuites pour délit d'entrave (Crim. 5 mars 2013, n° 11-83.984). Le salarié est ainsi libre de fractionner son crédit (Soc. 20 janv. 1993, n° 89-41.560 ; Soc. 16 avr. 1995, n° 13-21.531). Il peut également placer ses heures de délégation pendant ou en dehors du temps de travail si les nécessités du mandat le justifient. Dans les deux cas, les heures sont considérées de plein droit comme du temps de travail effectif et doivent être payées à échéance (L. 2143-17L.2142-1-3L. 2315-10 c. trav). Lorsqu’elles sont prises pendant le temps de travail, ces heures sont donc rémunérées au taux normal et aucune difficulté ne se pose concernant les règles relatives au repos. En revanche, lorsqu’elles sont exercées en dehors du temps de travail, non seulement elles sont considérées comme des heures supplémentaires (Soc. 12 févr. 1991, n° 88-42.353 ; Soc. 21 nov. 2000, n° 98-40.730) mais l’employeur doit alors veiller au respect des temps de repos obligatoires (Soc. 25 juin 2008, n° 06-46.223 ; Soc. 23 mai 2017, n° 15-25.250). Toutefois, dans son arrêt du 22 novembre 2023, la Cour de cassation apporte quelques nuances tant sur le paiement en heures supplémentaires que sur la liberté de placement des heures de délégation.

Le paiement en heures supplémentaires

En l’espèce, un employé de la RATP titulaire d’un mandat de délégué syndical travaillait de 18h15 à 1h30. Il positionnait systématiquement 30 minutes de délégation entre 5 h et 7 h puis entre 14h et 16 h. Ce choix empêchait alors le respect des règles statutaires régissant le temps de travail des agents de la RATP qui prévoient, comme le code du travail, un repos quotidien obligatoire de 11 h continues. Pour pallier la difficulté, l’employeur plaçait donc le salarié en autorisation d’absence rémunérée pour différer sa prise de service et payait les heures de délégation au taux normal. Le salarié considérait toutefois que les heures de délégation prises en dehors du temps de travail devaient être rémunérées en heures supplémentaires. Sa demande est écartée par la Cour d’appel et la Cour régulatrice, opérant un contrôle plein et entier, rejette son pourvoi. Les magistrats relèvent que certes les heures de délégation ont été effectuées en dehors de l’horaire normal de travail mais elles n’ont pas été faites en plus du temps de travail effectif. Le placement en absence rémunérée (temps qui d’après les règles statutaires n'est pas assimilé à du temps de travail effectif) permettait de compenser le temps passé en délégation. Par conséquent la durée hebdomadaire de travail, même en intégrant les heures de délégation, ne dépassait pas 35 h. Il faut toutefois être prudent sur la portée de l’arrêt et se garder d’en conclure que l’employeur peut systématiquement opérer un tel choix. La Cour relève en effet que la décision de l’employeur était liée aux conditions d’utilisation des heures de délégation choisies par le salarié. Le fait pour un employeur de ne pas donner le repos quotidien est pénalement sanctionné (R. 3135-1 c. trav.). Le placement en absence rémunérée avait ici vocation à permettre le respect des règles d’ordre public relatives à l’amplitude de travail horaire maximale et au temps de repos obligatoires. La décision patronale n’avait donc rien d’arbitraire et ne visait pas, par principe, à écarter le paiement d’heures supplémentaires.

L’abus dans le positionnement des heures de délégation

L’exercice des heures de délégation en dehors du temps de travail doit être lié aux nécessités du mandat. En cas de doute, l’employeur doit tout de même payer les heures à échéance (Soc. 19 mai 2016, n° 13-27.913) mais il peut ensuite demander au salarié des précisions et éventuellement engager une action en remboursement. La Cour de cassation considère qu’il appartient alors au salarié de justifier pourquoi les nécessités du mandat impliquent un placement en dehors du temps de travail. S’il peut en être ainsi lorsqu’il travaille de nuit ou le dimanche pour assister à une réunion se tenant de jour en semaine (Soc. 11 juin 2008, n° 07-40.823), il n’y a rien d’automatique. Ainsi l'organisation du travail en 3x8 n'établit pas en soi une telle nécessité (Soc. 20 juin 2007, n° 06-41.219 ; Soc. 14 oct. 2020, n° 18-24.049). Il faut également rappeler qu’un employeur ne peut imposer ni une modification du contrat ni un changement des conditions de travail à un salarié protégé. Il lui est donc impossible de modifier unilatéralement les horaires du salarié pour que les heures de délégations soient placées pendant le temps de travail (CE. 21 nov. 2012, n° 334658). 

En l’espèce, l’employeur avait demandé des précisions aux salariés sur les raisons qui le conduisait à exercer ses activités syndicales systématiquement en dehors de l’horaire de travail. Faute de réponse de ce dernier, l’employeur avait intenté une action non pas en remboursement des heures de délégation mais en réparation du préjudice lié à une utilisation abusive du dispositif. La cour d’appel avait fait droit à cette demande, observant le caractère étrange de cette régularité du positionnement des heures de délégation. Le salarié n’expliquait pas pourquoi il devait impérativement exercer son mandat toujours aux mêmes heures et pour la même durée. La cour régulatrice, opérant cette fois un contrôle léger, retient qu’il ressort des faits de l’espèce que l’employeur était recevable à agir sur le fondement d’un abus de droit. Là encore, la portée de l’arrêt doit être relativisée. C’est le placement systématique de 30 minutes de délégation empêchant le repos obligatoire et le silence gardé par le salarié sur les raisons d’un tel choix qui sont révélateurs du détournement de finalité de la prérogative. Si des justifications objectives liées au mandat avaient été apportées, aucun abus n’aurait été retenu. 

Références :

■ Crim. 5 mars 2013, n° 11-83.984 : D. 2013. 715 ; ibid. 2599, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2013. 626, chron. R. Salomon ; RDT 2014. 54, obs. S. Frossard

■ Soc. 20 janv. 1993, n° 89-41.560

■ Soc. 16 avr. 1995, n° 13-21.531

■ Soc. 12 févr. 1991, n° 88-42.353

■ Soc. 21 nov. 2000, n° 98-40.730

■ Soc. 25 juin 2008, n° 06-46.223

■ Soc. 23 mai 2017, n° 15-25.250 : D. 2017. 1128

■ Soc. 19 mai 2016, n° 13-27.913 : AJDA 2017. 634, note B. Toulemonde ; D. 2016. 2578 ; Dr. soc. 2017. 136, étude S. Tournaux

■ Soc. 11 juin 2008, n° 07-40.823 : D. 2008. 1833, et les obs. ; RDT 2008. 538, obs. F. Signoretto

■ Soc. 20 juin 2007, n° 06-41.219

■ Soc. 14 oct. 2020, n° 18-24.049

■ CE. 21 nov. 2012, n° 334658

 

Auteur :Chantal Mathieu

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