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[ 20 juin 2012 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Le placement en cellule de dégrisement est constitutionnel

Mots-clefs : Ivresse publique, Liberté individuelle

Dans sa décision du 8 juin 2012, le Conseil constitutionnel juge que l'article L. 3341-1 du Code de la santé publique relatif au placement en cellule de dégrisement des personnes trouvée en état d’ivresse dans les lieux publiques ne méconnaît ni l'article 66 de la Constitution ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la chambre criminelle de la constitutionnalité de l’article L. 3341-1 du Code de la santé publique qui prévoit qu’ « Une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics est, par mesure de police, conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison ».

Le requérant soutenait qu’« en permettant que les personnes trouvées sur la voie publique en état d'ivresse puissent être privées de leur liberté pour une durée indéterminée par une mesure de police non soumise au contrôle de l'autorité judiciaire et en fondant l'appréciation de l'ivresse sur la seule évaluation subjective d'un agent de la police ou de la gendarmerie nationales, ces dispositions méconnaissent la protection constitutionnelle de la liberté individuelle ».

Tel n’est pas l’avis des sages de la rue Montpensier le placement en cellule de dégrisement est compatible avec les exigences de l’article 66 de la Constitution.

Les juges relèvent d’abord, que l'exigence selon laquelle toute privation de liberté doit être nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs de préservation de l'ordre public et de protection de la santé qu'elles poursuivent, est respectée en l’espèce. Mesure de police administrative dont l'objet est de prévenir les atteintes à l'ordre public et de protéger la personne dont il s'agit (T. confl. 18 juin 2007, n°C3620), cette disposition permet aux agents de la police et de la gendarmerie nationales, d'opérer un tel placement après avoir constaté par eux-mêmes l'état d'ivresse qui est un fait matériel se manifestant dans le comportement de la personne. Le Conseil souligne que « prévu, organisé et limité par la loi, le placement en chambre de sûreté n’est pas une détention arbitraire ». On rappellera à ce propos, qu’une telle hypothèse de privation de liberté est prévue par l’article 5§1er) de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne a eu l’occasion de préciser l’interprétation à donner au terme « alcoolique » à la lumière de l’objet et du but de l’article 5 § 1 e) de la Convention. Celui-ci ne doit pas être entendu uniquement dans le sens restreint d’une personne dans un état clinique d’« alcoolisme » mais également comme les personnes dont la conduite et le comportement sous l’influence de l’alcool constituent une menace pour l’ordre public ou pour elles-mêmes (CEDH 4 avr. 2000, Witold Litwa c. Pologne).

S’agissant ensuite de l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire, le Conseil constitutionnel y oppose le caractère bref de la privation de liberté : celle-ci « ne peut se poursuivre après que la personne a recouvré la raison ; que la condition ainsi posée par le législateur a pour objet et pour effet de limiter cette privation de liberté à quelques heures au maximum ».

On remarquera enfin que le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation en précisant que « lorsque la personne est placée en garde à vue après avoir fait l'objet d'une mesure de privation de liberté en application du premier alinéa de l'article L. 3341-1 du Code de la santé publique, la protection constitutionnelle de la liberté individuelle par l'autorité judiciaire exige que la durée du placement en chambre de sûreté, qui doit être consignée dans tous les cas par les agents de la police ou de la gendarmerie nationales, soit prise en compte dans la durée de la garde à vue ». Le Conseil constitutionnel tente de concilier ainsi un placement en garde à vue avec la procédure spécifique de l’article L. 3341-1 du Code de la santé publique. Reste à déterminer ce qu’il faut exactement entendre par « prise en compte » dans la durée de la garde à vue de la durée de placement en cellule de dégrisement. Sans doute faudra-t-il désormais défalquer de la durée de la garde à vue le temps passé en rétention pour ivresse publique. Une telle solution existe déjà en cas de retenue douanière, à la suite de la capture d'une personne en flagrant délit (art. 323-9 C. douanes) ou en cas de rétention pour vérification d'identité (art. 78-4 C. pr. pén.). Dans ces deux hypothèses, la loi prévoit expressément une déduction de la durée de la garde à vue, du temps passé lors de la première mesure.

Cons. const. 8 juin 2012, n°2012-253 QPC

Références

■ Article 66 de la Constitution

« Nul ne peut être arbitrairement détenu. 

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

■ Article L. 3341-1 du Code de la santé publique

« Une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics est, par mesure de police, conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison.

Lorsqu'il n'est pas nécessaire de procéder à l'audition de la personne mentionnée au premier alinéa immédiatement après qu'elle a recouvré la raison, elle peut, par dérogation au même premier alinéa, être placée par un officier ou un agent de police judiciaire sous la responsabilité d'une personne qui se porte garante d'elle. »

■ Article 323-9 du Code des douanes

« À l'issue de la retenue douanière, le procureur de la République peut ordonner que la personne retenue soit présentée devant lui, un officier de police judiciaire ou un agent des douanes habilité en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale ou qu'elle soit remise en liberté.

Lorsque les personnes retenues sont placées en garde à vue au terme de la retenue, la durée de celle-ci s'impute sur la durée de la garde à vue. »

■ Article 78-4 du Code de procédure pénale

« La durée de la rétention prévue par l'article précédent s'impute, s'il y a lieu, sur celle de la garde à vue. »

■ CEDH 4 avr. 2000, Witold Litwa c. Pologne, n° 26629/95.

■ Article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à la liberté et à la sûreté

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3) Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4) Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5) Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

 

Auteur :C. L.

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