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Droit européen et de l'Union européenne
Le placement en garde à vue d’un avocat dans l’exercice de ses fonctions
Mots-clefs : CEDH, Garde à vue, Avocat, Officier de police judiciaire
Conformément à l’article 5, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit à la liberté et à la sûreté, le placement en garde à vue d’un avocat, appelé pour assister un client, n’est ni justifié ni proportionné compte tenu des circonstances de l’espèce.
La nuit de la Saint-Sylvestre, un avocat de permanence (le requérant) est appelé au commissariat afin d’assister un mineur placé en garde à vue. Comme son client se plaignait de violences policières, l’avocat a rédigé des observations à verser au dossier afin de demander un examen médical.
Mais, à la suite d’une altercation entre l’officier de police judiciaire et l’avocat, ce dernier est placé en garde à vue subissant également une fouille à corps intégrale et un contrôle d’alcoolémie qui se révéla négatif. Les versions des deux protagonistes divergent quant au déroulement des événements.
A la suite de cette affaire, l’avocat a déposé deux plaintes contre l’officier de police, une première, pour faux et usage de faux concernant les procès-verbaux de sa garde à vue, puis une seconde, pour acte attentatoire à la liberté individuelle. Ces deux plaintes jointes ont fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu qui a été par la suite confirmée par la chambre de l’instruction. La chambre a estimé d’une part, qu’ « il n’y avait lieu ni de mettre en doute la version commune des faits avancés par les policiers ni de penser que le substitut du procureur de la République avait été trompé » par l’officier, et d’autre part, que « la fouille à corps et le contrôle d’alcoolémie étaient motivés par l’état d’agitation du requérant mentionné par les policiers et par la nuit de la Saint-Sylvestre propice aux libations ». Le pourvoi en cassation a également été rejeté.
Le requérant a donc saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour violation des articles 3, 5, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH).
Toute la question était de déterminer d’une part, si la privation de liberté a été effectuée régulièrement et de manière non arbitraire et, d’autre part, si le placement en garde à vue était nécessaire et proportionné.
Tout d’abord, la Cour estime qu’il convient d’examiner la requête uniquement à la lumière de l’article 5, § 1 de la Conv. EDH relatif au droit à la liberté et à la sûreté, les autres griefs venant essentiellement appuyer les allégations relatives au caractère illégal et arbitraire de sa détention. Aux termes de l’article précité, « [t]oute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté » sauf les cas exhaustivement énumérés. La Cour rappelle qu’une telle privation doit être « régulière », impliquant sa conformité au droit interne. Soulignant la nécessité de satisfaire au principe général de la sécurité juridique, elle précise que le respect du droit national est essentiel mais pas suffisant. En effet, l’article 5, § 1 de la Conv. EDH exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. Enfin, la Cour réaffirme l’importance et la protection particulière qu’accorde la Conv. EDH à l’avocat intervenant dans l’exercice de ses fonctions. En effet, elle estime que l’avocat assure un rôle clé d’intermédiaire entre les justiciables et les tribunaux.
En l’espèce, la Cour accorde beaucoup d’importance à deux circonstances. D’une part, le requérant intervenait au commissariat en sa qualité d’avocat pour assister une personne placée en garde à vue. D’autre part, l’officier de police qui se déclarait personnellement victime du comportement du requérant, a lui-même décidé de le placer en garde à vue, lui imposant également une fouille intégrale et un contrôle d’alcoolémie qui n’était pas justifié par des éléments objectifs. La Cour a, en effet, émis de « sérieux doutes » sur la nécessité d’un contrôle d’alcoolémie alors même que le requérant venait d’effectuer une mission d’assistance à un client gardé à vue dans le commissariat (§ 55).
Rappelons qu’à l’époque des faits, il n’existait aucune réglementation concernant la fouille à corps. Une instruction du 11 mars 2003 a précisé qu’une telle mesure ne saurait être systématique en garde à vue, préconisant de lui substituer une simple « palpation de sécurité ». La loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue est venue réglementer la fouille à corps de sécurité disposant que seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité nécessaires pour découvrir des objets dangereux pour l’intéressé ou autrui. L’article 1er de l’arrêté du 1er juin 2011 a précisé que « la fouille intégrale avec mise à nu complète est interdite ».
Partant, la Cour a conclu que « le fait de placer le requérant en garde à vue et de le soumettre à de telles mesures excédait les impératifs de sécurité et établissait au contraire une intention étrangère à la finalité d’une garde à vue » (§ 56). Ainsi, elle affirme que ces mesures n’étaient ni justifiées ni proportionnées et que la privation de liberté subie par l’avocat n’était pas conforme à l’article 5, § 1 de la Conv. EDH (§ 58).
Dans l’arrêt rapporté, il est fait mention d’un avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui a présenté plusieurs propositions. Tout d’abord, la CNDS a émis des réserves sur le fait qu’une décision de placement en garde à vue puisse être prise par l’officier de police qui se prétend victime. Puis, elle recommande d’effectuer un contrôle d’alcoolémie lorsqu’il semble que l’infraction ait été « commise ou causée sous l’empire d’un état alcoolique ». La commission invite à modifier le Code de procédure pénale de manière à rendre obligatoire l’examen médical d’un gardé à vue lorsque l’avocat en fait la demande. Enfin, elle préconise de réfléchir sur une éventuelle protection à accorder aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions.
CEDH 23 avril 2015, François c/ France, n° 26690/11.
Référence :
■ Convention européenne des droits de l’homme
« Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
« Droit à la liberté et à la sûreté. 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:
a) s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
b) s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi;
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci;
d) s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente;
e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond;
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
« Droit à un recours effectif. Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
■ Arrêté du 1er juin 2011 relatif aux mesures de sécurité, pris en application de l'article 63-6 du code de procédure pénale
« De nature administrative, les mesures de sécurité susceptibles d'être mises en œuvre à l'égard d'une personne placée en garde à vue ou retenue en application des articles 141-4, 712-16-3, 716-5 et 803-3 du code de procédure pénale ont pour finalité, dans le respect de la dignité de la personne, de s'assurer que celle-ci ne détient aucun objet dangereux pour elle-même ou pour autrui.
Dans ce cadre, la fouille intégrale avec mise à nu complète est interdite. »
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