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Droit de la responsabilité civile
Le préjudice de perte de chance : notion et évaluation
Mots-clefs : Responsabilité, Préjudice réparable, Perte de chance (notion), Indemnisation, Évaluation du montant
Par deux arrêts en date du 7 avril 2016, la Cour de cassation est revenue sur la notion et l’évaluation du préjudice de perte de chance. En effet, la Haute juridiction rappelle dans un premier temps les contours de cette notion permettant de réparer le préjudice né de la privation d’une probabilité raisonnable (n° 15-14.888) puis, dans un second temps, les modalités d’évaluation du montant de l’indemnité réparant un tel préjudice (n° 15-14.342). Tels sont les enseignements respectifs de ces deux arrêts.
Le premier arrêt rendu par la Haute juridiction le 7 avril 2016 (n° 15-14.888) permet de revenir sur la notion même de la perte de chance. En l’espèce, à la suite de l’achat d’un local et de son fonds de commerce, l’acquéreur ayant eu connaissance d’une modification, antérieure à la vente, du règlement de copropriété interdisant l’exploitation de tout commerce ou restauration dans l’immeuble, assigne la SCP chargée de la vente en réparation au titre d’un manquement à son obligation de conseil. Or, la cour d’appel rejette sa demande au motif qu’il ne démontrait pas de manière suffisante son intention de modifier l’activité du fonds en restauration rapide.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué au motif que la perte de chance implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain.
La présente décision permet de rappeler les contours de la notion de perte de chance en tant que préjudice réparable. Pour rappel, en principe, le dommage réparable doit être direct, actuel et certain. S’agissant du caractère certain du préjudice, la doctrine distingue entre le préjudice probable, appelé aussi préjudice virtuel, qui est réparable, et le préjudice aléatoire, ou éventuel, qui ne l’est pas. En effet, le principe de la réparation du préjudice virtuel a été posé par trois arrêts de principe de la chambre des requêtes du 1er juin 1932 selon lesquels même s’il n’est pas possible d’allouer des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges comme la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate (Req. 1er juin 1932). Progressivement, la jurisprudence a posé les contours de cette notion en précisant que la perte de chance ne peut dépendre que d’un événement futur et incertain dont la réalisation ne peut résulter de l’attitude de la victime (Civ 1re, 2 oct. 1984, n° 83-14.595). Ainsi, seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable (Civ 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674).
En l’espèce, la Haute juridiction considère que l’absence d’information précontractuelle, reconnue comme fautive, donne lieu à indemnisation au titre de la perte de chance, dès lors que celui à qui cette information était due ne se serait probablement pas engagé ou alors à des conditions plus favorables s’il avait été correctement informé, la perte de chance impliquant la privation d’une probabilité raisonnable et non certaine.
La seconde décision rendue à la même date par la Cour de cassation permet de revenir sur le montant de l’indemnité réparant le préjudice de perte de chance (n° 15-11.342). En effet, lorsque la perte de chance est établie, elle constitue un préjudice indemnisable. Mais seule cette perte sera indemnisée.
En l’espèce, la requérante a acheté des lots de copropriété destinés, après transformation, à être donnés à bail commercial. Or la société en charge des travaux ayant été placée en redressement judiciaire, les travaux, qui avaient alors été payés intégralement, n’ont finalement pas été réalisés. L’acquéreur assigne alors le notaire chargé de la vente et la banque en indemnisation de ces préjudices au motif que ces derniers ne l’ont pas informé des risques qu’elle encourait en payant l’intégralité de la somme alors que les travaux n’avaient pas encore débuté.
Cette dernière reproche à la cour d’appel d’avoir certes reconnu le manquement de la banque et du notaire à leur devoir de conseil, mais d’avoir limité la réparation de son préjudice à 20% de la somme versée au titre des travaux.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la requérante et rappelle que le préjudice de perte de chance ne se répare pas intégralement mais se limite à une certaine somme, correspondant à la seule chance perdue, et dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond.
Cet arrêt montre les difficultés qui peuvent ressortir de l’évaluation du préjudice de perte de chance. La jurisprudence avait ainsi précisé que l’indemnité doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudices supportés par la victime; il appartient dès lors à la cour d’appel, d’une part, d’évaluer les différents chefs de préjudices invoqués, et d’autre part, d’apprécier à quelle fraction de ces préjudices devait être évaluée la perte de chance indemnisée (Civ 1re, 18 juill. 2000, n° 98-20.430). Un arrêt antérieur avait également précisé que l’office du juge consistait alors à apprécier le bien-fondé des préjudices et à déterminer, par une appréciation souveraine, la fraction de ces préjudices correspondant à la perte de chance de les éviter si le défendeur n’avait pas commis de faute (Civ 1re, 8 juill. 1997, n° 95-17.076). Le montant de l’indemnité réparant la perte de chance résulte donc d’une appréciation souveraine des juges du fond, comme le rappelle expressément l’arrêt commenté en l’espèce.
Civ. 3e, 7 avril 2016, n° 15-14.888
Civ. 3e, 7 avril 2016, n° 15-11.342
Références
■ Req. 1er juin 1932: DP 1932. 1. 169 , note Savatier.
■ Civ. 1re, 2 oct. 1984, n° 83-14.595 P.
■ Civ 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 P, D. 2006. 3013.
■ Civ 1re, 18 juill. 2000, n° 98-20.430 P, D. 2000. 853, note Y. Chartier.
■ Civ 1re, 8 juill. 1997, n° 95-17.076 P.
■ Source: Droit de la responsabilité et des contrats, P. le Tourneau et autres, Dalloz action 2014-2015, n° 1411-2, p. 551.
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