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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Le prélèvement de tissus sur une personne décédée
Mots-clefs : Prélèvement de tissus sur le corps du défunt, Dignité humaine, Information des proches
Le prélèvement de tissus sur un défunt à l’insu et sans le consentement de son conjoint constitue un traitement dégradant.
L’affaire rapportée concernait le prélèvement de tissus effectué par des experts en médecine légale sur le corps d’un homme à l’insu et sans le consentement de sa femme. En application d’un accord approuvé par l’État Letton, un centre médico-légal réalisait des prélèvements sur des corps après l’autopsie et les envoyait, moyennant rétribution, à une société en Allemagne pour la création de bio-implants. Des années plus tard, la police de sécurité a ouvert une enquête pénale qui a révélé la réalisation illégale de plusieurs centaines de prélèvements de tissus et d’organes. C’est à cette occasion que la femme du défunt apprit que son mari en avait également été victime. L’enquête pénale fut classée sans suite au motif que les experts ne pouvaient être condamnés pour avoir manqué à l’obligation d’informer les proches parents de leur droit de s’opposer au prélèvement d’organes et de tissus sur le corps du défunt, cette obligation n’étant pas clairement établie par la loi.
La Cour devait dès lors se prononcer sur le point de savoir si le prélèvement de tissus sur le corps d’un défunt à l’insu et sans le consentement de la famille était de nature à constituer une violation des articles 3 (interdiction de la torture) et 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Conv. EDH).
Dans un premier temps, la Cour a considéré que la question litigieuse avait trait au droit de l’épouse d’exprimer son souhait concernant le prélèvement de tissus sur le cadavre de son mari. Si la loi lettonne prévoit le cadre juridique permettant aux proches parents d’exprimer leur consentement ou leur refus concernant les prélèvements de tissus, elle ne définit pas clairement l’étendue et la latitude de l’obligation d’informer la famille qui incombe aux experts. La Cour conclut donc que le droit letton manque de clarté et ne renferme pas de garanties juridiques suffisantes contre l’arbitraire, en violation de l’article 8 de la Conv. EDH.
Dans un second temps, la Cour estime que les souffrances de la conjointe surpassent le chagrin causé par le décès de son mari puisqu’elle est restée pendant une longue période dans l’incertitude et en proie à la détresse concernant l’ampleur, le but et la manière dont les prélèvements ont été pratiqués. Rappelant que, dans le domaine de la transplantation d’organes et de tissus, le corps humain doit être traité avec respect, et ce même après le décès, la Cour souligne que le respect de la dignité humaine est au cœur de la Conv. EDH. Partant, la Cour a qualifié les souffrances causées à l’épouse de traitement dégradant allant à l’encontre du respect de l’article 3 de la Conv. EDH.
On rappellera, qu’en droit français, « [c]hacun a droit au respect de son propre corps » (C. civ., art. 16-1, al. 1er). Le prélèvement d’organes, de tissus, cellules ou produits humains sur une personne décédée ne peut être fait qu’à des fins thérapeutiques et scientifiques (CSP, art. L. 1241-6). Certaines conditions posées par le Code de la santé publique doivent être respectées. En effet, le prélèvement « peut être effectué dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement » (CSP, art. L. 1232-1, al. 2). De plus, le constat de la mort doit être effectué (CSP, art. L. 1232-1, al. 1er) et les proches sont informés de leur droit de connaître les prélèvements réalisés.
CEDH 13 janv. 2013, Elberte c/Lettonie, n°61243/08 (en anglais)
Références
■ Marc Dupont, Claudine Bergoignan-Esper, Droit hospitalier, Dalloz, coll. « Cours », 2014, n°970 s.
Remy Cabrillac (dir.), Libertés et droits fondamentaux 2014, 20e éd., Dalloz, 2014.
■ Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
Article 3 - Interdiction de la torture
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
« Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »
■ Code de la santé publique
« Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques.
Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l'inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment.
Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés.
Les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués.
L'Agence de la biomédecine est avisée, préalablement à sa réalisation, de tout prélèvement à fins thérapeutiques ou à fins scientifiques. »
« Le prélèvement de tissus et de cellules et la collecte de produits du corps humain sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peuvent être effectués qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques et dans les conditions prévues au chapitre II du titre III. »
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