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[ 29 juin 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Le président de la République est une victime comme les autres

Mots-clefs : Action civile, Victime, Président de la République, Immunité

Le président de la République, en sa qualité de victime, est recevable, en application de l’article 2 du Code de procédure pénale, à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat.

La loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007, a modifié l’article 67 de la Constitution relatif au statut juridictionnel du président de la République. Désormais, « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des articles 53-2 et 68.Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner, non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration du délai d’un mois suivant la cessation de ses fonctions ».

Ainsi, le chef de l’État bénéficie d’une immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de son mandat (sous réserve de l’engagement devant le Parlement réuni en Haute Cour d’une procédure de destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat) et d’une inviolabilité juridictionnelle qui fait obstacle pendant toute la durée de son mandat, pour tous les actes commis en dehors de sa qualité de président de la République, à toute action ou réquisition de témoigner devant une juridiction ou autorité administrative quelconque.

Ce statut qui préserve le chef de l’État en plaçant la personne du président à l’abri de toute attaque judiciaire, lui permet-il de se constituer partie civile au cours de son mandat ? Rien ne l’interdit expressément : ni l’article 2 du Code de procédure pénale ni l’article 67 de la Constitution. La question reste cependant ouverte quant à la compatibilité d’une telle constitution avec les règles du procès équitable.

À l’occasion d’un pourvoi formé par un prévenu contre un arrêt de condamnation pour des délits d’escroquerie, pour lesquels l’ex-président de la République qui figurait au nombre des victimes, s’était constitué partie civile en vertu de l’article 2 du Code de procédure pénale, l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation répond à cette question par l’affirmative.

À l’appui de son pourvoi, le demandeur avait d’abord soulevé une QPC tendant à faire reconnaître la non-conformité de l’article 2 du Code de procédure pénale à la Constitution au regard des articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen5, 64 et 67 de la Constitution, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, le respect des droits de la défense et le droit à une procédure juste et équitable, en ce qu’il ne prévoit pas l’impossibilité pour le président de la République en exercice, lors de la durée de son mandat, de se constituer partie civile devant une juridiction pénale. La QPC ne pouvait prospérer : dans une décision du 10 novembre 2010, la Cour de cassation avait rendu une décision de non-lieu à renvoyer en l’absence de caractère sérieux d’une question similaire.

Le demandeur se prévalait par ailleurs de la violation des règles du procès équitable telles qu’elles résultent de l’article 6 de la Conv. EDH : rupture d’égalité des armes d’une part, et indépendance et impartialité des magistrats d’autre part.

▪ Sur le principe de l’égalité des armes

Le premier argument reposait sur l’affirmation que le statut particulier du président de la République, qui interdit qu’une action quelconque soit engagée ou poursuivie à son encontre durant la période d’exercice de son mandat, crée une rupture dans l’application du « principe de l’égalité des armes ». En effet, le prévenu est privé des droits d’interroger ou de faire entendre le président comme témoin (art. 6 § 3 Conv. EDH) et de la faculté ouverte à tout autre prévenu injustement poursuivie de mettre en œuvre le dispositif législatif relatif aux dénonciations abusives faites par une partie civile (abus de constitution de partie civile, dénonciation calomnieuse…).

▪ Sur l’indépendance et l’impartialité

À l’appui de son second argument, le demandeur soutenait que le pouvoir du président de la République en exercice de nommer les magistrats du siège et du parquet fait peser un doute légitime quant à l’indépendance et l’impartialité des magistrats amenés à statuer dans les affaires dans lesquelles il est partie. Le pourvoi fait ici directement référence aux exigences de la jurisprudence de la Cour EDH selon laquelle la justice ne doit pas seulement être rendue mais doit aussi avoir les apparences de l’être.

Dans son arrêt du 15 juin 2012, l’Assemblée plénière rejette l’ensemble des arguments. Elle retient d’abord que le chef de l’État, en sa qualité de victime, est recevable, en application de l’article 2 du Code de procédure pénale, à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat, en précisant qu’il avait joint son action à celle qu’avait exercée le ministère public. Elle constate qu’en l’espèce les garanties du procès équitable n’ont pas été méconnues, la culpabilité du prévenu résultant tant de ses aveux que des déclarations d’autres prévenus et d’éléments découverts en cours de perquisition, en sorte que le prévenu ne pouvait se prévaloir d’aucun grief du fait de l’absence de possibilité d’audition du chef de l’État ou de confrontation avec lui.

L’on déduira de la décision rendue que dans l’hypothèse d'une condamnation fondée sur des accusations ou sur la production de preuves émanant directement du président de la République, celles-ci ne pouvant pas être vérifiées ou combattues par une audition de l’accusateur, ou par une confrontation (le président de la République ne peut être requis de témoigner en vertu de l’art. 67 Const.), les règles du procès équitable ne seraient pas respectées.

S’agissant ensuite du grief relatif à l’indépendance et à l’impartialité des magistrats, la formation solennelle retient « que la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial, énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne vise que les juges et non pas le représentant de l’accusation ». Ainsi, la seule signature des décrets de nomination des juges du siège par le président de la République ne crée pas de dépendance à son égard puisque ceux-ci sont inamovibles et ne reçoivent ni pressions ni instructions dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.

C’est donc une solution toute en nuance que propose l’Assemblée plénière et qui permet de compléter la question du statut pénal du chef de l’État. Le chef de l’État est donc une victime comme une autre à défaut d’être un justiciable comme les autres.

Ass. plén. 15 juin 2012, n° 10-85.678

Références

 Partie civile

[Procédure pénale]

« Nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle exerce les droits qui lui sont reconnus en cette qualité devant les juridictions répressives (mise en mouvement de l’action publique, action civile en réparation). »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Crim. 10 nov. 2010, n° 10-85.678.

 Article 2 du Code de procédure pénale

« L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. 

La renonciation à l'action civile ne peut arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique, sous réserve des cas visés à l'alinéa 3 de l'article 6. »

■ Constitution du4 octobre 1958

Article 5

« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. 

Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités.»

Article 64

« Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. 

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. 

Une loi organique porte statut des magistrats. 

Les magistrats du siège sont inamovibles.»

Article 67

« Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. 

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. 

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. »

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Article 7

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance. »

Article 8

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.  »

Article 9

« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Article 16

« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.»

■ Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du           bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant

la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.»

 

Auteur :C. L.

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