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[ 5 avril 2017 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Le Président de la République peut-il être destitué ?

Mots-clefs : Président de la République, Destitution, Haute Cour, Manquement, Mandat

Si l'article 67 de la Constitution prévoit l'irresponsabilité du Président de la République pendant l’exercice de ses fonctions, il existe cependant deux exceptions. L’une est prévue à l’article 53-2 de la Constitution (responsabilité du Président de la République devant la Cour pénale internationale pour crime de génocide, crime contre l'humanité, crime de guerre ou crime d'agression) et l’autre, qui fera ici l’objet de développements, concerne la destitution du Président de la République en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat (Const. 58, art. 68).

Pour rappel, le Président de la République bénéficie, pendant la durée de son mandat, d’une inviolabilité le mettant à l’abri d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. L’objectif est de protéger la fonction présidentielle contre ce qui pourrait l’atteindre de bonne ou de mauvaise foi. Cette inviolabilité est temporaire et relative. Les procédures sont suspendues pendant la durée du mandat et reprises à l’expiration de celui-ci sans qu’une forclusion ou une prescription puisse être opposée. En revanche l’irresponsabilité pour les actes accomplis dans l’exercice du mandat est permanente et absolue (irresponsabilité politique). Toutefois, la Constitution prévoit que durant l’exercice de son mandat, le Président de la République puisse être destitué.

Actuellement cette destitution ne peut avoir lieu qu’en cas de manquement à des devoirs manifestement incompatible avec l'exercice du mandat du Président de la République. Cette notion, issue de la réforme constitutionnelle du 23 février 2007 (L. const. n° 2007-238 portant modification du titre IX de la Constitution : Haute Cour, art. 67 et 68), a remplacé la notion de « haute trahison » que l’on retrouvait également sous les Troisième et Quatrième Républiques. D’une logique pénale caractérisé par une mise en accusation du Président de la République devant une Haute Cour de Justice, on arrive à l’idée selon laquelle, il « s’agit désormais de permettre à la représentation nationale de décider si le Chef de l’État doit le rester et non pas de le condamner pour des infractions qu’il aurait commises. Ainsi, s’il est mis fin au mandat du Président de la République, celui-ci redevient un justiciable comme les autres. Si le manquement qui a justifié la destitution peut donner lieu à poursuite, notamment pénale, celle-ci s’engage selon les règles de droit commun » (Commission Pierre Avril, 2007).

La procédure de destitution.

La Haute Cour (et non plus la Haute Cour de Justice) est ainsi compétente pour prononcer la destitution du Président de la République. 

Les modalités d’application relative à la Haute Cour ont été publiées en 2014, soit 7 ans après la réforme constitutionnelle (L. org. n° 2014-1392 du 24 nov. 2014 portant application de l’article 68 de la Constitution).

La décision de réunir la Haute Cour : une compétence des deux assemblées du Parlement. La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution par l’Assemblée nationale ou le Sénat. Cette proposition de résolution doit être motivée et justifier par des motifs susceptibles de caractériser un manquement du Président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Avant d’être communiquée par le président de l’Assemblée dont elle émane au Président de la République et au Premier ministre, la proposition de résolution doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée devant laquelle elle a été déposée (soit 58 députés ou 37 sénateurs). Ensuite, la proposition de résolution est examinée par l’Assemblée devant laquelle elle a été déposée. Le Bureau de l’Assemblée vérifie sa recevabilité. Deux hypothèses se présentent : soit la proposition de résolution n’est pas recevable et ne peut être mise en discussion, car elle n’a pas été communiquée par le président de l’Assemblée au Chef de l’État et au Premier ministre ou ne remplit pas les conditions de recevabilité, soit elle est recevable, elle est alors envoyée, pour examen, à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles. Cette commission n’a ni l’obligation d’examiner la proposition de résolution, ni celle de la rejeter ou de l’adopter. Si la commission décide de son rejet ou de son adoption (elle n’a aucun droit de veto), la proposition de résolution est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée au plus tard le 13e jour suivant les conclusions de la commission. Elle est soumise au vote au plus tard le 15e jour. Cette inscription à l’ordre du jour n’est pas « de droit », en cas de non-respect des conditions prévues par l’article 48 de la Constitution et l’article 2 de la loi organique du 24 novembre 2014, la proposition de résolution devient caduque. Ensuite, si la proposition de résolution est adoptée par l’Assemblée à la majorité des deux-tiers, elle est immédiatement transmise à l’autre Assemblée. Elle est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles qui conclut à son adoption, ou à son rejet, sans pouvoir s’opposer à son examen en séance publique. Par la suite, la proposition de résolution est inscrite « de droit » à l’ordre du jour de l’Assemblée au plus tard le 13e jour suivant sa transmission et le vote se déroule au plus tard le 15e jour.

Si la proposition de résolution est rejetée par l’une ou l’autre Assemblée (exigence de la majorité des 2/3 des membres composant chaque Assemblée et recensement uniquement des votes favorables), la procédure est terminée. En revanche, si chacune des Assemblées adopte la proposition de résolution, le Bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt. 

La procédure devant la Haute Cour. Le Bureau de la Haute Cour, composé de 11 sénateurs et 11 députés et présidé par le Président de l’Assemblée nationale, prend les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour. Une commission, composée de six vice-présidents du Sénat et de six vice-présidents de l’Assemblée nationale, est chargée, tout d’abord, de recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour. Elle joue un rôle important et dispose des pouvoirs reconnus aux commissions d’enquête (contrôle sur pièces et sur place, auditions sous serment, demande d’enquêtes à la Cour des comptes : Ord. n° 58-1100 du 17 nov. 1958, art. 6, § II à IV). Elle élabore un rapport dans les 15 jours suivant l’adoption de la résolution qui est rendu public. Puis, se déroulent les débats publics devant la Haute Cour. Le principe du contradictoire doit être respecté et le Président de la République peut se faire assister ou représenter par toute personne de son choix. Par ailleurs, les débats sont enfermés dans des délais rigoureux. En effet, le vote doit commencer 48 heures après qu’ils se sont ouverts. Si la Haute Cour n’a pas statué dans le délai d’un mois suivant l’adoption de la résolution par les deux assemblées, elle est dessaisie. Enfin, si la destitution est votée, elle est d’effet immédiat et entraîne la vacance de la présidence de la République (Const. 1958, art. 7). Ainsi, les fonctions de Président de la République seraient provisoirement exercées par le Président du Sénat ou, si celui-ci est empêché, par le Gouvernement.

Comme aucun Président de la République n’a jamais été destitué sous la Cinquième, il est souvent difficile d’imaginer comment pourrait se définir la notion de manquement aux devoirs manifestement incompatible avec l’exercice du mandat présidentiel. La doctrine a pu prendre l’exemple du Président de la République qui assassinerait son épouse dans les appartements privés de l’Élysée. Toutefois, la doctrine s’accorde sur le fait que le manquement doit être d’une particulière gravité. Ainsi, le simple fait, de refuser de signer des ordonnances, de refuser de convoquer le Parlement en session extraordinaire ou de ne pas tenir des promesses de campagne ne pourrait aboutir à la destitution du Président de la République…

 

Auteur :C. G.


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