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Contrats spéciaux
Le prêt à usage v. le droit d’exercer librement une activité syndicale
Mots-clefs : Prêt à usage, Syndicats, domaine privé, Commodat, Restitution, Délai de préavis raisonnable
Le droit d’exercer librement une liberté syndicale n’oblige pas une commune à laisser perpétuellement à la disposition de différents syndicats des locaux situés sur son domaine privé.
En l’espèce, une commune de l’Indre prêtait à trois syndicats des locaux faisant partie de son domaine privé. Désireuse de reprendre l’usage des locaux, elle avait signifié, dans un délai de préavis raisonnable, la fin du prêt à usage aux organisations syndicales.
Le prêt à usage, qui portait également le nom de commodat avant la loi du 12 mai 2009, consiste en la mise à disposition gratuite d’une chose par le prêteur, à charge pour l’emprunteur de la lui rendre une fois qu’il s’en est servi (v. article 1875 du Code civil). Or, la question du délai de restitution a beaucoup fait hésiter la jurisprudence (v. P. Puig, Contrats spéciaux, p. 736). Lorsque les parties au commodat ne se sont pas entendues sur le délai de restitution, fallait-il laisser au prêteur ou à l’emprunteur le soin de décider de la date de la restitution ?
La Cour de cassation a d’abord pu décider que c’était au juge de déterminer la durée du prêt (v. Civ. 1e, 12 nov. 1998). Puis, dans un revirement de jurisprudence remarqué, elle a posé le principe selon lequel, « lorsqu’aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d'y mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable » (v. Civ. 1e, 3 févr. 2004).
Malheureusement, notre affaire de prêt à usage était compliquée par le statut des emprunteurs : trois organisations syndicales, protégées en tant que telles par différents textes internationaux et nationaux. La Cour d’appel considérait que le syndicat n’était pas un simple particulier mais une organisation « exerçant une activité reconnue d’intérêt général par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ». Par conséquent, le syndicat avait besoin des locaux pour organiser des réunions ou tenir des permanences. Or, la commune, en fixant de nouvelles conditions financières pour la location des locaux, qu’elle savait impossible à remplir pour le syndicat, avait « porté atteinte au droit d’exercer librement une liberté syndicale ».
Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation, qui refuse de créer une obligation particulière pesant sur les communes d’héberger gratuitement et à titre perpétuel des syndicats sur leur domaine privé. Écartant le moyen tiré de l’existence d’une loi protégeant les syndicats de la fonction publique territoriale, elle rappelle que « l’obligation pour le preneur de rendre la chose prêtée après s’en être servie est de l’essence même du commodat ». Comme le souligne M. Puig, « le contrat à usage n’entraîne aucun transfert de propriété au profit de l’emprunteur » (v. Contrats spéciaux, p. 710). Elle constate par ailleurs que la mairie a respecté un préavis de délai raisonnable, et a par conséquent respecté tant l’article 1888 du Code civil que l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Signalons que la Cour européenne des droits de l’homme a toujours entendu très largement le sens de la Convention européenne des droits de l’homme, afin d’imposer certaines obligations positives aux États dans la protection des droits fondamentaux (v. J.-F. Akandji-Kombe, Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme). Cependant, le paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention permet de déroger au principe de la liberté d’association afin de protéger les droits et libertés d'autrui, en l’espèce, le droit de propriété.
Civ. 1e, 3 juin 2010, n° 09-14.633, FS-P+B+I
Références
« Biens des personnes publiques qui ne font pas partie de leur domaine public. Leur régime juridique obéit en principe aux règles de fond et de compétence juridictionnelle du droit privé. »
« Mot qui, antérieurement à la loi no 2009-526, 12 mai 2009, désignait le prêt à usage dans le Code civil. »
« Contrat par lequel l’une des parties, le prêteur, met à la disposition de l’autre, l’emprunteur, une chose pour qu’il s’en serve, à charge de restitution en nature ou en valeur.
Le prêt de consommation était dit mutuum et le prêt à usage commodat jusqu’à la loi no 2009-526, 12 mai 2009 qui supprime l’utilisation de cette terminologie ; le prêt à usage a pour objet une chose non consomptible qui doit être restituée en nature par l’emprunteur.
Les prêts consentis par des particuliers sont des contrats réels exigeant pour leur formation la remise de la chose prêtée, à l’opposé des prêts consentis par des professionnels du crédit auxquels cas c’est dans l’obligation souscrite par le prêteur que l’obligation de l’emprunteur trouve sa cause. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 18e éd., Dalloz, 2010.
« Le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. »
« Le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée. »
■ Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
« 6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 11 — Liberté de réunion et d'association
« 1 Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2 L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »
■ Civ. 1e, 12 nov. 1998, Bull. civ. I, no 312 ; D. 1999. 414, note Langlade-O'Sughrue ; JCP 1999. II. 10157, note M. Audit ; JCP N 1999. 547, note Moizard ; Defrénois 1999. 802, obs. Bénabent ; CCC 1999, no 22, note Leveneur ; RTD civ. 1999. 128, obs. Gautier.
■ Civ. 1e, 3 févr. 2004, Bull. civ. I, no 34 ; D. 2004. 903, note Noblot ; JCP E 2004. 831, note M. Garnier ; Defrénois 2004. 1452, note Crône ; CCC 2004, no 53, note Leveneur ; Dr. et patr., avr. 2004, p. 116, obs. Chauvel ; RTD civ. 2004. 312, obs. Gautier ; RDC 2004. 647, obs. Stoffel-Munck, et 714, obs. Seube.
■ V. Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 2, 12e éd., Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2008, n° 286-286.
■ P. Puig, Contrats spéciaux, 2e. éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2007, p. 736.
■ J.-F. Akandji-Kombe, Les obligations positives en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, Précis sur les droits de l'Homme, n° 7, Conseil de l'Europe, 2006, p. 54 s.
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