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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Le principe de fraternité
Le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de fraternité dans sa décision du 6 juillet 2018.
A l’occasion d’une QPC portant sur le délit d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier, souvent appelé « délit de solidarité » ou « délit d’hospitalité », le Conseil constitutionnel s’est prononcé pour la première fois sur la valeur constitutionnelle du principe de fraternité.
■ La QPC ayant permis la reconnaissance du principe de fraternité
La QPC renvoyée par la Cour de cassation portait sur deux articles du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
- L’article L. 622-1 qui, dans son alinéa 1er, mentionne que le fait d'aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est un délit puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
- L’article L. 622-4 qui prévoit plusieurs cas d'exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement du délit prévu à l’article L. 622-1. Plus précisément, le 3° de l’article L. 622-4 permet une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci ».
Il était notamment reproché à ces dispositions de méconnaître le principe de fraternité pour deux raisons :
l'immunité prévue par le 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'applique uniquement lorsque la personne est mise en cause pour aide au séjour irrégulier, et non pour aide à l'entrée et à la circulation d'un étranger en situation irrégulière sur le territoire français.
il n’est pas prévu d’immunité en cas d'aide au séjour irrégulier pour tout acte purement humanitaire n'ayant donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte.
Selon le Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité portait donc sur les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que sur le 3° de ce même article.
■ La reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité
- Trois fondements textuels précis sur lesquels s’est appuyé le Conseil constitutionnel pour reconnaitre le principe de fraternité:
1. le préambule de la Constitution: « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789 , confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 , ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004.
« En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique. »
2. l’alinéa 4 de l’article 2 de la Constitution : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité". »
3. l’alinéa 1er de l’article 72-3 de la Constitution : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité. »
La consécration par le Conseil constitutionnel de la fraternité en tant que principe à valeur constitutionnelle, lui permet d’en tirer la conséquence suivante : « il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Toutefois, le Conseil précise que le législateur doit assurer la conciliation entre le principe de fraternité (en l’espèce la liberté d’entraide) et la sauvegarde de l'ordre public, ce dernier constituant quant à lui un objectif à valeur constitutionnelle : « aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. »
Enfin, il convient de noter que la liberté d’aider autrui n’est qu’une première « facette » du principe de fraternité, d’autres applications pourront voir le jour…
■ L’application du principe de fraternité au cas d’espèce
Le Conseil constitutionnel décide notamment que les mots « au séjour irrégulier » figurant au premier alinéa de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doivent être déclarés contraires à la Constitution: « en réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l'accessoire de l'aide au séjour de l'étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.»
Par ailleurs le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation en décidant qu’« Il résulte du 3° de l'article L. 622-4 que, lorsqu'il est apporté une aide au séjour à un étranger en situation irrégulière sur le territoire français, sans contrepartie directe ou indirecte, par une personne autre qu'un membre de la famille proche de l'étranger ou de son conjoint ou de la personne vivant maritalement avec celui-ci, seuls les actes de conseils juridiques bénéficient d'une exemption pénale quelle que soit la finalité poursuivie par la personne apportant son aide. Si l'aide apportée est une prestation de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux, la personne fournissant cette aide ne bénéficie d'une immunité pénale que si cette prestation est destinée à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger. L'immunité n'existe, pour tout autre acte, que s'il vise à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s'appliquant en outre à tout autre acte d'aide apportée dans un but humanitaire. »
Il s’ensuit que la reconnaissance du principe de fraternité implique, en l’espèce, que tous les actes d’aides apportés à des fins humanitaires doivent bénéficier de l’exemption pénale. Cette exemption doit s’appliquer aux actes facilitant ou tentant de faciliter le séjour en France d’un étranger en situation irrégulière ou facilitant ou tentant de faciliter sa circulation quand elle constitue « l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger ». Toutefois, il peut parfois être difficile de définir exactement la notion « d’actes d’aides apportés à des fins humanitaires », il appartiendra donc au législateur et à la jurisprudence d’en apprécier les contours…
■ La première application du principe de fraternité
Le juge des référés du tribunal administratif de Besançon (28 août 2018, n° 1801454) avait été saisi d’une demande de suspension d’un arrêté « anti-mendicité » pris par le maire de la ville de Besançon. Après avoir fait référence à la décision du Conseil constitutionnel : « de ce principe découle la liberté fondamentale d’aider autrui dans un but humanitaire », le juge des référés rappelle que cette liberté n’a pas de caractère général et absolu et doit être conciliée avec notamment l’objectif de préservation de l’ordre public. Il n’est donc pas possible de se prévaloir de la liberté de mendier en se fondant sur le principe de fraternité. L’arrêté litigieux a pour effet d’éloigner des quartiers les plus passants du centre-ville certaines catégories de personnes particulièrement vulnérables, il porte donc indirectement mais nécessairement atteinte à la liberté d’aider autrui, laquelle ne prend, parfois, spontanément corps qu’à la vue de personnes dans le besoin. Pour être effective, cette liberté requiert en effet d’avoir conscience de l’opportunité d’en faire usage. Pourtant, compte tenu de la petitesse du territoire municipal concerné et des nombreuses mains-courantes, l’atteinte portée à cette liberté n’est ni suffisamment grave ni manifestement illégale. La demande de suspension a donc été rejetée.
A noter toutefois, que le maire de Besançon a pris un nouvel arrêté supprimant l’interdiction de « la mendicité » et interdisant maintenant « l’occupation de manière prolongée en station debout, allongée ou assise » des voies publiques « lorsqu'elle est de nature à porter atteinte à la tranquillité publique », « que cette occupation soit accompagnée ou non de sollicitation à l'égard des passants ».
Depuis la décision du Conseil constitutionnel, l'article 38 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a modifié l'article L. 622-4 du CESEDA.
Cons. const. 6 juillet 2018, M. Cédric H et autre, n° 2018-717/718 QPC
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Question prioritaire de constitutionnalité ; Principe à valeur constitutionnelle ; Objectif à valeur constitutionnelle
■ TA Besançon, 28 août 2018, n° 1801454 : AJDA 2018. 1640
■ Pour aller plus loin : Commentaire du Conseil constitutionnel relatif à la décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018.
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