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Introduction au droit
Le rappel de la liberté de prouver un fait juridique
Mots-clefs : Preuve, Fait juridique, Liberté de la preuve, Écrit électronique, Copie
L’article 1316-1 du Code civil n’est pas applicable au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens de preuve.
Si le système de la preuve légale domine, en droit civil, la preuve des actes juridiques, en revanche, la preuve est libre concernant les faits juridiques. C’est à ce rappel de principe que procède la décision rapportée.
Un salarié victime d’une maladie professionnelle prise en charge, à ce titre, par la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM), avait saisi avec succès une juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Pour en être exonéré, ce dernier avait alors dénoncé le manquement de la CPAM à son obligation d’information, lequel aurait causé sa faute ; ainsi reprochait-il à la CPAM de ne l’avoir informé ni du terme de l’instruction du dossier, ni de la date prévisible de sa décision, ni de la possibilité de consulter les pièces du dossier.
En appel, la Cour avait toutefois déclaré la décision de prise en charge de la maladie opposable à l’employeur, au titre de la législation professionnelle. Les juges du fond s’étaient pour cela appuyé sur la copie d’un courriel que la CPAM avait versé aux débats, copie qui contenait tous les éléments d’information prétendument gardés et dont le rédacteur était, en outre, « dûment identifié ».
Pour contester cette décision, l’employeur forma un pourvoi en cassation faisant grief à l’arrêt de lui avoir opposé la décision de prise en charge de la maladie de son ancien salarié tout en ayant omis de vérifier la régularité du courriel produit par la CPAM, au regard des conditions posées à l’article 1316-1 du Code civil. En effet, si ce texte admet que l’écrit électronique puisse servir de preuve au même titre que l’écrit sur support papier, c’est à la double condition « que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».
Ainsi, l’auteur du pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir seulement constaté l’imputabilité du contenu de l’écrit à son auteur sans avoir cherché à vérifier la satisfaction de la seconde condition posée par le texte de l’article 1316-1, l’intégrité de cet écrit.
Son pourvoi est rejeté au motif « que les dispositions invoquées par le moyen ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait juridique, dont l’existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond ».
En effet, à côté des cas, exceptionnels, où la preuve par tous moyens est admise pour prouver les actes juridiques normalement soumis à l’article 1341 du Code civil, le système de la preuve libre joue par principe lorsque ce texte n’a pas vocation à s’appliquer, et il en est ainsi des faits juridiques.
Fondée sur l’article 1348, alinéa 1er, du Code civil, cette règle se justifie par le critère de distinction des actes et des faits juridiques : à la différence des premiers, dont les effets juridiques ont été recherchés par les parties, les seconds produisent des conséquences de droit qui n’ont pas été voulues, d’où l’impossibilité de s’en préconstituer la preuve. Pour les faits juridiques, la liberté de prouver s’impose donc naturellement.
En l’espèce, l’exécution par l’une des parties au litige de son obligation d’information, qui s’analyse bien comme un fait juridique, pouvait donc être prouvée par tous moyens et non pas seulement par la préconstitution d’un écrit. Libre, la preuve de cette exécution fut établie par une copie du courriel litigieux.
Rappelons que par exception à l’exigence d’une preuve écrite, l’article 1348, alinéa 2, du Code civil reconnaît à la copie une valeur probatoire autonome dès lors qu’elle se présente comme « la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable » du document original. Ainsi convient-il, tout d’abord, d’établir que le titre original n’a pas été conservé tout en ayant été à un moment détenu, et ensuite, de produire une copie à la fois fidèle et durable du document original, ces deux caractères relevant, comme le rappelle ici la Cour de cassation, de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Civ. 2e, 13 févr. 2014, n°12-16.839
Références
■ Code civil
« La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission. »
« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre.
Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. »
« Les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l'obligation est née d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit, ou lorsque l'une des parties, soit n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d'un cas fortuit ou d'une force majeure.
Elles reçoivent aussi exception lorsqu'une partie ou le dépositaire n'a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support. »
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