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[ 2 mai 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Le rappel de la notion de faute lourde

Mots-clefs : Contrat, Transport, Faute lourde, Définition, Dommage, Réparation intégrale

Constitue une faute lourde, la négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il a acceptée.

Si la faute lourde commise par le transporteur contraint ce dernier à réparer l’intégralité du dommage causé, paralysant ainsi l’effet d’éventuelles limitations d'indemnisation, encore faut-il pouvoir caractériser la réalisation d’une faute de ce type. Tel est l’enseignement de la décision ici rapportée.

En l’espèce, alors qu’il était arrêté sur une aire d’autoroute, un véhicule contenant des marchandises d’une certaine valeur avait été dérobé. La société victime de la perte des marchandises avait alors assigné la société de transports en responsabilité contractuelle.

En appel fut ordonnée la réparation intégrale de son préjudice au motif que le transporteur comme le chauffeur connaissaient la valeur des marchandises transportées, que le premier n’avait pu établir que le camion était équipé d’un antivol et que le second s’était à tort arrêté à la tombée de la nuit sur une aire d’autoroute non gardée pour y rencontrer un ami, une heure et demie seulement après le chargement.

Cette analyse est censurée par la chambre commerciale au visa de l’article 1150 du Code civil.

Reprenant la définition classique de la faute lourde, la Cour reproche aux juges du fond de n’avoir su, en l’espèce, en caractériser la réalisation, le transporteur ayant établi n’avoir reçu aucune instruction particulière concernant la sécurité des marchandises et le chauffeur s’étant simplement arrêté quinze minutes sur une aire d’autoroute comportant un restaurant ouvert toute la nuit, un poste de police autoroutière ainsi qu’un système de vidéosurveillance.

Rendue à propos d’un contrat de transport, la définition ici donnée de la faute lourde est en tous points conforme à celle retenue par le droit commun des contrats, cette faute visant « la négligence d'une extrême gravité, confinant au dol, et démontrant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée » (Com. 28 juin 2005. Sur le contrôle de l'appréciation des juges par la Cour de cassation, v. Com. 8 juin 1993).

Il appartient au demandeur de rapporter la preuve de la commission d’une telle faute, sans quoi le débiteur bénéficiera de plein droit des limitations de responsabilité. Or la charge de cette preuve se révèle particulièrement lourde pour le demandeur, ce dernier ignorant le plus souvent les circonstances exactes à l’origine de son préjudice. L'efficacité de la sanction de la faute lourde se heurte donc à l'obstacle de la preuve. 

Pour le contourner, deux possibilités avaient été envisagées, avant d’être finalement écartées.

Fut d’abord soutenu le fait que l’incapacité du transporteur d’expliquer la cause du dommage démontrait la faute lourde, cette incapacité révélant la désorganisation de son entreprise, et donc l'existence d'une faute lourde à l'origine du dommage. Mais cette conception fut écartée par la Cour de cassation, estimant que le seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d'explications sur la cause du dommage ne suffit pas à caractériser la faute lourde (Ch. mixte 22 avr. 2005 ; v. déjà Com. 3 mars 1998). Sévère pour la victime de l’inexécution, cette solution mérite cependant d’être approuvée dans la mesure où la faute lourde devant être celle ayant provoqué le dommage, l'absence d'explications sur son origine ne peut suffire à la constituer.

Ensuite, l'opportunité d'une présomption de faute lourde fut soutenue, dans le cas spécifique d'un manquement du débiteur à une obligation essentielle du contrat. La jurisprudence a également fermé cette voie (Com. 13 juin 2006 ; Com. 21 févr. 2006).

Comme en atteste la décision rapportée, la fermeté des juges à l'égard de la notion et de la preuve de la faute lourde conduit à en restreindre le domaine d’application. Toutefois, dès lors que les circonstances peuvent être établies, la jurisprudence n’épargne pas le débiteur, notamment en cas de vol de marchandises. En effet, loin d'exonérer le transporteur par recours à la force majeure, le vol constitue le domaine privilégié de la faute lourde (Com. 3 avr. 2002 ; Com. 21 nov. 2006 ; Com. 16 janv. 2007).

Cela étant, en cette matière, les circonstances apparaissent déterminantes, au profit, parfois, du transporteur, comme le montre l’espèce rapportée (v. déjà Com. 27 nov. 2007 : faute lourde écartée par les juges du fond dans l'hypothèse suivante : aire de stationnement où a été commis le vol n'étant pas un lieu totalement désert mais située non loin d'habitations et d'une cabine téléphonique, en bordure d'un axe routier fréquenté, et habituellement utilisée par des véhicules poids lourds ; conducteur de l'ensemble routier resté dans sa cabine pour y prendre son repos obligatoire ; preuve non rapportée qu'il ait eu la possibilité de stationner son véhicule sur une aire de stationnement éclairée pour poids lourds près d'une gare de péage ou dans un site clos et gardé. V. aussi Civ. 2e, 21 févr. 2008).

En somme, s’il n’est pas impossible qu’une faute lourde soit imputée au transporteur, encore faut-il que les juges soient en mesure de lui reprocher son absence de précaution comme la gravité de son imprudence — ce qui suppose qu'elles aient été prouvées.

Com. 1er avr. 2014, n°12-14.418

Références

 Article 1150 du Code civil

« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. »

■ Com. 28 juin 2005, n°03-20.744, Bull. civ. IV, n° 147 ; CCC 2005, comm. 201, obs. L. Leveneur.

■ Com. 8 juin 1993, n°90-19.666? Bull. civ. IV, n° 238.

■ Ch. mixte 22 avr. 2005, n°02-18.326, Bull. Ch. mixte, n° 3.

■ Com. 3 mars 1998, n° 95-20.628.

■ Com. 13 juin 2006, n°05-12.619, JCP G 2006. II. 10123, note G. Loiseau

■ Com. 21 févr. 2006, n°04-20.139, D. 2006. 717, note E. Chevrier.

■ Com. 3 avr. 2002, n°00-11.398, Bull. civ. IV, n° 68.

■ Com. 21 nov. 2006, n°05-10.027, Rev. dr. transp2007, comm. 5, obs. C. Paulin.

■ Com. 16 janv. 2007, n°05-16.415, Rev. dr. transp. 2007, comm., 26, note C. Paulin.

 Com. 27 nov. 2007, n°06-20.620, RCA 2008, comm. 68.

■ Civ. 2e, 21 févr. 2008, n°07-10.401, RCA 2008, comm. 147.

 

Auteur :M. H.

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