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Droit des obligations
Le rappel de l’étendue du préjudice réparable en cas de rupture fautive des pourparlers
Mots-clefs : Pourparlers, Rupture, Faute, Préjudice indemnisable, Perte éprouvée, Gain manqué
Une rupture de pourparlers n'emporte pas indemnisation d'une perte de chance de réaliser les gains nés du contrat non conclu.
Par un arrêt rendu le 18 septembre 2012, la Cour de cassation confirme qu’en cas de rupture fautive des pourparlers, le préjudice réparable ne s’étend pas à la perte de chance de conclure le contrat.
En l’espèce, un contrat de sous-traitance portant sur un marché de définition d'une tenue de combat avec la délégation générale de l'armement (DGA) a été conclu par deux sociétés. Au cours des années 2003 et 2004, les sociétés sont entrées en relations en vue de la sous-traitance du marché de réalisation de ces tenues. Fin 2004, la société attributaire du marché de la DGA a informé son partenaire qu'il n'était pas retenu. Ce dernier l'a assignée en réparation des préjudices en résultant. Pour condamner l'attributaire, l'arrêt attaqué retient que ses fautes ont fait perdre à la société candidate une chance sérieuse d'être désignée en qualité de sous-traitant du marché de réalisation de tenues de combat conclu avec la DGA. Rappelant l’étendue du préjudice indemnisable en cas de faute dans la rupture des négociations, la chambre commerciale casse, au visa de l’article 1382 du Code civil, l’arrêt des juges du fond : la faute de la société attributaire, consistant dans la rupture abusive de pourparlers au préjudice de la société candidate, ne peut donner lieu à l’indemnisation de la perte de chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat.
Rappelons qu’en soi, la rupture des pourparlers, entretiens préalables à la conclusion d’un contrat, n’est pas condamnable. Découlant directement du principe de liberté contractuelle, qui implique celle de ne pas contracter, la liberté de rompre des négociations, notamment pour poursuivre celles, plus avantageuses, engagées concomitamment, est acquise. Cette liberté de principe connaît toutefois un tempérament, l’abus du droit de rompre des pourparlers. Abusive, la rupture sera alors sanctionnée sur le terrain de la responsabilité délictuelle : en effet, l’article 1382 du Code civil ici visé confirme le rejet de la théorie de la culpa in contrahendo, selon laquelle la faute commise dans la négociation d’un contrat doit être regardée comme une faute contractuelle. La détermination de la faute de négociation repose sur un manquement au devoir de loyauté précontractuelle. Si la liberté contractuelle condamne la sanction de la rupture à proprement parler, le devoir général de loyauté commande celle des circonstances, fautives, qui l’entourent. Si elles se révèlent contraires à ce que la victime de la rupture aurait été en droit d’attendre d’un partenaire honnête, les circonstances de la rupture caractériseront la faute de son auteur. En l’espèce, la déloyauté était caractérisée par le silence, gardé par l’auteur de la rupture, sur les négociations parallèles qu’il avait engagées avec des sociétés concurrentes, en dépit du degré d’avancement des pourparlers menés avec la société victime. De façon générale, la faute résulte de la brutalité de la rupture de pourparlers avancés. Confrontées au degré d’avancement de la négociation, la brutalité et l’unilatéralité de la rupture rend celle-ci illégitime et abusive. Mais depuis longtemps, la sanction d’un tel abus pose le problème de la réparabilité du préjudice qui en résulte. Si l’indemnisation du damnum emergens (la perte éprouvée, c’est-à-dire les frais inutilement engagés par la victime) est acquise, celle du lucrum cessans (le gain manqué du fait de la non-conclusion du contrat) a varié dans le temps. Pendant très longtemps refusée (v. déjà, Dijon,15 févr.1893, S.1894, 2, p.144), la perte de chance de conclure le contrat négocié avait ensuite été admise par plusieurs juridictions du fond (Versailles, 1er avr. 1999 ; Versailles, 25 sept. 2003) avant d’être clairement écartée par le célèbre arrêt Manoukian du 26 novembre 2003 (Com. 26 nov. 2003). L’absence de lien causal entre la faute, qui tient à l’illégitimité de la rupture, et le dommage, fonde la solution : en effet, même légitime, la rupture aurait quand même conduit à la non-conclusion du contrat. Cela étant, la Cour de cassation aurait pu admettre, de manière plus souple et casuistique, l’indemnisation de la perte de chance en fonction du degré d’avancement des pourparlers.
Com. 18 sept. 2012, n°11-19.629, FS-P+B
Références
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
■ Dijon, 15 févr.1893, S. 1894, 2, 144.
■ Versailles, 1er avr. 1999, RJDA 1999. 1285.
■ Versailles, 25 sept. 2003, JCP E 2004. 384.
■ Com. 26 nov. 2003, n°00-10.243 et n°00-10.949, D. 2004. 869 ; RTD civ. 2004. 80, obs. Mestre et Fages, RDC 2004. 257, note Mazeaud.
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