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Droit des obligations
Le rappel des conditions de la réparabilité de la perte de chance
Mots-clefs : Responsabilité contractuelle, Chirurgien-dentiste, Faute, Perte de chance, Conditions d’indemnisation
La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable.
La responsabilité du chirurgien-dentiste fondée sur la violation d'une obligation de moyens est subordonnée à la preuve d'une faute commise dans les soins dentaires et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Aussi la responsabilité est-elle écartée lorsque les expertises révèlent que l'évolution des troubles et lésions n'a pas de rapport avec le comportement, même fautif, du chirurgien (Paris, 8 févr. 1991). C’est ce que les juges du fond avaient précisément relevé dans l’arrêt commenté pour rejeter la demande d’indemnisation d’une patiente reprochant à son chirurgien-dentiste de lui avoir fait perdre, par négligence, la chance d’éviter la récidive de sa pathologie ; en effet, à l’appui de plusieurs expertises, la cour d’appel de Riom a retenu l’absence de lien causal entre la faute — causée par l’absence de traitement à la suite de l’intervention — et le dommage — la récidive de la pathologie, laquelle aurait pu survenir même si les soins nécessaires lui avaient été prodigués. La première chambre civile devait donc répondre à la question de savoir si la perte de chance peut être indemnisée alors même qu’en l’absence du fait dommageable, le résultat désiré n’aurait peut-être pas été atteint. Au visa de l’article 1147 du Code civil, la Cour de cassation rappelle que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable ; en l’espèce, la faute du chirurgien-dentiste impliquait nécessairement que le traitement qui, à tort, ne fut pas effectué, aurait pu avoir une influence favorable sur l’évolution de la maladie.
La question de l'indemnisation de la perte de chance se trouve donc, en l’espèce, posée à propos de la responsabilité du chirurgien-dentiste, mais elle va bien au-delà : l’ensemble du droit de la responsabilité civile est en vérité concerné par le traitement à réserver à ce type de dommage, dont la part d’incertitude constitue la spécificité en même temps que la cause des difficultés qu’il engendre. L’incertitude est par nature mal connue, et prête au doute ; elle ménage les hypothèses, les supputations et les conjectures. « Ah ! qu’il m’explique un silence si rude ; je ne respire point dans cette incertitude » (Racine, Bérénice, acte II, scène 5). L’incertitude engendre souvent une sensation d’inconfort et c’est sans doute l’une des impressions qu’elle inspire à ceux qui y sont confrontés alors qu’ils entendent se prévaloir du droit de la responsabilité civile. En effet, en cette matière, l’incertitude constitue avant tout un obstacle à l’indemnisation, puisque les tribunaux font dépendre la réparabilité du préjudice de sa certitude. Un dommage purement hypothétique ou éventuel ne saurait donc engager la responsabilité civile de son auteur. Néanmoins, les juges ont su aménager cette condition de certitude lorsque le fait dommageable brise les espoirs réels de la victime. Ainsi, le malade dont la guérison était possible n’a pas à se résigner lorsque cet espoir déçu fut en réalité étouffé par la prescription d’un traitement inadapté ou par l’absence de soins appropriés. Certes, les juges auraient pu être tentés de faire abstraction de cet espoir brisé ; le dommage doit, par principe, être certain pour être indemnisable. Ainsi, dans l’espèce commentée, la faute du chirurgien-dentiste n’a pas frustré la victime d’un avantage dont l’obtention était indubitable ; il a fait disparaître une simple éventualité, celle d’éviter la récidive de la pathologie. Mais comme le laissent entendre ici les juges, il serait excessif de méconnaître systématiquement la dissipation d’heureuses perspectives. Dès lors que les vœux de la victime n’étaient pas purement chimériques et que c’est le fait dommageable qui a rendu leur réalisation inenvisageable, il devient possible de se raccrocher à quelques certitudes : il existait un espoir et il s’est éteint. Ainsi définie, la perte de chance, indubitable, constitue un préjudice certain, donc indemnisable. C’est alors fort logiquement que la Cour de cassation rappelle ici que la disparition certaine d’une éventualité favorable constitue une perte de chance réparable (Civ. 1re, 21 nov. 2006). Le caractère incertain du résultat escompté ne constitue donc pas un obstacle à l’indemnisation, laquelle est possible si la chance, suffisamment sérieuse, a été effectivement anéantie par l’événement dommageable.
Civ. 1re, 22 mars 2012, pourvois n°11-10.935 et 11-11.237
Références
[Droit civil]
« Préjudice résultant de la disparition, due au fait d’un tiers, de la probabilité d’un événement favorable et donnant lieu à une réparation mesurée sur la valeur de la chance perdue déterminée par un calcul de probabilités et qui ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
■ Paris, 8 févr. 1991, JCP G 1992. II. 21788.
■ Civ. 1re, 21 nov. 2006, n°05-15.674.
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