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Droit pénal général
Le rattachement au territoire de la République des tweets faisant l’apologie du terrorisme
L’apologie de terrorisme publiée sur un réseau social depuis l’étranger est réputée commise sur le territoire de la République dès lors que les propos ont été émis en langue française et présentaient à la fois dans la publication et quant au thème, un lien avec la France.
Crim. 7 nov. 2023, n° 22-87.230 B
La cybercriminalité invite régulièrement à interroger les mécanismes du droit pénal que ce soit la détermination de la responsabilité pénale ou, comme c’est le cas ici de l’application de la loi dans l’espace.
À l’origine de cet arrêt, des messages susceptibles d’être qualifiés d’apologies du terrorisme sont signalés au procureur de la République de Lille. Ces messages, émis sur Twitter (X), avaient été envoyés avec le souci pour son auteur de préserver son anonymat. Il a effet utilisé un pseudonyme pour son compte tweeter et un VPN (réseau privé virtuel) pour sa connexion. Les autorités françaises parvinrent à montrer que le message avait été envoyé depuis l’Algérie. L’auteur du propos, résidant en France, est appréhendé alors qu’il se trouve sur le territoire, poursuivi puis condamné sur le fondement de l’apologie du terrorisme en première instance puis en appel.
Sans s’attarder sur ce point qui n’était pas au cœur du problème juridique posé à la Cour de cassation, il convient de rappeler que l’apologie du terrorisme se caractérise par la glorification, l’approbation ou la justification d’actes relevant du terrorisme ou encore une présentation favorable faite de son auteur. Cette qualification figure à l’article 421-2-5 du Code pénal depuis la loi du 13 novembre 2014, laquelle a transféré dans le Code pénal ce délit qui était autrefois un délit de presse relevant de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Un tel déplacement n’est pas sans effet, car il conduit désormais à considérer que l’apologie du terrorisme, tout comme la provocation directe à la commission de tels actes, relève du droit commun et non du régime de la presse. L’une des conséquences est que le délai de prescription de l’action publique est désormais de 6 ans et non de 1 an pour les autres apologies figurant toujours à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.
À cet égard, l’arrêt peut surprendre sur ce point, la réponse effectuée par la Cour de cassation commençant par une référence à la loi sur la presse (§ 9). Cela montre le statut aujourd’hui encore relativement ambigu de cette infraction qui ne peut plus être considérée comme étant un propos incriminé sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, mais qui de fait conserve avec ce texte des liens de fait (toutes les apologies sont souvent considérées comme fort proches en dehors de leur objet) et de droit (la détermination de la responsabilité en matière de presse, notamment le mécanisme de la cascade responsabilité, peut être appliqué à ce délit en vertu du dernier al. de l’art. 421-2-5 C. pén.).
La question portait davantage sur l’applicabilité de la loi pénale française dans cette affaire, le prévenu ayant soulevé une exception d’incompétence territoriale rejetée par les juges du second degré. Pour rappel, en vertu de l’article 113-2 du Code pénal, est réputée commise sur le territoire l’infraction dont un élément constitutif a eu lieu sur le territoire. Il est déduit de manière implicite que le juge pénal français est compétent pour juger ces infractions. Cette question du rattachement au territoire a été repensée dans le contexte numérique. En effet, dans quelle mesure un contenu illicite, publié à l’étranger peut-il être ainsi rattaché au territoire français ? La jurisprudence a pu un temps recourir à la théorie de l’ubiquité (A. Huet et R. Koering-Joulin, Droit pénal international, PUF, 3e éd., 2014, n° 136), considérant que l’infraction se trouve à la fois localisée au lieu de l’émission et de la réception lorsqu’un résultat est attendu, ce qui est notamment admis par la jurisprudence en matière de diffamation (l’atteinte à l’honneur), mais pas en matière de menace de mort. Le recours à cette théorie conduisait à admettre que la simple réception sur le territoire français permettait d’admettre l’applicabilité de la loi pénale française dans un grand nombre de situations. Ce fut notamment le cas dans une affaire Yahoo ! concernant la mise aux enchères d’objets nazis aux États-Unis (TGI Paris, 17e ch., 26 févr. 2002 ; CA Paris, 11e ch., 17 mars 2004, n° 03/01520). Or, ce critère d’accessibilité est apparu déraisonnable dans ses effets raison pour laquelle la jurisprudence a ensuite retenu le critère de la focalisation pour établir le rattachement, d’abord en matière de contrefaçon (Crim. 9 sept. 2008, n° 07-87.281 ; Crim. 14 déc. 2010, n° 10-80.088) puis dans le champ des infractions de presse (Crim. 12 juill. 2016, n° 15-86.645 ; Crim. 6 mars 2018, n° 16-87.533). Selon cette théorie, il convient de rechercher si le contenu est orienté vers le public français ce qui résulte d’indices que la jurisprudence détermine. Jusqu’ici, seul un indice avait été dégagé, celui de l’usage de la langue française.
La solution apportée par l’arrêt illustre parfaitement cette évolution. Dans cette affaire, la cour d’appel avait fondé sa compétence autant sur le fait que le propos avait été émis en langue française et que sur l’accessibilité du propos en France. Sans surprise, la chambre criminelle considère que la simple accessibilité n’est pas à même de fonder la compétence de la juridiction pénale, fragilisant ainsi la décision de la juridiction du fond. La Cour sauve toutefois l’arrêt de condamnation en reprenant, dans la ligne de sa jurisprudence, le critère de la langue. En deux paragraphes, l’arrêt illustre à la fois le rejet de la théorie de l’ubiquité et l’admission de celle de la focalisation.
Toutefois, un premier intérêt vient du fait que la chambre criminelle de la Cour de cassation ajoute à cet indice, deux autres. Le premier résulte du contenu des tweets. Certains étaient illustrés par des photographies représentant la France ou stigmatisaient cette dernière « comme un pays de mécréance, opposé à l'organisation dite État Islamique », ou encore incitaient « les musulmans à se sentir étrangers sur ‘toutes les terres qui refusent d'appliquer et combattent les lois d'Alla’, notamment la France ». Le second tient au thème des tweets à savoir le terrorisme islamique, la Cour rappelant que « le territoire de la République a été frappé et reste frappé par le terrorisme islamiste ». Ce faisant, la chambre criminelle établit bien un « faisceau d’indices » (J. Francillon, obs. sous Crim. 12 juill. 2016, préc.) qui permet d’établir le rattachement de l’infraction au territoire.
Un deuxième intérêt est l’application à une nouvelle infraction, cette fois hors champ du droit de la presse stricto sensu, de la théorie de la focalisation renforçant la généralisation de la solution.
Le troisième et dernier intérêt de cet arrêt tient au grand absent de cette décision. En effet, la loi du 3 juin 2016 a introduit à l’article 113-2-1 du Code pénal prévoyant les règles d’application de la loi pénale dans l’espace pour « tout crime ou tout délit réalisé au moyen d'un réseau de communication électronique ». Il établit de manière originale un rattachement au territoire à raison de la résidence de la personne physique ou du siège de la personne morale subissant un préjudice du fait de l’infraction. L’apologie sur internet montre l’inadaptation d’un tel texte à la situation présente, faute notamment de victime identifiée et l’arrêt montre que l’article 113-2-1 ne saurait s’appliquer à toutes les infractions commises en ligne. Il faut sans doute en conclure qu’en cas d’infraction commise par internet, il convient d’appliquer de manière alternative l’article 113-2 du Code pénal en retenant un rattachement dès lors que l’infraction est tournée vers le public français et l’article 113-2-1 pensé notamment pour les atteintes aux systèmes automatisés de données. Ainsi, il vise davantage la cyberattaque de serveurs se situant à l’étranger, mais appartenant à une société française que l’acte d’apologie du terrorisme.
Références :
■ TGI Paris, 17e ch., 26 févr. 2002 : CCE 2002. Comm. 77, obs. A. Lepage.
■ CA Paris, 11e ch., 17 mars 2004, n° 03/01520 : CCE 2005. Comm. 72, obs. A. Lepage.
■ Crim. 9 sept. 2008, n° 07-87.281 : D. 2009. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; CCE 2008. Comm. 126, Ch. Caron.
■ Crim. 14 déc. 2010, n° 10-80.088 : D. 2011. 1055, note E. Dreyer ; RSC 2011. 651, obs. J. Francillon ; RTD com. 2011. 356, obs. F. Pollaud-Dulian.
■ Crim. 12 juill. 2016, n° 15-86.645 P : D. 2016. 1848, note E. Dreyer ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 533, obs. D. Brach-Thiel ; Dalloz IP/IT 2016. 618, obs. B. Auroy ; Légipresse 2016. 452 et les obs. ; ibid. 532, comm. S. Detraz ; RSC 2016. 535, obs. J. Francillon ; CCE 2016. Comm. 83, obs. A. Lepage ; Gaz. Pal. 4 oct. 2016, n° 34, p. 45, obs. S. Detraz.
■ Crim. 6 mars 2018, n° 16-87.533 : Légipresse 2018. 185 et les obs. ; RSC 2019. 109, obs. E. Dreyer ; Gaz. Pal. 23 mai 2018, obs. F. Fourment.
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