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[ 10 octobre 2016 ] Imprimer

Introduction au droit

Le refus d’évaluer un préjudice constitue un déni de justice

Mots-clefs : Office du juge, Prohibition du déni de justice, Notion, Application, Refus d’évaluation d’un dommage

En refusant d’évaluer le montant d’un dommage dont il constatait l’existence dans son principe, le juge commet un déni de justice.

 

Deux maîtres d’ouvrage avaient confié la rénovation d'un appartement à un entrepreneur puis l’avaient convoqué par courrier pour faire constater, par un huissier de justice, l'état d'avancement du chantier. Sur la base d’un constat non contradictoire, l’entrepreneur avait fait délivrer une injonction de payer une certaine somme, au titre du solde du prix. L’un des deux maîtres d’ouvrage avait formé opposition à l'ordonnance d'injonction de payer, ainsi qu'une demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Pour rejeter l'action en paiement du coût de reprise des travaux, la cour d’appel retint que seule l'expertise amiable non contradictoire chiffrait le montant des travaux de reprise des désordres constatés, et qu'il est de principe que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d'une seule partie.

Au visa de l'article 4 du Code civil, cette décision est cassée par la troisième chambre civile, qui juge qu'en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le constat d'huissier détaillait les imperfections d’une  toile de verre et de peintures, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer un préjudice dont elle avait constaté l'existence, a violé l’interdiction de principe du déni de justice.

D’un point de vue technique, la mission du juge consiste à trancher les litiges « conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » (C. pr. civ., art. 12, al. 1er) , par un jugement qui doit obligatoirement être motivé (C. pr. civ., art. 455, al. 1er). Si la loi ne fournit pas toujours au juge les moyens de s’acquitter de cette obligation de motivation, parce qu’« il est impossible au législateur de pourvoir à tout » (Portalis, Discours préliminaire), elle interdit toutefois au juge de tirer prétexte de ses propres lacunes pour refuser de remplir son office : c’est ce qui ressort du célèbre article 4 du Code civil, qui fonde la prohibition du déni de justice : « (l)e juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Ce texte interdit donc au juge de refuser d’exercer la mission qui lui revient de façon à garantir l’effectivité du droit d’action en justice dont disposent les justiciables.

Le déni de justice constitue un délit pénal sanctionné par une amende de 7500 euros et l’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de 5 à 20 ans (C. pén., art. 434-7-1). Cette interdiction connaît diverses déclinaisons, dont la plus récente s’est traduite par l’interdiction faite au juge de déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur alors qu’il lui incombait de trancher lui-même la contestation dont il était saisi, ceci dans une affaire relative à la liquidation et au partage d’une communauté de biens entre époux (Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005).

Dans la décision rapportée, la troisième chambre civile rappelle que le juge ne peut, sans commettre un déni de justice, refuser d'évaluer le montant du dommage dont il constate l'existence en son principe (V. notam. Civ. 3e, 6 févr. 2002, n° 00-10.543; Civ. 2e, 4 janv. 2006, n° 04-15.280 ; Civ. 2, 25 avr. 2007, n° 05-14.964 ). En effet, les juges du fond s’étaient prononcés en considérant que seule une expertise contradictoire aurait pu permettre d’évaluer le montant des reprises, pour en déduire que le maître d’ouvrage devait être débouté de sa demande en paiement après avoir pourtant pris acte de que le constat d'huissier révélait l'existence d'imperfections dont ils n’avaient pas contesté la matérialité. En refusant d'évaluer un dommage dont ils avaient pourtant constaté l'existence en son principe, leur décision, rendue en violation de l’article 4 du Code civil, encourrait la cassation.

Civ. 3e, 15 sept. 2016, n° 15-10.848

Références 

■ Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005 PAJ fam. 2014. 641, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 106, obs. J. Hauser.

■ Civ. 3e, 6 févr. 2002, n° 00-10.543 PRDI 2002. 151, obs. P. Malinvaud.

■ Civ. 2e, 4 janv. 2006, n° 04-15.280 PD. 2006. 176.

■ Civ. 2e, 5 avr. 2007, n° 05-14.964 P.

 

Auteur :M. H.

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