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[ 20 février 2025 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Le régime de la présomption de démission partiellement précisé

Les six requêtes visant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié et de la " foire aux questions " publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail sont rejetées. Le Conseil d’État apporte toutefois quelques précisions sur cette « présomption » introduite dans le Code du travail en 2022.

CE 18 déc. 2024, n° 473640

La démission est l’acte unilatéral par lequel un salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail (Par ex. Soc. 29 nov. 2023, n° 22-13.367, Soc. 14 nov. 2024, n° 22-23.901). Elle ne repose sur aucune justification particulière, ce qui la distingue du départ à la retraite ou de la prise d’acte de rupture. Par ailleurs, et contrairement au licenciement, la démission n’ouvre pas droit à l’allocation de retour à l’emploi, sauf exception prévue par la convention d’assurance chômage. En 2022, au prétexte que de nombreux salariés abandonneraient leur poste pour être licenciés et ainsi bénéficier indûment des allocations, le législateur a mis en place un système dit de « présomption de démission », figurant désormais à l’article L. 1237-1-1 du Code du travail. Selon ce texte, « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ». Un décret adopté le 17 avril 2023 est venu préciser le régime de cette présomption et dès le lendemain, un « question-réponse » fut publié sur le site internet du ministère. Ce document avait toutefois été retiré quelques semaines plus tard en raison du scepticisme des auteurs sur la pertinence de certaines des informations délivrées. Plusieurs syndicats ont alors saisi la juridiction administrative pour faire annuler le décret ainsi que cette fameuse foire aux questions du ministère. Le Conseil d’État écarte rapidement les arguments portant sur le non-respect de l’article L. 1 du Code du travail (le décret ne ferait que mettre en œuvre une réforme déjà adoptée) et sur la violation de la convention 158 de l’OIT (Ce texte ne concerne pas la démission). Il apporte de précieux renseignements sur la mise en œuvre de ce nouveau mécanisme (I) mais reste silencieux sur les alternatives offertes à l’employeur (II) et sur les carences du décret sur d’autres informations (III).

I.               L’information du salarié des conséquences de son absence

L’employeur doit mettre en demeure le salarié de justifier son absence ou de reprendre son poste dans un délai qu’il lui communique. L’objectif de cette mise en demeure est de garantir le caractère « volontaire » de la démission : le salarié, en toute connaissance de cause, demeure silencieux et ne reprend pas son poste. Les syndicats considéraient que les modalités prévues par le décret ne permettaient pas de s’assurer de cette finalité. Le Conseil d’État leur donne en partie raison mais sans annuler le décret.

Le décret ne prévoit pas précisément la teneur de la lettre envoyée ou remise au salarié. Il énonce simplement que l’employeur met en demeure le salarié de reprendre son poste ou de justifier de son absence. Le Conseil d’État apporte toutefois une précision importante : pour que la démission puisse être présumée, le salarié doit avoir été informé « lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail ». Le Conseil d’État n’annule pourtant pas le décret, estimant que cette carence n’est pas de nature à l’entacher d’illégalité. Il sera toutefois désormais indispensable que l’employeur indique expressément au salarié qu’il s’expose à être considéré comme démissionnaire s’il n’explique pas son absence dans le délai imparti. Reste à savoir si l’information doit être plus complète, notamment si l’employeur doit également indiquer les conséquences concrètes d’une démission. En effet, non seulement le salarié ne pourra pas prétendre aux allocations-chômage mais il pourrait s’exposer à une action en justice de la part de l’employeur pour inexécution fautive du préavis de démission. Or la Cour de cassation considère que le montant des dommages-intérêts dus par le salarié est forfaitaire et correspond à l’ensemble des salaires que celui-ci aurait perçus s’il avait exécuté son préavis (Soc. 6 mars 1991, n° 87-45.560 ; Soc. 9 mai 1990, n° 88-40.044). Ni la durée précise du préavis de démission, ni la sanction de son inexécution ne sont des informations facilement accessibles. Aussi, la juridiction administrative aurait-elle pu préciser que la mise en demeure devait les rappeler.

Par ailleurs, l’article R. 1237-13 du Code du travail prévoit que le délai imparti par l’employeur au salarié pour réagir ne peut être inférieur à 15 jours et il commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure. Il était soutenu que ce délai était trop bref et que le point de départ devait être décalé au jour de la réception dudit courrier. Mais pour la Haute juridiction administrative, les dispositions critiquées sont conformes « à l'exigence constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme » et il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation. Dès lors, un salarié avisé mais absent, qui ne vient pas retirer la lettre recommandée, risque, à l’écoulement du délai, d’être considéré comme démissionnaire. Cette solution s’applique certes à d’autres délais, notamment au délai de 5 jours entre la présentation de la lettre de convocation et la tenue de l’entretien préalable au licenciement (Soc. 6 sept. 2023, n° 22-11.661) mais dans le contexte de la démission dite « volontaire », elle est discutable car il est difficile de prétendre que le salarié a connaissance des enjeux s’il n’a jamais lu la lettre de l’employeur.

II.             Les alternatives à la prise d’acte de la démission

Lors de la publication du « question-réponse », le ministère avait indiqué que la nouvelle présomption de démission avait un caractère exclusif et par conséquent, que l’employeur n’avait plus « vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ». Autrement dit, en cas d’abandon de poste, le licenciement disciplinaire ne serait plus possible. Mais ce passage avait été rapidement supprimé en raison des critiques qu’il avait soulevé. Les syndicats prétendaient pourtant que le décret devait être annulé car l’employeur aurait désormais le choix entre engager une procédure de licenciement disciplinaire ou utiliser la procédure de présomption de démission. S’en suivrait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. Le Conseil d’État écarte l’argument considérant que l’employeur ne fait que mettre en œuvre un dispositif prévu par la loi. Mais par ailleurs, sur le choix laissé à l’employeur entre licencier ou prendre acte de la démission, on relèvera que le principe d’égalité de traitement ne s’applique qu’à des avantages (Soc. 10 oct. 2012, n° 11-10.455). Il paraît étrange de qualifier comme tel l’un ou l’autre des actes visant à rompre le contrat, que ce soit le licenciement disciplinaire ou la démission, quand bien même le premier ouvre droit aux allocations-chômage et non la seconde.

En revanche, le Conseil d’État ne répond pas directement à la question du caractère exclusif du nouveau dispositif. L’arrêt relève que « le décret n'avait pas, à peine d'illégalité, à préciser si la procédure de licenciement peut [...] être engagée par l'employeur quand les conditions du premier alinéa de L. 1237-1-1 du Code du travail sont remplies ». Malgré le silence de la juridiction administrative, l’obligation pour l’employeur de choisir la voie de la prise d’acte de démission laisse sceptique. L’abandon de poste est en effet un agissement que l’employeur juge souvent fautif (L. 1331-1 c. trav.). Il lui est alors loisible d’engager une procédure disciplinaire visant à sanctionner le salarié, en choisissant – mais pas nécessairement – le licenciement pour faute grave. Or lorsque les compétences du salarié sont recherchées par l’employeur, celui-ci pourrait préférer une sanction comme une mise à pied plutôt que la rupture. On ne comprend alors pas pourquoi l’employeur serait uniquement privé d’une sanction – le licenciement - lorsqu’il décide de se séparer du salarié.

III.           Les autres silences du décret

L’article L. 1237-1-1 précise que le salarié doit « justifier » d’un motif d’absence. Le décret propose une liste des motifs légitimes de nature à faire obstacle à la présomption : des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait ou du droit de grève, le refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou entraînant une modification du contrat. Cette liste n’est pas limitative puisqu’est employé l’adverbe « notamment ». Mais une incertitude demeure sur la contrainte pesant sur le salarié. Le décret précise que le salarié « indique le motif qu’il invoque » dans sa réponse à la mise en demeure. Or une « information » n’est pas la même chose qu’une « justification ». En cas de litige, la question demeure de savoir si le salarié supportera la charge et le risque de la preuve du motif légitime de son absence. Par ailleurs, le texte ne fixe ni le délai minimum entre le début de l’abandon de poste et l’envoi de la mise en demeure, ni les modalités concrètes de la prise d’acte de démission. Mais là encore, le Conseil d’État n’y décèle aucune imprécision entachant le décret d’incompétence négative. Il faudra donc attendre les réponses de la Cour de cassation puisque ces ruptures vont certainement soulever du contentieux. Le salarié peut en effet contester la « démission » devant le conseil de prud’hommes. Dans ce cas, le législateur a prévu une nouvelle exception au principe de tentative préalable de conciliation, le juge devant se prononcer dans un délai d’1 mois à compter de sa saisine sur la nature de la rupture et ses conséquences (L. 1237-1-1). Même avec les précisions du Conseil d’État, cette « présomption de démission » paraît bien semée d’embûches et les employeurs, soucieux d’éviter un contentieux, pourraient bien la délaisser.

Références :

■ Soc. 29 nov. 2023, n° 22-13.367 : D. 2023. 2138

■ Soc. 14 nov. 2024, n° 22-23.901 

■ Soc. 6 mars 1991, n° 87-45.560

■ Soc. 9 mai 1990, n° 88-40.044

■ Soc. 6 sept. 2023, n° 22-11.661 : D. 2023. 1593 ; JA 2023, n° 687, p. 10, obs. A. Kras

■ Soc. 10 oct. 2012, n° 11-10.455 : D. 2012. 2455 ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta

■ P. Adam, Mécanique de la démission présumée, RJS 3/23, p. 7

■ G. Duchange – I. Meftah L démission sans volonté de démissionner : quels effets aura cet Objet Juridique Non Identifié ? , RDT, 2022 p. 685

■ A. Fabre, Abandon de poste = présomption de démission. Une équation à plusieurs inconnues, JCP S, 2023, 1000

■ Sur l’assimilation de certaines démissions à une perte involontaire d’emploi pour ouvrir droit aux allocations-chômage : (Art. 2 décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d’assurance chômage).

 

Auteur :Chantal Mathieu


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