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Droit administratif général
Le retour de la jurisprudence sur les établissements à « double visage »
Mots-clefs : Établissement public, Établissement public administratif (EPA), Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), Établissement public à « double visage », Compétence juridictionnelle, ANCV, ONF
Par deux arrêts rendus à quelques jours d’intervalle, la Cour de cassation puis le Tribunal des conflits ont remis à l’ordre du jour une jurisprudence bien établie : celle concernant les établissements « à double visage ». Si la première juridiction fait prévaloir la compétence judiciaire, la seconde retient, à l’inverse, celle administrative.
Les juges ont, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, développé une jurisprudence audacieuse concernant le partage des compétences entre les deux ordres juridictionnels à propos des établissements publics : la théorie des établissements publics à « double visage ». En effet, en dépit de la qualification juridique donnée par la loi à un établissement public — établissement public administratif (EPA) ou établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) —, les juridictions administratives, judiciaires mais aussi le juge des conflits ont considéré que, quelle que soit sa qualification, l’établissement public pouvait cumuler l’exercice d’une activité administrative et d’une activité industrielle et commerciale. Le travail du juge consiste alors à déterminer à quelle activité se rattache principalement le litige porté devant lui. Deux arrêts intéressants, aux solutions opposées, viennent illustrer cette construction prétorienne.
Dans la première espèce, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que le litige concernant le refus de versement d’une subvention par l’Association nationale pour les chèques vacances (l’ANCV), établissement public industriel et commercial, à l’Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA), relève bien du juge judiciaire.
Dans le cadre d’un litige opposant l’ANCV (EPIC) à l’UCPA (association de la loi de 1901) sur un refus de versement d’une subvention, la question de la compétence juridictionnelle a été posée. La Cour de cassation a jugé que « lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence judiciaire, à l’exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, telle la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique ». Même si la qualification par la loi d’un EPIC — en l’espèce, ANCV a été créée par une ordonnance du 26 mars 1982 (C. tourisme, art. L. 411-13) — entraîne par principe la compétence judiciaire, il est fait exception pour les « activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique » (T. confl. 29 déc. 2004, Époux Blanckeman c/VNF ; 16 oct. 2006, Caisse centrale de réassurance c/Mutuelle des architectes français).
La question demeurait de savoir, si dans le cas présent, le litige pouvait se rattacher à une activité administrative. La Haute juridiction judiciaire répond par la négative : « ayant relevé que le fait d’exercer une mission de service public administratif n’était pas un critère suffisant pour entraîner la compétence des juridictions de l’ordre administratif et que l’ANCV n’exerçait pas de prérogatives de puissance publique, la cour d’appel en a exactement déduit que les juridictions de l’ordre judiciaire étaient compétentes pour connaître du litige ». Pour écarter la présence de telles prérogatives, la première chambre civile se livre à une analyse au terme de laquelle elle constate que « l’application des règles des finances publiques s’imposait à l’ANCV du seul fait de sa nature d’établissement public et que le fait qu’elle devait faire appel à un contrôleur extérieur nanti de la puissance publique démontrait, au contraire, qu’elle n’en était pas elle-même investie ». Comme le rappellent certains commentateurs avisés, « dans les appréciations délicates auxquelles il doit ainsi procéder, le juge tient compte également de considérations d’opportunité, en recherchant s’il est souhaitable de reconnaître à l’organisme en cause un statut de droit public, avec toutes les conséquences juridiques, administratives et financières qui en découlent » (GAJA 17e éd., n° 7, spéc. n° 4).
Dans la seconde espèce, c’est au contraire en faveur de la compétence du juge administratif qu’opte le Tribunal des conflits dans le cadre d’un litige mettant en cause, cette fois, l’Office national des forêts (ONF) à des propriétaires privés ayant confié au premier la gestion de leur bois. Ce faisant, il fait application de sa propre jurisprudence au terme de laquelle les activités de surveillance, de protection et de conservation des forêts de l’ONF constituent une mission de service public administratif (T. confl. 9 juin 1986, Cne de Kurtzhein). Dans l’arrêt du 28 mars dernier, il considère que « lorsqu’un propriétaire forestier privé, sur le fondement de l’article L. 224-6 du Code forestier, charge, pour au moins dix années, l’Office national des forêts à la fois de la conservation et de la régie de ses bois, il choisit de placer ceux-ci, auxquels sont alors applicables (…) les dispositions relatives à la constatation et à la poursuite des infractions au droit forestier ainsi qu’aux autorisations de défrichement, sous un régime administratif obligatoire fondé sur l’usage de prérogatives de puissance publique de l’office ».
Rappelons toutefois que l’ONF exerce une mission de service public industriel et commercial lorsqu'il équipe et gère une forêt, avec pour conséquence que les contrats d'approvisionnements conclus dans ce cadre, relèvent du droit privé (CE 29 avr. 1994, GIE Groupetubois).
Civ. 1re 23 mars 2011, n° 10-11.889, F-P+B+I
T. confl. 28 mars 2011, Groupement forestier de Beaume Haie c. Office national des forêts, n° 3787
Références
« Naguère, catégorie juridique du droit administratif présentant des traits vigoureux d’originalité : l’établissement public était toute entité de droit public, autre qu’une collectivité territoriale, dotée de la personnalité juridique et chargée de la gestion d’une activité de service public dans le cadre limité de sa spécialité. Exemple : université.
Cette originalité s’est estompée pour plusieurs raisons, notamment :
- des personnes de droit public innomées se sont ajoutées aux établissements publics traditionnels ;
- les nationalisations d’après-guerre avaient fait naître des établissements publics qui ne géraient pas des services publics ;
- la recherche d’un regroupement des moyens matériels et financiers des communes a entraîné l’apparition d’établissements publics polyvalents dont l’assise est territoriale, très proches par leurs caractères de véritables collectivités territoriales.
Sous ces réserves, on distingue généralement :
1° Établissements publics administratifs : ceux chargés de la gestion d’une activité classique de service public ; ils sont régis par les règles du droit administratif et leur contentieux relève normalement des juridictions administratives.
2° Établissements publics industriels et commerciaux : catégorie controversée d’EP gérant, dans des conditions comparables à celles des entreprises privées, des activités de nature industrielle ou commerciale. Leur fonctionnement et leur contentieux empruntent à la fois au droit public et au droit privé. »
« Une des notions clés du droit administratif français, ce concept est largement ignoré ailleurs dans l’Union européenne, où l’idée de reconnaître des « services publics européens » suscite des controverses parfois passionnelles.
1° Au sens matériel, toute activité destinée à satisfaire à un besoin d’intérêt général et qui, en tant que telle, doit être assurée ou contrôlée par l’Administration, parce que la satisfaction continue de ce besoin ne peut être garantie que par elle. Objet de nombreuses controverses doctrinales, cette notion n’en est pas moins pour la jurisprudence, aujourd’hui encore, l’un des éléments servant à définir le champ d’application du droit administratif.
2° Au sens formel, ces termes désignent un ensemble organisé de moyens matériels et humains mis en œuvre par l’État ou une autre collectivité publique, en vue de l’exécution de ses tâches. Dans cette acception, les termes de service public sont synonymes d’Administration au sens formel.
« Mission de service public : notion dégagée par la jurisprudence du Conseil d’État dans la première moitié du siècle, mais d’appellation beaucoup plus récente, et dont on trouve des manifestations aussi bien, par exemple, en matière de travaux publics, de fonction publique, que de contrats administratifs ou d’actes unilatéraux. Cette qualification est décernée de manière prétorienne par le juge à des activités présentant un caractère d’intérêt général, assumées même par des organismes privés ou des particuliers. Le juge veut élargir le champ d’application du droit et du contentieux administratifs à ceux des aspects de l’organisation et du fonctionnement de cette activité qu’il estime techniquement inopportun de soumettre aux règles du droit privé. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
Art. L. 411-13
« Un établissement public de l'État à caractère industriel et commercial doté de l'autonomie financière, prenant le nom d'Agence nationale pour les chèques-vacances, est seul chargé d'émettre les chèques-vacances dans les conditions fixées à l'article L. 411-11, et de les rembourser aux collectivités publiques et aux prestataires de services mentionnés aux articles L. 411-2 et L. 411-3.
Il est placé sous la tutelle du ministre de l'économie et des finances et du ministre chargé du tourisme et soumis au contrôle économique et financier de l'État.
Cet établissement est habilité à financer des opérations de nature à faciliter les activités de loisirs des bénéficiaires, notamment par des aides destinées aux équipements de tourisme et de loisirs à vocation sociale. »
Art. L. 224-6
« L'Office national des forêts peut se charger, en tout ou en partie, de la conservation et de la régie des bois des particuliers sous des conditions fixées contractuellement. Les contrats doivent avoir une durée d'au moins dix années (…) ».
■ T. confl. 29 déc. 2004, Époux Blanckeman c.VNF, Lebon 526 ; Dr. adm. 2005, p. 32, note Naud ; 16 oct. 2006, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français, Lebon 640 ; RFDA 2007. 284, note Plessix ; AJDA 2006. 2382, chron. Landais et Lenica.
■ T. confl. 9 juin 1986, Cne de Kintzheim, RD publ. 1987.492, obs. Y. Gaudemet.
■ CE 29 avr. 1994, GIE Groupetubois, Dr. adm. 1994, n° 395
■ Sur cette notion, v. également : T. confl. 17 avr. 1959, Abadie, Lebon 239, concl. Henry ; CE 23 nov. 1959, Soc. mobilière et immobilière de meunerie, Lebon 870.
■ Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA), 17e éd., Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2009.
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