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[ 30 mars 2023 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Le risque d’un trouble anormal du voisinage est réparable

Des arbres risquant d’endommager gravement la maison d’un voisin présentent un danger certain pour la sécurité des biens constitutif d’un trouble anormal du voisinage.

Civ. 3e, 1er mars 2023, n° 21-19.716

Entremêlant la théorie des troubles anormaux du voisinage aux conditions de réparation du préjudice, l’arrêt rapporté présente l’intérêt de rappeler la possibilité d’une action préventive, en cas de simple risque d’un trouble anormal, à la condition d’établir la certitude de ce dommage futur.

En l’espèce, un bien jouxte une parcelle sur laquelle se trouvent six cèdres. Les propriétaires de ce bien, sur lequel leur maison d’habitation est implantée, assignent leurs voisins aux fins d’abattage des six cèdres et en indemnisation du préjudice subi sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage. La cour d’appel ordonne l’abattage des arbres, dont la hauteur et l’ampleur du feuillage présentent le risque, en cas de tempête, d’endommager gravement la maison d’habitation des propriétaires, un tel risque, qui s’est déjà réalisé, ayant ainsi un caractère certain. Devant la Cour de cassation, les voisins reprochent à la juridiction du second degré d’avoir jugé bien fondée l’action engagée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage sans caractériser l’existence d’un trouble actuel et certain, le seul risque de chute des arbres sur la maison d’habitation des propriétaires, dont la réalisation n’était qu’éventuelle sans être probable, ne pouvant constituer un préjudice réparable.

La Haute juridiction rejette leur pourvoi. Motif pris que l’appréciation de l’anormalité du trouble est une question de fait relevant de la libre appréciation des juges du fond, elle conclut du contrôle de leur motivation qu’au cas d’espèce, la cour d’appel a caractérisé l’anormalité du trouble en relevant souverainement que la présence des arbres présentait un danger pour la sécurité des biens, constitutif d’un trouble anormal du voisinage, et que leur abattage constituait la mesure propre à y mettre un terme. Autrement dit, sa certitude inférée de sa réalisation effective quelques années auparavant, le risque de chute des arbres sur la maison des propriétaires était certain, en sorte que le dommage invoqué, même futur, était réparable.

Centrée sur le bien à l’origine du trouble invoqué, la responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage est purement objective. Ce qui compte est la réalité et l’anormalité du trouble émanant d’une propriété située dans le voisinage. Il n'est donc pas nécessaire de démontrer la faute du propriétaire du fonds à l’origine du trouble, lequel peut par exemple engager sa responsabilité quand bien même il ne résiderait pas sur le fonds affecté par les nuisances (Civ. 2e, 28 juin 1995, n° 93-12.681). Dans le même sens, l’unique fondement de cette théorie est le dommage et la réparation, sa seule fonction. Elle s’exprime par un principe prétorien, frappé en maxime : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (v. not. Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379). Propter rem, l’action fondée sur ce principe général du droit se rattache pourtant toujours aux règles de la responsabilité civile, ce qui a notamment pour effet de la soumettre à la condition de certitude du préjudice. Il appartient donc au demandeur de rapporter la preuve de la réalité du préjudice subi du fait du trouble anormal de voisinage. Economique, moral, ou d'agrément, tout type de préjudice est réparable à la condition, au demeurant essentielle, d’établir avec certitude l’excès des troubles normaux du voisinage allégué par la victime. Comme le rappelaient les demandeurs au pourvoi, une action fondée sur ce principe ne peut être accueillie que si l’existence d’un trouble certain excédant les inconvénients normaux du voisinage est caractérisée. Un trouble simplement éventuel, virtuel, ne suffit pas.

Cependant, comme en matière de perte de chance, le dommage, s’il ne s’est pas réalisé, redevient réparable lorsque au lieu d’être seulement éventuel, purement hypothétique, apparaît nettement probable : de même que la disparition certaine d’une éventualité favorable rend la chance perdue réparable, la certitude du risque pris rend le trouble allégué également réparable (v. déjà Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.701, à propos du risque d’effondrement d’un mur). Ainsi en l’espèce, le maintien en l’état des arbres, ayant atteint une hauteur et une ampleur « excessives », aurait fait prendre aux propriétaires actuels de la parcelle litigieuse le risque certain de voir leur bien endommagé en cas d’incident climatique, tel que la tempête ayant déjà endommagé la toiture et la gouttière de leur maison par la chute de branches occasionnées. La cour d’appel a ainsi souverainement estimé que certain, ce risque de chute excédait les inconvénients normaux de voisinage.

Références :

■ Civ. 2e, 28 juin 1995, n° 93-12.681 : Ficarelli (Cts) c/ Laiterie Harrand (Sté), D. 1996. 59, obs. A. Robert ; AJDI 1995. 971 ; ibid. 972, obs. C. Giraudel ; RDI 1996. 175, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 1996. 179, obs. P. Jourdain.

■ Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 84-16.379 B

■ Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.701 

 

Auteur :Merryl Hervieu

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