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Droit du travail - relations individuelles
Le salarié inapte peut uniquement être licencié pour inaptitude, même s’il a commis une faute
Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur ne peut prononcer un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important qu'il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.
Soc. 8 févr. 2023, n° 21-16.258 P
La Cour de cassation entend conforter le régime protecteur des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail en limitant le pouvoir de l’employeur dans le choix du motif du licenciement. Seule la voie du licenciement pour inaptitude lui est offerte. Tout licenciement reposant sur un autre motif est irrecevable.
En l’espèce, un salarié est placé en arrêt de travail en raison d’une maladie à compter du 21 octobre 2016. Trois mois plus tard, en janvier 2017, l’employeur le convoque à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 février 2017. Le salarié passe une visite de reprise le 6 février 2017. Le médecin du travail déclare alors le salarié inapte à son poste en un seul examen et précise que son reclassement au sein de l'entreprise ou du groupe n’est pas envisageable. Par lettre du 16 février 2017, l’employeur fait pourtant le choix de licencier le salarié pour faute lourde. Le salarié saisit le conseil des prud’hommes estimant que l’employeur ne pouvait pas invoquer un licenciement disciplinaire et devait obligatoirement choisir le licenciement pour inaptitude. La cour d’appel déboute le salarié en estimant que ce dernier avait bien commis une faute grave. Ainsi, l’employeur disposait semble-t-il de deux motifs distincts de licenciement et pour les juges du fond, il était libre d’opter pour le motif de son choix.
La décision est cassée par la Chambre sociale au visa des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail. Selon la Cour, ces dispositions sont d’ordre public. Après une déclaration d’inaptitude, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un poste de reclassement, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé au titre du reclassement, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que le reclassement n’est pas envisageable. Il en résulte selon les Hauts magistrats que l'employeur n’a plus le choix : s’il opte pour le licenciement, c’est nécessairement un licenciement pour inaptitude, peu important qu’il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.
La solution n’est pas nouvelle (Soc. 10 mai 2012, n° 11-11.854 ; 14 mars 2000, n° 98-41.556). Ainsi, dans un arrêt du 20 décembre 2017, (n° 16-14.983), la Chambre sociale a déjà indiqué qu’à l’issue de la visite de reprise reconnaissant l’inaptitude, l’employeur ne peut pas prononcer un licenciement pour un autre motif. Cette solution s’explique par un objectif de protection du salarié inapte : éviter que l’employeur ne cherche à échapper à son obligation de reclassement en invoquant un autre motif. Il est en effet difficile de mener de front une recherche loyale et sérieuse de poste de reclassement et un projet de licenciement disciplinaire sans préavis. Toutefois les faits ayant donné lieu à l’arrêt de 2017 étaient antérieurs à la réforme de 2016 permettant le licenciement sans recherche de reclassement lorsque le médecin du travail estime une telle mesure impossible. Dès lors que tout projet de reclassement est exclu, les risques de fraudes sont plus limités. La différence essentielle de régime entre le licenciement disciplinaire et le licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle réside dans l’octroi de l’indemnité de licenciement. Le salarié inapte y a droit, contrairement au salarié licencié pour faute grave ou lourde.
Par ailleurs, dans un arrêt du 15 septembre 2021 (n° 19-25.613), la Cour de cassation avait semblé ouvrir la porte à une autre solution dans l’hypothèse d’un conflit entre un motif économique et l’inaptitude. Dans cette affaire, une société avait cessé son activité suite au départ à la retraite de son dirigeant. Un salarié avait été déclaré inapte le 24 mars mais licencié pour motif économique le 25 mars. Les juges du fond avaient estimé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, faisant prévaloir le régime de l’inaptitude. La Cour avait cassé la décision en soulignant d’une part que le salarié ne remettait pas en cause le motif économique et d’autre part, que la cessation totale et définitive de l’entreprise établissait l’impossibilité de reclassement. L’arrêt ne permettait donc pas d’identifier un revirement de jurisprudence mais le reclassement semblait bien au cœur des préoccupations. Dès lors, on pouvait s’interroger sur la solution retenue lorsque le médecin du travail considère que tout reclassement du salarié inapte est impossible.
L’arrêt rendu par la Cour en 2023 confirme l’arrêt de 2017 : le salarié déclaré inapte doit nécessairement être licencié pour inaptitude. À défaut, l’employeur prend le risque de voir le licenciement déclaré sans cause réelle et sérieuse voire nul. L’arrêt n’indique en effet pas les conséquences de l’erreur de qualification (sur cette difficulté, v. G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, coll. « Précis », Dalloz, 2023, n° 380)
La solution pourrait toutefois s’avérer moins protectrice des intérêts qu’il n’y paraît. Lorsque la maladie n’a pas une origine professionnelle — comme c’était le cas en l’espèce — l’employeur peut valablement sanctionner le salarié pendant la période de suspension du contrat. Tel est notamment le cas si le salarié viole son obligation de loyauté (pour un arrêt récent : v. Soc. 1er févr. 2023, n° 21-20.526). Aussi, si l’employeur détient les preuves d’une faute, même simple, la solution adoptée par la Cour l’incite à licencier le salarié rapidement, avant une éventuelle déclaration d’inaptitude du médecin du travail. Le licenciement disciplinaire — si bien évidemment il ne dissimule pas un mobile discriminatoire — est alors possible, du moins tant qu’aucune démarche n’a été diligentée par le médecin du travail (Soc. 5 déc. 2012, n° 11-17.913).
Références :
■ Soc. 10 mai 2012, n° 11-11.854
■ Soc. 14 mars 2000, n° 98-41.556 P : D. 2000. 106.
■ Soc. 20 déc. 2017, n° 16-14.983 P : D. 2018. 15.
■ Soc. 15 sept. 2021, n° 19-25.613 P : D. 2021. 1677.
■ Soc. 1er fév. 2023, n° 21-20.526
■ Soc. 5 déc. 2012, n° 11-17.913 P : D. 2012. 2973 ; ibid. 2013. 114, chron. F. Ducloz, P. Flores, L. Pécaut-Rivolier, P. Bailly et E. Wurtz.
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