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Droit des obligations
Le silence de l’acquéreur sur la valeur du bien vendu
Mots-clefs : Réticence dolosive, Acheteur, Conditions d’application, Bonne foi
Au nom du devoir de bonne foi, l’acquéreur est tenu de ne pas induire en erreur le vendeur du bien cédé.
L’erreur sur la valeur causée par le silence de l’acquéreur, encore et toujours… Le vendeur peut-il se prévaloir d’une réticence dolosive lorsque l’acquéreur a manqué de lui transmettre les informations qu’il détenait sur la valeur du bien vendu ? C’est à cette question, désormais classique en jurisprudence, que la troisième chambre civile a donné, le 11 septembre dernier, une réponse qui confirme la dualité du droit positif en la matière : si par principe, l’erreur sur la valeur commise par le vendeur lorsqu’elle a sa source dans le silence de l’acquéreur est indifférente, par exception, ce silence sera regardé comme dolosif et sanctionné, en vertu de l’article 1116 du Code civil, par la nullité relative du contrat.
En l’espèce, le 6 février 2006, un particulier promet de vendre, pour un prix déjà chiffré, à une commune une parcelle de terrain située sur le territoire de celle-ci. Initialement classée en zone protégée et bénéficiant d’un emplacement réservé incluant un espace boisé à conserver, ladite parcelle voit ensuite son classement modifié par l’adoption, le 11 juillet 2006, d’un plan local d’urbanisme (PLU). Le vendeur refuse alors de signer l’acte authentique définitif. La commune décide, en conséquence, de l’assigner en réitération de la vente. Accueillant la demande du vendeur, les juges du fond prononcent la nullité de la promesse en vertu de l’article 1116 du code civil. Devant la Cour de cassation, la commune soutient que la cour d’appel, en omettant de caractériser l’intentionnalité du silence gardé sur la valeur du terrain, a privé sa décision de base légale au regard du texte précité. La Haute cour rejette son pourvoi : la commune, qui ne pouvait ignorer, au moment de la conclusion de la promesse, qu’un PLU était en cours et qu’il aurait une incidence directe sur la valeur du terrain, a, par sa réticence à informer le vendeur de l’existence de projet, manqué à son devoir de bonne foi.
Selon l’article 1109 du code civil, le consentement n’est point valable s’il a été surpris par dol. Défini à l’article 1116 du même code, le dol est une cause de nullité du contrat lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident qu’elles ont conduit l’autre partie à contracter. Ce vice du consentement est constitué par les agissements (mensonges, manœuvres, réticences, etc.) de l’une des parties au contrat envers l’autre de nature à entraîner l’altération du consentement de cette dernière en provoquant une erreur qui la détermine à contracter. Le dol revêt deux caractères, l’un matériel, l’autre intentionnel. Le premier a connu une évolution notable ; alors que la loi assimile l’élément matériel du dol à un acte positif de tromperie (manœuvre), la jurisprudence a étendu la notion à un acte négatif, que l’on n’accomplit pas. L’élément matériel du dol peut ainsi être caractérisé par le silence (Civ. 3e, 15 janv. 1971). Pour se rendre coupable d’un tel dol, il faut, au préalable, être débiteur d’une obligation d’information et ne pas divulguer, de manière intentionnelle, l’information qu’on était pourtant tenu de transmettre. C’est la raison pour laquelle l’acheteur, que la jurisprudence laisse libre d’informer ou non le vendeur sur la valeur du bien cédé ne peut, par principe, se rendre coupable de réticence dolosive (Civ. 1re, 3 mai 2000 ; Civ. 3e, 17 janv. 2007) ; sans obligation d’informer, le silence même intentionnellement gardé ne peut être sanctionné. Soutenant, au grand dam des solidaristes, un certain libéralisme contractuel, cette solution a désormais, quoique l’on puisse en penser, valeur de principe. Toutefois, le principe est, comme souvent, assorti d’exceptions. L’arrêt rapporté illustre l’une d’entre elles, relative à la nature de l’erreur commise par le vendeur. Le principe issu des affaires précitées n’a vocation à jouer que lorsque l’erreur du vendeur sur la valeur n’a pas sa source dans une erreur sur la substance (Civ. 3e, 15 nov. 2000). Au contraire, en l’espèce, le silence fut gardé sur la modification à venir de la substance même de la parcelle, sur le point d’être déclassée et amputée de son espace boisé. Autrement dit, l’erreur sur la valeur avait sa source dans une erreur sur la substance. Dans ce cas, comme dans celui d’une relation de confiance particulière entre les contractants, le silence de l’acquéreur sur la valeur du bien vendu, en principe admis, devient dolosif. La nullité du contrat ou, comme en l’espèce, de l’avant-contrat, doit alors être prononcée.
Civ. 3e, 11 sept. 2012, n°11-22.389.
Références
■ Code civil
« Il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas, et doit être prouvé. »
■ Civ. 3e, 15 janv. 1971, n° 69-12.180, Bull. civ. III, n° 38.
■ Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381, Bull. civ. I, n° 131, D. 2002 somm. 928, obs. O. Tournafond, RTD civ. 2000. 566, note J. Mestre.
■ Civ. 3e, 15 nov. 2000, n° 99-11.203, Bull. civ. III, n° 171.
■ Civ. 3e, 17 janv.2007, n° 06-10.442, Bull. civ. III, n° 5, D. 2007. 1051, obs. D. Mazeaud.
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