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Droit du travail - relations individuelles
L’efficacité confirmée de la clause de mobilité
Mots-clefs : Clause de mobilité, Faute grave du salarié, Justification légitime, Droits fondamentaux
La violation par le salarié d’une clause de mobilité peut, en l’absence de justification légitime du refus de rejoindre une nouvelle affectation, caractériser une faute grave. Tel est l’enseignement du présent arrêt qui confirme un mouvement jurisprudentiel de raffermissement des clauses de mobilité (V. dernièrement : Cass., ass. plén., 23 oct. 2015, n° 13-25.279).
En l’espèce, le contrat d’un agent de sécurité stipulait que « le salarié est engagé pour assurer son travail dans un premier temps, sur le site de Carrefour Belle Épine, étant ici précisé, que, compte tenu du caractère spécifique de l'activité qui implique une mobilité géographique, le salarié s'engage à travailler sur les différents sites actuels et futurs de l'établissement, situés dans le ressort territorial d'Île-de-France au fur et à mesure des affectations qui lui seront données ».
Saisi d’un pourvoi du salarié, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu l’existence d’une faute grave, rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et le privant de tout préavis et indemnité de licenciement. La solution qui se dégage de cette décision semble frappée au coin du bon sens juridique. La clause de mobilité permet en effet d’étendre la zone dans laquelle le salarié peut être muté unilatéralement par l’employeur au-delà du secteur géographique dans lequel tout contrat de travail est sensé avoir été conclu. Dès lors que cette clause est valide, à savoir qu’elle précise l’étendue géographique de la mobilité et qu’elle ne permet pas à l’employeur de faire varier celle-ci unilatéralement, l’ordre patronal pris sur le fondement de la clause doit être respecté par le salarié. Qu’on analyse cet ordre comme la mise en œuvre d’un droit de créance ou comme un acte du pouvoir patronal de direction, le salarié qui refuse de s’y soumettre commet une faute disciplinaire justifiant le prononcé d’une sanction à son encontre.
Reste que le régime de la clause de mobilité a fait l’objet ces vingt dernières années d’importantes controverses tenant à sa confrontation avec les droits fondamentaux que le salarié peut invoquer dans sa relation de travail. En elle-même, la clause de mobilité, contrairement à d’autres clauses contractuelles telle la clause de non-concurrence, ne porte atteinte à aucun droit fondamental. Il n’y a donc pas lieu de mettre en œuvre à son égard les exigences de justification et de proportion énoncées à l’article L. 1121-1 du Code du travail (Il n’en va autrement que dans les cas où la clause de mobilité se trouve assortie d’une autre obligation portant atteinte à un droit fondamental, telle une obligation de domicile). En revanche, il est acquis que le salarié peut, dans certaines situations, opposer un élément de vie personnel pour faire échec à la mise en œuvre de la clause de mobilité, par ailleurs tout à fait valide. C’est ainsi que, dans un arrêt du 13 janvier 2009, la Cour reproche à des juges du fond de n’avoir pas recherché concrètement « si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne portait pas une atteinte au droit de la salariée, laquelle faisait valoir qu’elle était veuve et élevait seule deux jeunes enfants, à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché » (Soc. 13 janv. 2009, n° 06-45.562).
La précision apportée par l’arrêt du 12 janvier 2016 peut ainsi être formulée : c’est d’abord au salarié à justifier son refus et non pas à l’employeur à justifier son ordre. La nuance est importante puisque tant que le salarié ne fait pas état d’un fait de vie personnel susceptible de remettre en cause l’application de la clause de mobilité, l’employeur n’a pas spécialement à justifier sa décision de la mettre en œuvre et les juges saisis par le salarié n’ont pas à rechercher cette justification. L’on ne peut donc affirmer de manière générale, comme on le voit encore trop souvent écrit, que la mutation d’un salarié doit répondre d’un besoin légitime de l'entreprise et être proportionnée au but poursuivi. La solution peut d’ailleurs être généralisée à l’ensemble des ordres émanant du pouvoir patronal qui ne requièrent pas le consentement du salarié à la modification de son contrat de travail. Hors texte légal particulier, ce n’est qu’en cas d’atteinte à un droit fondamental que l’acte patronal doit être justifié et qu’il pourra faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité.
L’affermissement du régime de la clause de mobilité se confirme encore par la caractérisation possible d’une faute grave du salarié en cas de refus injustifié. Dans un arrêt du 23 février 2005 (n° 03-42.018) la Cour avait retenu que « le refus par le salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ». La formule pouvait paraître ambiguë, laissant croire que la faute grave ne pourrait être qu’exceptionnellement retenue. Or, dans le présent arrêt comme dans celui rendu par l’Assemblée plénière le 23 octobre 2015, la Cour de cassation n’opère qu’un contrôle léger sur la qualification de faute grave opérée par les juges du fond : la cour d’appel « a pu décider qu'un tel refus, sans aucune justification légitime, caractérisait une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail » (nous soulignons). Si la qualification de faute grave n’est pas automatique, les circonstances de l’espèce peuvent conduire à sa reconnaissance.
Soc. 12 janvier 2016, n° 14-23.290.
Références
■ Cass., ass. plén., 23 oct. 2015, n° 13-25.279 P, D. 2015. 2185 ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier ; Dr. soc. 2016. 9, chron. S. Tournaux ; ibid. 27, étude Jean Mouy.
■ Soc. 13 janv. 2009, n° 06-45.562 P, D. 2009. 1799, note M.-C. Escande-Varniol ; ibid. 2128, obs. J. Pélissier, T. Aubert, M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès ; Dr. soc. 2009. 614, obs. C. Radé ; RDT 2009. 300, obs. A. Dumery.
■ Soc. 23 févr. 2005, n° 03-42.018 P, D. 2005. 1678, note H. K. Gaba ; Dr. soc. 2005. 634, note P. Bouaziz et I. Goulet.
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